mardi 13 novembre 2018

André Barféty dans la guerre de 1914-1918

En ces journées de commémoration de l'armistice, j'ai récupéré la fiche de matricule de notre grand-père André Barféty. Je vais en détailler le contenu, très riche, si on arrive à en interpréter les informations.

Ce document se présente ainsi :


Notre grand-père a la fiche matricule n° 1491, du bureau du recrutement de Toulon. Dans les parties signalétiques, on apprend qu'il était étudiant, domicilié à Toulon. C'est effectivement dans cette ville que se trouvait le domicile de ses parents en France. C'est là qu'est née sa sœur Madeleine Barféty et que lui-même a été au collège des Maristes à La Seyne. Au moment du recrutement militaire, ses parents résidaient à Lao Kay, au Tonkin (aujourd'hui, Lào Cai, au nord du Viêt Nam). Cette photo a été prise le14 juillet 1914. Les parents d'André Barféty, Ferdinand Barféty et Marie Donnet, se trouvent au centre, lui avec un casque colonial, et elle, à ses côtés, avec une ombrelle


Dans la partie signalement de la fiche de matricule, il est indiqué que notre grand-père avait les cheveux châtains foncés, les yeux marrons, le front moyen, le nez busqué et le visage long. Il mesurait 1,74 m.

Comme il était né en 1896, il appartenait à la classe 1916. En temps normal, il aurait dû être appelé au service militaire l'année de ses 21 ans, soit en 1917. La guerre a perturbé cela. Lors de la mobilisation générale, les classes sont appelées jusqu'à celle de 1913, soit les jeunes gens nés jusqu'en 1893. Notre grand-père n'a donc pas été appelé. Néanmoins, la loi autorisait les engagements volontaires à partir de 17 ans. C'est ainsi que notre grand-père s'est engagé pour la durée de la guerre à la mairie de Grenoble le 11 décembre 1914. Il est immédiatement incorporé au 159e régiment d'Infanterie (le fameux 15-9 de Briançon). Il a participé à la défense d'Arras. L'historique du régiment pendant la guerre (cliquez-ici, plus particulièrement le chapitre II, pp. 6-10) nous donne une idée de la vie sur le front entre décembre 1914 et mai 1915, date à laquelle notre grand-père a été transféré vers un autre régiment. J'en ai extrait ce passage :
L'histoire du 159e pendant toute cette douloureuse période qui va de novembre 1914 à mai 1915 est assez difficile à écrire. Les jours se ressemblent à peu près tous. Toujours la même vie dans la boue immonde, toujours les mêmes bombardements des pièces allemandes de tous calibres, canons, obusiers, minenwerfer s'acharnent sur ce pauvre coin d'Artois, hier encore riant et animé d'une vie intense et maintenant lugubre et désolé. Que ce soit à la Maison Blanche, à Berthonval, devant Neuville-Saint-Waast ou à Mont-Saint-Eloy, les mêmes faits se reproduisent avec une régularité désespérante. Derrière leurs créneaux où, sans trêve, sifflent les balles ennemies, les « Alpins » tiennent, à moitié enlisés parfois, dans la boue sanglante. Ils montrent que leur endurance égale leur courage. Le 15 décembre, le 159e reçoit un ordre d'attaque. Ses objectifs sont les Ouvrages blancs, la corne nord de La Targette et ultérieurement les lisières nord-ouest et nord de Neuville-Saint-Waast. On exécute des travaux préparatoires. Le génie vient même essayer d'ouvrir des brèches dans les réseaux ennemis. Puis finalement, l'attaque est reportée à une date ultérieure. Ce n'a été qu'une alerte, et la vie de la tranchée reprend comme auparavant. On s'organise, on essaie de faire des tranchées convenables, mais dans ce terrain mouvant, continuellement ravagé par les obus, boyaux et tranchées s'effondrent sous la pluie. Qui dira jamais les souffrances de ces hommes qui, la nuit, montent la garde aux créneaux ou péniblement remuent la terre et, le jour, s'entassent pour y chercher quelque repos dans de misérables abris, trous boueux d'où s'exhale une odeur empestée? Les bataillons alternent entre eux pour le service aux premières lignes et le seul repos qu'on connaisse est un séjour de quatre jours de temps en temps à Acq, Ecoivres, Frévillers, Hermaville, petits villages à 25 kilomètres de la ligne de feu. Cet hiver 1914-1915 est comme un enfer nouveau où les hommes ont à souffrir du froid, du feu et de l'eau.
Enfin, le 28 avril, le régiment tout entier est au repos à Frévillers, Magnicourt-en-Comté et à Houvelin. Ce repos doit être utilisé à préparer le régiment à une opération offensive. Mais il est de courte durée; dès le 1er mai, un bataillon est envoyé aux tranchées pour y assurer la garde et y faire les travaux nécessaires à l'attaque prochaine. Le reste du régiment quitte ses cantonnements le 5 mai et se rapproche de la première ligne. Le 1e bataillon vient à Mont-Saint-Eloy, les 2e et 3e à Camblain-l'Abbé. Enfin, la date de l'attaque est fixée. Ce sera le 9 mai et les troupes doivent être en place à 7 heures...
Il est transféré le 14 mai 1915 au 140e régiment d'Infanterie, puis, 15 jours après, le 1er juin, au 175e régiment d'Infanterie, un régiment qui s'est illustré à l'armée d'Orient : Dardanelles, Serbie, Albanie et Crimée (cliquez-ici pour consulter l'historique du régiment). Notre grand-père a été engagé dans les combats des Dardanelles :
1° CAMPAGNE DES DARDANELLES
Les trois bataillons du régiment, formés : le 1er à Riom, le 2e à Grenoble, le 3e à Saintes, se réunissent à Marseille le 3 mars 1915. Le régiment embarque le lendemain sur les paquebots Provence, Charles-Roux, Armand-Behic, Chaouia, etc., etc. Il reçoit son drapeau le 27 mars 1915. Après un court séjour à Lemnos, puis à Alexandrie, puis de nouveau à Lemnos, le 175e débarque au cap Helles, sur la plage de Sedd-ul-Barhr (presqu'île de Gallipoli, le 27 avril, sous le feu de l'ennemi et repousse dans la même journée deux attaques des Turcs.
Le lendemain 28, le régiment attaque en direction d'Achi-Baba, sous un feu des plus violents, il progresse de 200 à 300 mètres. Combats acharnés. Après avoir tenu toute la journée, le régiment, qui subit des pertes sévères (13 officiers et 650 hommes hors de combat), se replie sur les positions de la veille.
Le 1er mai, attaque générale des Turcs. Le 2 mai à 1 heure, la situation est critique : l'ennemi avance partout. Le lieutenant-colonel PHILIPPE, commandant le régiment, fait sonner la charge et se porte en avant. A 3 heures nous avons reconquis nos tranchées et repoussé l'ennemi dans ses lignes. Le lieutenant-colonel PHILIPPE est grièvement blessé et est remplacé dans son commandement par le commandant LINARES.
Très lourdes pertes chez l'ennemi, chez nous une douzaine d'officiers et 500 hommes hors de combat. Les Turcs renouvellent leurs attaques dans la nuit et le lendemain, mais ils sont repoussés. Le 8 mai, le régiment attaque à la baïonnette, et sous un feu violent gagne les tranchées ennemies et s'y maintient.
Nous attaquons à nouveau le 4 juin, le 21, le 13 juillet, le 7 août. Le terrain est particulièrement difficile, la chaleur accablante. Les Turcs nous opposent une résistance acharnée et contre-attaquent furieusement, aussi notre progression est-elle insignifiante, malgré l'héroïsme des troupes.
(sur la bataille des Dardanelles, voir la notice Wikipédia : cliquez-ici).
Les Dardanelles se trouvent à l'entrée du détroit qui relie la mer Noire à la mer Méditerranée, la sortie étant constituée du détroit du Bosphore, où se trouve Istanbul.



C'est à la suite de l'attaque du 4 juin que notre grand-père est blessé « par éclat d'obus coude gauche », le 5 juin. Il est aussi cité à l'ordre du régiment pour son action du même jour : « Excellent soldat. Le 5 juin 1915, a été pour ses camarades sous un feu des plus violents un modèle de calme, de sang-froid et de bravoure ».

L'historique du régiment n'est pas assez précis pour obtenir plus de détails sur les conditions de la bataille où il a été blessé. Le rédacteur note : « Malgré de nombreuses démarches, de nombreuses lettres adressées aux anciens officiers du 175e R. I., il n'a pas été possible à l'officier chargé de l'historique de ce régiment de faire un travail plus complet, plus intéressant. Beaucoup d'actes d'héroïsme sont restés dans l'ombre. L'officier ne durait pas longtemps aux Dardanelles, pas plus que le soldat : on débarquait, on se battait, et le même bateau remportait souvent les blessés. »

Suite à sa blessure, notre grand-père est réformé pour « impotence fonctionnelle marquée du membre supérieur gauche » par la commission de réforme de Grenoble du 7 août 1916. Il est ensuite admis à la réforme n° 1 avec gratification de 300 francs par décision ministérielle du 25 janvier 1917, qui lui est notifié le 3 février 1917. C'est à ce moment-là que se termine son temps de campagne. Il recevra la Croix du combattant volontaire, en 1938, puis la Médaille militaire, le 17 mai 1967 et enfin la Légion d'Honneur, le 8 mai 1983.

Soldat français sortant d'une tranchée aux Dardanelles.

Sur cette photo prise après la guerre, on distingue bien le bras blessé :

André Barféty (1896-1983)


Complément
 
En complément de mon message précédent, une anecdote que m'a rappelée Maman. 

Après avoir été blessé, Papy a été évacué sur l'hôpital d'Alexandrie, vers lequel étaient envoyés tous les blessés du front des Dardannelles, comme le précise cette présentation d'un ouvrage récent : cliquez-ici. Pendant son séjour à l'hôpital, une infirmière s'était prise de sympathie pour lui. Elle lui avait offert un petit scarabée égyptien. Papy a donné ce scarabée à Brigitte, lorsqu'elle était adolescente.


Pour ceux que cela intéresse, il existe des journaux précis des actions militaires de tous les régiments. Le 175e régiment d'Infanterie, auquel appartenait Papy, était une des composantes de la 1re division du Corps expéditionnaire d'Orient. Dans le Journal des Marches et Opérations (JMO) de cette division du 4 mars au 14 octobre 1915, on peut voir le détail des événements. Malgré la précision, il nous manquera toujours plus d'informations pour imaginer le quotidien de notre grand-père en ces jours de l'attaque du 4 juin et de la blessure du 5 juin  : cliquez-ici.

Pour finir, je me souviens que Papy nous avait raconté qu'il avait retrouvé par hasard sur le front, son oncle Louis Donnet, qui avait été affecté à l'armée d'Orient. Ce dernier était arrivé le 13 mai 1915, mais il était vite tombé malade et avait été évacué le 23 juin 1915 pour "embarras gastrique fébrile avec amaigrissement prononcé, dysenterie". Cet oncle n'avait que 10 ans de plus que Papy, étant né le 25 juillet 1886 à Albertville. Dans ses papiers généalogiques, Odette avait noté que ce Louis Donnet avait disparu à la guerre. En réalité, il vivait encore en 1928, dans l'Est de la France. Un point à éclaircir ... sur une vie peut-être un peu irrégulière, tout du moins irrégulière par rapport aux standards bourgeois pour le fils d'un banquier (Charles Donnet, père de Louis et de notre grand-mère Marie Donnet était banquier à Albertville).