jeudi 25 avril 2019

Claude Cohendet-Chapot, propriétaire cultivateur à Venthon en 1741

Après le mariage de Joseph Jaquin [140] et Claudine Cohendet-Chapot [141] (cliquez-ici), je m'intéresse aujourd'hui au décès du père de Claudine, Claude Cohendet-Chapot, grâce à un document particulièrement intéressant, son inventaire après décès.

Sépulture de Claude Cohendet-Chapot, le 10 mars 1741, dans les registres paroissiaux de Venthon (Savoie)

Le 8 mars 1741, Claude Cohendet-Chapot [282] meurt dans sa maison de Venthon, en Savoie. Nous ne connaissons pas sa date de naissance, mais il devait avoir une trentaine d'années. Il s'était marié le 25 février 1734 avec Anne Deschamps-Bonnat [283] de la paroisse voisine de Conflans (aujourd'hui, incorporée à Albertville). Au moment de son décès, ils ont deux enfants : Claudine, née le 13 mars 1737 et Joseph né le 2 novembre 1739. Comme il était d'usage lorsqu’un défunt laissait des enfants mineurs, il était procédé à un inventaire des biens, tant mobiliers qu'immobiliers, afin de garantir les droits des héritiers jusqu'à leur majorité. En effet, dans le cadre du régime dotal, si l'épouse restait propriétaire de sa dot, elle n'avait pas de droits particuliers sur l'héritage de son mari, qui revenait à ses enfants. En tant que tutrice, elle était donc responsable de leur préserver cet héritage jusqu'à leur majorité. À leur majorité, les enfants devaient lui donner quittance de sa gestion de leurs biens. Dans ces conditions, l'inventaire du défunt permettait de garantir une « image » fidèle de tous les biens dont la tutrice serait plus tard comptable.

Ainsi, dès le 8 mars, le notaire Claude Antoine Viallet, de Conflans, vient poser les scellés, les « cachettement » comme l'indique l'acte. Le 10 mars, Claude Cohendet-Chapot est inhumé. Le 16 mars, le notaire se présente à la maison des « hoirs [héritiers] de feu Claude Cohendet Chappot » pour procéder « à inventaire des effets, titres, meubles, créances et autres délaissés par ledit feu Claude Cohendet Chappot ». L'inventaire va durer deux jours, les 16 et 17 mars. Sont présents la veuve, Anne Deschamps-Bonnat, son frère Jean François Deschamps-Bonnat qui se porte caution pour sa sœur, et cinq témoins, tous de Venthon : Antoine Roengier-Monet, oncle maternel du décédé, Louis Hivert-Besson, son beau-frère, Joseph Girondet-Ramboud, Joseph Sibuet et Antoine Gindrat.

C'est cet inventaire que nous allons analyser. Il contient trois parties : les meubles, les titres, autrement dit tous les papiers du défunt, et enfin les biens immobiliers. Comme il s'agit de l'inventaire de Claude Cohendet-Chapot, tout ce qui pouvait appartenir à sa veuve n'est pas inventorié, même s'il y est parfois fait référence.

La maison du défunt est composée d'une cuisine, qui est la pièce principale, et d'une cave, le tout surmonté d'un grenier et d'un « galletaz ». À côté de la cuisine, se trouve une écurie – une « equirie » comme l'orthographie le notaire. Il semble qu'il y avait aussi une grange, qui est peut-être confondue avec le grenier. La maison est couverte de paille, autrement dit de chaume. Le notaire, avec les témoins, passe dans chaque pièce et relève tous les objets, en donnant, pour chacun, une estimation de sa valeur, qualitativement, ou de son usure.

Dans la cuisine, il ne trouve que trois meubles : deux lits en sapin et un « mauvais » coffre en sapin avec une serrure.
Comme ustensiles de cuisine, il inventorie :
  • Deux pots à feu « de guise » (en fonte) d'une contenance de 4 pots, soit 6 litres chacun.
  • Deux marmites de cuivre, d'une contenance d'environ un demi-seau.
  • Un pot, un demi-pot et deux cuillères en étain.
  • Une tasse à puiser l'eau, deux cuillères à pot, deux poêles à frire.
  • Deux seaux de bois.
  • Une crémaillère, deux petits chenets, une poêle à feu.
  • Une poêle à frire percée.
  • Une lampe de métal.
S'il ne relève aucune nourriture, qui est conservée au grenier, il trouve dix livres (à peu près 4 kg) de « fillet de rite », autrement dit des écheveaux de fibre de chanvre tissée et douze livres (à peu près 5 kilos) de « fillet d'etoupe », soit de la fibre de chanvre non tissée.
Enfin, dans cette pièce, Claude Cohendet-Chapot conserve son fusil.

La cuisine était la pièce principale de la maison, celle dans laquelle toute la famille vivait, mangeait, recevait et dormait. C'était la seule pièce aussi dans laquelle se trouvait une cheminée, qui permettait en même temps de faire la cuisine, grâce aux marmites, attachées à la crémaillère, et aux poêles, et de se procurer un peu de chaleur en hiver. La description de la maison laisse penser que l’écurie est distincte de la cuisine, autrement dit qu'il n'y avait pas de cohabitation des hommes et des animaux, comme on le voit dans de nombreux autres villages de montagne dans les Alpes.

Cette image d'un intérieur savoyard, largement postérieure et quelque peu caricaturale, donne une idée de l'utilisation de la cheminée pour la cuisine et le chauffage. Dans cet intérieur, les animaux cohabitent avec la famille.

Le reste des biens se trouve au grenier, situé au-dessus. Il n'est pas précisé comment on y accède, mais il devait probablement y avoir un escalier extérieur. Il y a là les deux coffres de la famille, le meuble de rangement par excellence. Il y a le coffre en sapin, avec ses ferrures et serrures, dans lequel Claude Cohendet-Chapot conserve ses titres et papiers qui sont inventoriés par le notaire, puis le coffre en sapin avec ses ferrures et serrures fermant à clef, qui a été donné à Anne Deschamps-Bonnat par son frère Jean François, probablement au moment de son mariage, comme élément de la dot, et qui contient les habits de la famille, dont les habits qui ont formé le trousseau de la veuve. Comme expliqué, ce dernier ne sera pas inventorié.
Toujours au grenier, comme seuls meubles, il y a une table en noyer, avec son « soutien », probablement le pied de table, et trois chaises, aussi en noyer. Enfin, il n'y a qu'un seul ustensile de cuisine, une « mauvaise » poêle à frire, qui était probablement là car elle n'était plus utilisée. On y trouve aussi « un poid à crochet sans coupe tirant du costé du plus quarante sept livres et de l'autre douze livres », que j'identifie comme une balance romaine, permettant de peser de 5 à 20 kilos (la livre de Savoie valait 418,61 grammes).

C'est aussi au grenier que la famille conserve ses provisions. Dans un grand coffre en sapin, appelé « arche », qui servait à conserver le grain dans des compartiments, le tout mesurant 9 pieds de longueur et 4 de largeur, soit 3 mètres sur 1,30 mètre, à 3 niveaux, le notaire inventorie 30 « cartes » de seigle et 12 « cartes » d'avoine, soit 4 hectolitres de seigle et 1,6 hectolitre d'avoine. Le « carte », ou « quarte », est une mesure de volume savoyarde. Sur une « terrasse » (une étagère ?), il y a aussi deux pots d'huile de noix, deux moitiés de lard de cochon et quatre jambons. Enfin, le notaire trouve une « carte » et demi, soit 20 litres, d'orge réservés pour l'ensemencement. Nous en reparlerons.

Le grenier abrite aussi quelques outils agricoles : deux faux, deux haches, dont une grosse hache appelée « pioule », un coin de fer, pour fendre le bois et, enfin, un coutre avec un soc en fer servant de charrue, pour labourer. Pour finir, la famille range là les deux tours à filer, nécessaires pour le filage domestique du chanvre. Les tours à filer faisaient parfois partie de la dot de la jeune fille, puisque le travail des fibres était une tâche dévolue aux femmes.

Nous avons bientôt fini de faire le tour de la maison. Dans la cave, le notaire inventorie quatre tonneaux de bois, dont certains sont cerclés de fer, un cuvier, trois cornues (voir en fin de message) et comme outils agricoles, un « tridant » (une fourche), et une herse. Devant la cave, se trouve une cuve dont le notaire rapporte qu'il faut refaire le fond.

Voilà tous les biens de la famille.
On peut seulement s'étonner de ne trouver aucune assiette, ni aucun couvert, hormis quelques cuillères. Il est fort probable que l'on mangeait directement dans les marmites ou pots, avec les cuillères. La cuisine se faisait directement dans la cheminée, dans les marmites qui étaient accrochées à la crémaillère. On constate donc une certaine rusticité de mœurs et d'usages. On remarque aussi qu'il n'y a aucun siège dans la cuisine, qui était pourtant le lieu de vie, où l'on mangeait, dormait et vivait. Le coffre pouvait servir de siège. Peut-être qu'il y avait des murets le long du mur pour s'asseoir. La table et les sièges remisés au grenier ne devaient guère servir et, surtout ne devaient pas servir à un usage quotidien. Il faut toujours avoir à l'esprit que les intérieurs paysans « anciens » tels qu'on peut les voir dans les musées régionaux, les musées de la vie rurale, dans les films et, plus généralement, dans l'imagerie de la vie d'antan, reflètent en réalité un état de ces intérieurs tels qu'ils étaient à la fin du XIXe siècle, et non ceux du début XIXe et encore moins du XVIIIe siècle. A ma connaissance, il n'existe pas de vues d'intérieurs paysans savoyards, que ce soit ceux des paysans « moyens » comme l'étaient Claude Cohendet-Chapot et sa famille ou de paysans plus aisés ou de bourgeois de village. Seuls ces inventaires peuvent nous en donner un aperçu. C'est aussi pour cela qu'il ne faut pas déduire de ce très grand dépouillement de l'intérieur de ces maisons que nous avons affaire à une famille pauvre.

Le linge de la famille est tout aussi modeste. Parmi le linge de ménage, le notaire inventorie douze draps de toile commune, trois nappes de toile commune, trois serviettes et une « couverte » (une couverture) de drap gris.

Quant aux habits du défunt, il se résume à huit chemises, une veste de draps, une veste de toile à drap, un corsage de toile à drap, un corsage de ratine, une paire de culotte de ratine bleue, une autre paire de culotte de toile à drap, trois cravates de toile de marchand. Pour se couvrir, Claude Cohendet-Chapot a deux chapeaux. Le « corsage » doit être un gilet. Quant aux culottes, c'était l'habit habituel des hommes. Le notaire ne relève aucun bas, qui était le complément de la culotte. Pour se faire une idée de la cravate, cette définition du Dictionnaire de l'Académie française de 1694 décrit ce qu'était la cravate à cette époque : « Sorte de mouchoir fait de toile ou de taffetas qui entoure le col, et tient lieu de collet. » On était alors plus proche de l'écharpe que de la cravate que l'on connaît aujourd'hui. Enfin, dans cette région, l'usage était plutôt de porter des chaussures que des sabots. Pourtant, dans cet inventaire, il n'y en a aucune. Peut-être que le défunt a été enterré avec la seule paire de chaussures qu'il possédait.

Image, probablement enjolivée, du costume des paysans d'Allevard, qui nous donne, néanmoins, une idée du costume masculin au XVIIIe siècle (source : Les anciens costumes des Alpes du Dauphiné, Edmond Delay, 1922).

Cette autre image, datée de 1804, est peut-être plus proche de l'habillement ordinaire. Comme dans l'inventaire des habits de Claude Cohendet-Chapot, l'homme porte une veste et une culotte en drap, un gilet bleu (un « corsage »), une cravate blanche et une large ceinture rouge. Il porte des bas et des guêtres. Il est coiffé d'un tricorne, comme, peut-être, en portait notre ancêtre.



Comme toutes les familles de petit paysan et petit propriétaire de cette région, la famille Cohendet-Chapot combinait la culture céréalière : seigle, avoine et orge, et un peu d'élevage. Dans l'écurie de la maison, Me Viallet trouve quatre vaches, dont deux appartiennent à la veuve Anne Deschamps-Bonnat. L'âge des vaches est donné en « veaux ». Une des vaches est âgée de « cinq veaux », et les autres de « neuf veaux ». A côté de ces vaches, le notaire relève deux veaux de deux ans, six brebis, dont il précise que ce sont des agneaux d'une année et enfin un « petit chochon » qu'il qualifie de « hivernage » si ma lecture est correcte. Il doit s'agir du cochon que la famille engraisse pendant l'hiver, pour ensuite être tué à l'automne suivant afin de fournir le lard et le jambon, sous forme de salaison, comme ceux qu'ils conservent dans le grenier.

Dans un des coffres du grenier, la famille conserve précieusement les différents papiers de famille : contrats de mariage, testaments, obligations, quittances, contrat de vente, etc. Dans ce pays de droit écrit, ces documents étaient la preuve tangible de l'histoire patrimoniale de la famille. Il n'y a pas moins de 29 ensembles de documents, contenant de une à cinq pièces. Le plus ancien est un « contrat de ratification portant relachement d'un quarteron de terre pour Nicolas Jacquin, de Venthon, par Mauris Ducretet Payez, du mandement de Chatel », de 1668, soit 73 ans auparavant. Ce Nicolas Jacquin apparaît plusieurs fois parmi les papiers, sans que l'on sache à quel titre. Si le notaire a répertorié cet acte, c'est qu'il devait avoir une importance pour l'histoire patrimoniale de Claude Cohendet-Chapot, à la différence de ces autres documents qu'il se contente de rassembler dans « une liasse où sont contenus tous les papiers de nulle valeur ». L'ensemble de ces papiers montre que ces ménages vivaient dans une économie de la dette où chacun devait de l'argent en même temps qu'il lui en était dû, d'où ces quittances nombreuses qui sont la preuve que les dettes ont été payées ou que les sommes sont encore dues. La situation financière de Claude Cohendet-Chapot semble avoir été assez saine car il meurt sans dettes, ni créances.

La dernière partie de l'inventaire, tout aussi instructive pour nous, est la description détaillée de toutes ses propriétés foncières, sur la base du cadastre de Venthon. A la différence de beaucoup de régions françaises, la Savoie, alors hors du royaume de France, disposait déjà d'un cadastre dès le XVIIIe siècle, basé sur de très belles cartes qui représentaient de façon colorée et précise le découpage des terroirs entre les champs, les bois, les vignes, les habitations, les chemins et, plus généralement, tous les détails du paysage. Associé à ces « mappes », car tel était le nom de ces cartes, le cadastre en lui-même référençait toutes les propriétés des personnes. Parmi les papiers inventoriés, il y a une copie du cadastre pour Antoine Cohendet-Chapot, le père de Claude, datée de 1733. C'est probablement sur la base de ce document que le notaire inventorie les propriétés de Claude Cohendet-Chapot. Pour illustrer la précision de la description des parcelles, cet extrait :


Transcription :
Item champ aud. contenant suivant led. cadastre quatre journaux trois cent
huittante six toises cinq pieds et sous le numero d'icelluy deux cent vint quatre et le tout
se confine par les champs de jean baptiste ducretet payaz dessus le susd. chemin
tendant de venthon au pomarey dessous et pré des hoirs de me benoist marin champ
d'antoine roengier monet pré dud. loüis deschamps bounat et champ de jaque vouthier
du levant champ des hoirs dud. me. benoist marin du couchant

La surface de la parcelle est exprimée en journal, toise et pied, qui sont les unités de mesure de surface en Savoie. Le journal valait 29 ares 48 m2, 400 toises faisaient un journal et 8 pieds faisaient une toise. Cette parcelle mesure donc 1 hectare 46 ares et 41 m². Le notaire décrit précisément les confins, autrement dit les propriétés mitoyennes, avec leurs propriétaires, selon les 4 points cardinaux : nord (« dessus »), sud (« dessous », est (« levant ») et ouest (« couchant »). Cette parcelle se trouve sur la « mappe », au quartier aujourd'hui appelé Poirier Rousset :


La parcelle 222, insérée dans la parcelle 224, appartient aussi à Claude Cohendet-Chapot. Elle est qualifiée de pré. On remarque que la convention de représentation des champs est une évocation d'un terrain labouré, avec ses sillons, alors que le pré est une surface verte. Sur cette parcelle 224 se trouve une petite construction, en rouge, qui appartient aussi à Claude Cohendet-Chapot. Dans l'inventaire, ce bâtiment est qualifié de grange, d'une surface de 143 m². C'est un petit bâtiment comportant au rez-de-chaussée une écurie, surmontée d'une grange, le tout étant couvert de paille, autrement dit de chaume. Ces petits bâtiments agricoles, qui semblent nombreux sur le territoire de la commune, permettaient de garder les récoltes, les outils et le bétail proches des champs et des prés. Dans le cas présent, cette grange ne se trouve qu'à 400 m. de la maison familiale, à vol d'oiseau. Si, au moment du décès de Claude Cohendet-Chapot, cette écurie et cette grange contenaient des biens, ils ne sont pas inventoriés.

En définitive, sur la commune de Venthon, Claude Cohendet-Chapot possédait 13 parcelles, qui totalisaient 4 hectares 31 ares. Il y avait une variété de terres : des champs, qui sont des terres labourables, des près, pour le pâturage du bétail, des vergers, proches des maisons, et des bois de châtaignier. Ainsi, cette variété permettait à la famille d'assurer sa subsistance, en lui fournissant tous les aliments dont elle avait besoin : seigle, pour le pain, avoine, orge, laitages, fournis par les vaches, viande de porc, châtaignes, fruits et probablement légumes. Les parcelles plantées de châtaigniers offraient du bois de chauffage, outre le complément alimentaire fourni par les châtaignes. Ce bois était indispensable pour assurer la cuisine quotidienne et la chaleur en hiver, d'autant que la description de la maison laisse penser qu'il n'y avait pas de cohabitation des hommes et des animaux dans une même pièce en hiver, comme on le voit fréquemment dans d'autres régions de montagne. La découpe du bois de chauffage était une activité importante, comme on l'a vu par la possession de deux haches et d'un coin de fer, parmi les rares outils agricoles que possédait Claude Cohendet-Chapot.

Pour compléter l’approvisionnement de la maison, la famille possédait une parcelle de vigne de 850 m², à « Plambety » (Plan Betet), sur la commune voisine de Conflans, sur un coteau surplombant la vallée de l'Isère, exposé à l'ouest. Claude Cohendet-Chapot pouvait ainsi faire sa « piquette ».

Les vignes de Conflans
Comme beaucoup de paysans de Venthon, Claude Cohendet-Chapot possédait sa maison d'habitation. Cependant, il se distinguait en possédant une deuxième maison, proche de la première, composée d'une cuisine, d'une écurie, d'un galetas et d'une petite cave, le tout d'une surface de 100 m². Enfin, en plus de la grange citée ci-dessus, il en possédait une autre sur un autre terroir de la commune, proche de cette deuxième maison.
Sur ces deux vues : « mappe » de 1732 et photo aérienne (source : Géoportail), on constate que la trame des rues est restée inchangée, même si de nombreuses rues ont été élargies. La maison Chapot est entourée d'un cercle blanc. En bas à gauche, le cimetière, où sont enterrés nos ancêtres Joseph Barféty et Joséphine Uginet-Chapot, arrière-arrière-petite-fille de Claude Cohendet-Chapot.

En définitive, par l'ensemble de ses propriétés, Claude Cohendet-Chapot appartenait à la catégorie des petits propriétaires. Tant par la surface possédée, que par la diversité des types de terres, il pouvait assurer la subsistance alimentaire de sa famille, sans qu'il lui soit nécessaire ni d'acheter des denrées alimentaires, ni de vendre sa force de travail pour se créer un revenu. Notons d'ailleurs qu'il procurait à sa famille une certaine variété alimentaire : céréales, féculents (châtaignes), fruits, légumes, viandes et salaisons, vin. Il disposait aussi des matériaux de base pour couvrir ses maisons, avec la paille de seigle pour faire le chaume, et le bois pour se chauffer, faire la cuisine et construire les quelques meubles qu'il possédait. Il devait tout de même être obligé de vendre une partie de sa production pour disposer d'un peu de liquidité pour payer les taxes et impôts, pour acheter les biens qu'il ne pouvait pas fabriquer (ustensiles de cuisine et outils agricoles) et pour compléter son patrimoine par des achats de terres.

Dernière remarque sur ce très riche inventaire, si on se donne la peine d'en relever tous les détails. Le notaire précise que seules trois parcelles sont ensemencées en seigle, soit une surface de 72 ares. Le seigle se sème en automne. En revanche, l'ensemencement en orge n'a pas encore été fait, puisque Claude Cohendet-Chapot a 20 litres d'orge précieusement conservés au grenier pour cela. L'orge se plante au printemps.

Pour revenir aux terres possédées par Claude Cohendet Chapot : les parcelles 224 et 222 et la grange, la comparaison entre le cadastre de 1732, celui de 1873 (premier cadastre établi après l'annexion de la Savoie à la France) et le cadastre actuel montre une permanence du découpage des parcelles sur une durée de presque 300 ans. La seule différence est que les deux parcelles, ainsi que la grange ont été scindées en deux parts égales. C'est très probablement le résultat d'un partage entre les enfants de Claude Cohendet-Chapot, ou entre 2 frères d'une génération postérieure. L'usage de couper les parcelles de même nature en deux s'explique par cette volonté de conserver la diversité des terres, pour les différents usages agricoles nécessaire à l'impératif de subsistance. Dans le cas de Claude Cohendet-Chapot, une division de son patrimoine en 2 parts égales pouvait conduire à disposer d'une surface totale trop faible par rapport au minimum nécessaire pour assure la subsistance d'une famille. Pour cela, il était donc impératif de se marier avec une jeune fille de niveau social équivalent afin que sa dot compense la perte due à cet usage des partages en parts égales.

Comparaison des parcelles 224 et 222 et de la grange de Claude Cohendet-Chapot entre la « mappe » de 1732, le cadastre de 1873 et le cadastre actuel.

Après le décès de Claude Cohendet-Chapot, sa veuve, Anne Deschamps-Bonnat s'est remariée en 1749 avec Jean Baptiste Duc, maître cordier, de la Plaine de Conflans. Nous ne savons ni quand ni où elle est décédée. Elle vivait encore en 1764. Sa fille aînée, Claudine Cohendet-Chapot, a épousé Joseph Jaquin (ou Jacquin) de Venthon le 1er août 1763. Nous descendons de ce couple. Le fils Joseph Cohendet-Chapot s'est marié vers 1775 à Paris avec Françoise Ursule Favre-Donnier, une Savoyarde de Paris. Ils ont fait souche à Venthon où l'usage a prévalu de les nommer simplement Chapot. Le témoin du décès de Joséphine Uginet-Chapot, veuve Barféty, en 1905, Donat Chapot, est un descendant de couple.

Le document numérisé est accessible sur le site des Archives départementales de Savoie, bureau du tabellion de Conflans, registre d'insinuation 02/01/1741-04/04/1741 (2C 1487), vues 279-283/585 : cliquez-ici.

Ce travail d'études et de recherche d'Andrée Vibert-Guigue, professeure d'histoire, paru en 1973 : La vie rurale à Saint-Maxime de Beaufort dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, est une source précieuse d'informations et de comparaisons pour l'analyse de cet inventaire. Beaufort-sur-Doron se trouve à une quinzaine de kilomètres à l'ouest de Venthon, au centre du Beaufortain :


Comme à Venthon, la propriété est très morcelée et les parcelles sont en général petites. A Beaufort, 22 % des propriétaires possèdent entre 2,5 et 5 hectares, comme Claude Cohendet-Chapot. 57 % possèdent moins de 2,5 ha. et 21 % plus de 5 hectares. On voit donc, par comparaison, qu'il se situe dans la moyenne supérieure des propriétaires, le classant parmi la moyenne paysannerie.

A propos du mobilier, elle donne une synthèse fondée sur l'exploitation des inventaires après décès :
Les meubles, fabriqués le plus souvent par le paysan lui-même, visent à satisfaire les besoins élémentaires des habitants.
Les bois de lit figurent dans tous les inventaires sans exception. En général, chaque famille en possède au moins deux. Isolés du reste de la chambre par des rideaux, ces lits ne sont pas très confortables. Deux familles seulement détiennent des matelas de laine ou de grains ainsi que des paillasses. Les gens dorment sans doute directement sur le foin. Les traversins et couvre-lits demeurent très rares. On les trouve seulement chez les personnes aisées. Draps et couvertures par contre abondent, Ces dernières très chaudes sont fabriquées sur place grâce à la laine des moutons. Les peaux de ces animaux ainsi que celles des chèvres sont utilisées comme couverture l'hiver lorsqu'il fait bien froid. Dans chaque foyer, deux ou trois coffres contiennent les linges et vêtements de chacun. Munis d'une serrure, ils sont toujours soigneusement fermés à clef. [..]. Les tables, quelquefois rondes, mais le plus souvent rectangulaires, sont assez répandues. Comme tous les meubles d'ailleurs, elles se fabriquent en bois sapin, quelques unes peuvent être en noyer. Les chaises n'apparaissent qu'en 1780 ; pour s'asseoir les gens utilisent des tabourets et surtout de longs bancs. Ceux-ci sont disposés de façon à ce que leurs occupants bénéficient de la chaleur procurée par la cheminée. Les poêles n'existent pas et le seul moyen de chauffage est constitué par cette cheminée. A l'intérieur de celle-ci, la crémaillère attachée à un anneau, permet d'accrocher au-dessus du feu un chaudron en cuivre où l'eau chauffe en permanence. Les paysans possèdent au moins trois ou quatre de ces récipients. Ils sont de dimension variable, les plus gros pèsent dix kilos, les plus petits, un kilo et demi. L'eau est transportée, de la fontaine proche, à l'aide de bassins en cuivre ou de seaux en bois. La cuisine se fait sur l'âtre, en avant du feu, en profitant de la proximité de la flamme, grâce à des pots de fer. Ils sont eux aussi de dimension variable [...] Ils disposent également de marmites ou brons en fer ou fonte dans lesquelles ils font cuire la soupe.
Les ustensiles de ménage se révèlent assez nombreux. Les poêles à frire figurent dans tous les inventaires, ainsi que les écumoires et les grandes fourchettes de fer servant à saisir les légumes ou la viande. Couteaux à hacher, saladiers, terrines, salières, moutardiers et moulins à poivre, sont la propriété de personnages plus aisés.
Les pauvres comme les riches disposent pour manger de plats, d'assiettes, d'écuelles et cuillères en étain ou bois, qu'ils rangent soigneusement le repas fini dans le "rattelier" prévu à cet effet. La vaisselle de faïence existe, mais elle est un luxe réservé aux notaires et aux prêtres de Saint-Maxime. Chez ces notables, on peut aussi trouver des gobelets de verre et des tasses à café avec leurs soucoupes. Si les cuillères d'étain sont très répandues, les fourchettes exclusivement en fer demeurent encore une exception en 1750 ; en 1780 elles semblent être utilisées presque couramment. Les couteaux ne sont jamais mentionnés dans les inventaires. Ils ne se révèlent peut-être guère nécessaire car les paysans consomment, on va le voir, des aliments qui souvent ne nécessitent pas la présence d'un couteau.
Cette analyse permet de constater que Claude Cohendet-Chapot et sa famille vivaient dans la moyenne de leurs compatriotes, par l'équipement de leur foyer en mobilier et en ustensiles de cuisine, à l'exception déjà notée de la vaisselle. La frugalité des mœurs était alors partagée par presque tous.

Lien vers la généalogie de Claude Cohendet-Chapot : cliquez-ici.
Lien de parenté avec ce couple : cliquez-ici.

Je n'ai pas trouvé de représentation satisfaisante d'un intérieur savoyard au XVIIIe siècle. J'ai donc choisi de terminer ce message avec ce très célèbre tableau de Louis Le Nain : Famille de paysans dans un intérieur, daté des environs de 1642.
Je ne sais pas si la représentation est fidèle. La présence du vin, dans un verre qui détonne un peu par rapport aux autres biens et ustensiles, du pain et du sel peut laisser penser à un message symbolique ou religieux. Il ne faut donc pas y voir une peinture réaliste d'un intérieur paysan, mais, malgré cela, ce tableau m'évoque nos ancêtres paysans dans la simplicité de leur quotidien.


Complément :
A propos du mot « cornue », un lecteur m'a sympathiquement transmis cette information qui me donne une piste pour identifier cet objet :
« La cornue, ou comporte chez nous dans le sud, est un récipient de bois servant a transporter les raisins de la vigne à la cave. Ce nom de cornue vient du fait qu'il est équipé de deux supports ressemblant à des cornes. », avec cette image :