jeudi 23 mai 2024

Louis Duthu (1801-1864) et ses fils, entrepreneurs de transports et de déménagements à Beaune et Dijon

L’histoire de la famille Duthu est celle d’une ascension sociale qui permet de passer de modestes cultivateurs et journaliers de Saint-Martin-du-Mont, en Côte-d’Or, à des entrepreneurs actifs et prospères de Beaune et Dijon. L’artisan de cette ascension est notre ancêtre Louis Duthu [52] (1801-1864), avec ses trois fils Auguste [26] (1835-1897), Jules (1838-1894) et Adolphe (1840-1870).

Origine de Louis Duthu

Louis Duthu est né le 7 frimaire an X (28 novembre 1801) aux Bordes-Bricard, un hameau de Saint-Martin-du-Mont, un village à 25 km à l’ouest de Dijon. Il est le dernier des six enfants de Nicolas Duthu [104] (1760-1840) et Marie Duthu [105] (1765-1820) qui avaient eu douze enfants dont seulement six ont atteint l’âge adulte. Son père était un petit propriétaire cultivateur, aux Bordes Bricard, qui était parfois qualifié de laboureur et de manouvrier. Il a aussi été pendant quelques temps cabaretier dans ce même hameau (1795-1799), et garde forestier (1797-1811). À ce titre, en 1811, Nicolas Duthu est au service de Martin Lejéas-Carpentier, sénateur et comte de l'Empire.

Comme souvent, on ne sait rien des premières années de Louis Duthu. Ce que l’on pressent vite, et la suite de sa vie le confirme, est qu’il est mû par une ambition personnelle qui lui fait rapidement quitter son village natal. D’ailleurs, hormis sa sœur aînée, Françoise (1786-1871), qui est restée aux Bordes-Bricard où elle a épousé un certain Jean Duthu, cultivateur et cabaretier dans ce hameau, tous ses autres frères et sœurs se sont dispersés dans la région : Jean (1787-1864) est devenu cabaretier à Saint-Seine-l'Abbaye, le bourg le plus proche de Saint-Martin-du-Mont, Jean Baptiste (1793-1868) s’est installé d’abord à Besançon, puis ensuite à Gray, comme conducteur de diligences, aubergiste et cabaretier, Marguerite (1795-1862) a épousé un cordonnier, mineur et vigneron de Mesmont et, enfin, Marie (1797-1850) est devenue la femme d’un manouvrier de Velars-sur-Ouche, Pierre Ragonneau.

Louis Duthu, cabaretier et aubergiste, à Dijon et Beaune

Comme on l’a vu, il existait une certaine tradition de cabaretiers dans la famille. Louis Duthu, comme son père, son beau-frère, ses deux frères, est lui-aussi devenu cabaretier. 

Ce n’est qu’en 1834, au moment où il se marie, qu’on le retrouve comme marchand de vin et débitant, à Dijon, rue Saint-Nicolas (aujourd’hui rue Jean-Jacques Rousseau). Les qualificatifs de marchand de vin, de débitant et de cabaretier désignent tous la même activité de vente de boissons et surtout d’alcools et de vins au détail, en offrant parfois la possibilité de manger. Le 23 septembre 1834, il épouse Julie Cornemillot [53] (1810-1871) à la mairie d’Ouges, une commune de la périphérie de Dijon. Louis Duthu devait déjà avoir atteint une certaine aisance pour pouvoir épouser une jeune fille issue d’une famille plus notable que les Duthu. Le père, Jean Cornemillot, était un propriétaire cultivateur aisé d’Ouges. Il avait été maire de la commune de 1807 à 1817, après avoir succédé à son propre père. Le frère aîné de Julie Cornemillot, Pierre (1798-1879) était médecin, à Ouges. Un de ses frères, Jean (1806-1866) était libraire à Paris, avant d’avoir sa propre boutique à Évreux. Son frère François (1801-1853) était cabaretier et aubergiste à Ouges. Cet exact contemporain de Louis Duthu est peut-être celui qui a fait le lien entre celui-ci et sa sœur qui s’est conclu par ce mariage. Même si cela reste de la spéculation, on peut imaginer que Louis Duthu qui avait maintenant une position assurée comme marchand de vin à Dijon ait songé à fonder une famille. Comme on le faisait à l’époque, il a dû chercher dans son réseau de connaissances une jeune fille à marier dont le caractère et la situation sociale et économique étaient en accord avec ses aspirations. Certes, nous sommes en pleine période romantique, mais, pour les classes laborieuses, le mariage est d’abord une affaire économique. Probablement en reconnaissance de son rôle d’intermédiaire, François Cornemillot fait partie des témoins des jeunes mariés. De son côté, Louis Duthu est accompagné par son frère Jean, débitant à Saint-Seine-l'Abbaye, qui a peut-être été son mentor dans le métier de cabaretier. C’est d’ailleurs la dernière fois que l’on voit une relation entre Louis Duthu et un membre de sa famille. Autant les liens avec la famille Cornemillot ont été nombreux à cette génération et aux suivantes, autant il semble que Louis Duthu n’ait pas maintenu de relations avec sa propre famille, d’autant que les situations sociales de ses frères et sœurs et la sienne iront en s’éloignant de plus en plus au fil du temps et des générations.

Les jeunes mariés se sont installés au Faubourg-Raines où leur naissent leurs deux premiers enfants, Nicolas Auguste, le 5 juillet 1835 et François, le 16 novembre 1836. Ils sont maintenant aubergistes. Ils ont choisi de s’installer aux portes de la ville, à l’extérieur des remparts, dans un des faubourgs qui entouraient Dijon. L’auberge est bien située. Elle est en face de la porte d’Ouche qui permettait d’entrer dans la ville, près de l’hôpital général, de la rivière l’Ouche et au début de la route nationale qui conduisait à Beaune, Chalon-sur-Saône et Lyon. C’est dans ce même quartier que s’installera, quelques années plus tard, la gare de Dijon. L’histoire de la famille Duthu est liée au Faubourg-Raines depuis cette installation jusqu’à la fin du siècle.

Situation de l'auberge Duthu (1835-1837) sur un plan de Dijon de 1839

Comme le faisait beaucoup de familles, les enfants étaient mis en nourrice dès leur naissance. C’est ainsi que leur deuxième fils est placé chez un charpentier d’Ouges, Pierre Coquillet, où il est décédé à l’âge de quatre mois, situation tristement banale à l’époque.

Très vite, Louis Duthu et sa femme ont quitté Dijon pour Beaune où ils ont choisi de s’installer vers 1837 dans un lieu similaire, rue du Faubourg Saint-Nicolas. Là aussi, ils étaient aux portes de la ville, à l’extérieur des remparts, dans une rue qui se prolongeait au nord par la route nationale qui conduisait à Dijon en parcourant toute la zone viticole des côtes de Beaune et de la Côte d’Or. Dans ces faubourgs encore peu denses, il y avait suffisamment d’espace pour établir une vaste auberge avec des dépendances pour les chevaux et les voitures des voyageurs et pour entreposer si nécessaire des marchandises. Cette auberge de la rue du Faubourg Saint-Nicolas sera le point d’ancrage de la prospérité de la famille Duthu jusqu’à la fin du siècle.

Situation de la maison Duthu (auberge, puis entreprise de transports et déménagements), à Beaune

Détail de la situation de la maison Duthu dans le Faubourg Saint-Nicolas

Lors du premier recensement de la famille en ce lieu, en 1841, on dénombre le père, qualifié d’aubergiste, son épouse, Julie Cornemillot et leurs trois fils : l’aîné, Nicolas Auguste, né à Dijon, et Claude Jules et Jean Auguste Adolphe nés à Beaune respectivement le 8 février 1838 et le 17 septembre 1840. Ils ont quatre domestiques à leur service. Dans les recensements suivants, ce nombre variera de six en 1846, à trois en 1856. Et encore ne s’agit-il que des domestiques qui sont logés dans la maison qui servait aussi d’auberge. Le bâtiment existe toujours, au n° 39-41 de la rue du Faubourg Saint-Nicolas, sans que l’on sache de quelle époque date l’aspect actuel. Ce que l’on sait de façon certaine est que lors de l’établissement du cadastre en 1826, ce bâtiment implanté sur une parcelle de plus de 2 000 m2 comportait déjà une porte cochère comme aujourd’hui et comptait pas moins de vingt-huit portes et fenêtres (on rappelle qu’à cette époque, la contribution foncière des bâtiments dépendait de ce nombre). C’est dire déjà l’importance du bâtiment et on peut penser qu’il n’a guère changer depuis cette époque et que la façade actuelle sur la rue évoque ce que découvraient les voyageurs du XIXe siècle.

Maison Duthu, au 39 (à gauche) et 41 (à droite), rue du Faubourg Saint-Nicolas, à Beaune. La porte cochère donne accès à une cour où devaient se trouver les entrepôts, les remises et les écuries.

Louis Duthu, entrepreneur de déménagements

Dans le courant des années 1850, Louis Duthu s'est lancé dans le métier d'entrepreneur de transports en parallèle de son activité d'aubergiste.  C’est une évolution assez habituelle de passer du métier d’aubergiste à celui d’entrepreneur de transports. En effet, les auberges disposaient souvent de bâtiments permettant d’entreposer des marchandises ainsi que des écuries pour les chevaux des voyageurs. Ainsi, l’aubergiste disposait de toutes les facilités pour se faire lui-même transporteurs, d’autant que, par son métier, il fréquentait beaucoup de gens, avait une connaissance précise des flux de marchandises et de biens sur les routes, entre Beaune et Dijon. À cette première activité traditionnelle, il a rapidement donné une orientation plus spécifique en se spécialisant dans les déménagements, comme le prouve cette annonce de 1854, dans le Journal de la Côte-d’Or, dans laquelle il vantait ses « voitures de déménagements, vastes et couvertes », le tout à des « prix modérés. » 

Journal de la Côte-d’Or, du 6 mai 1854

Cette évolution de son activité est reflétée pour la première fois dans le recensement de 1861. Il n'est plus qualifié d’aubergiste, mais d’entrepreneur de roulage. Le terme un peu vieilli de roulage désigne tout simplement le transport de marchandises par des voitures tractées par des chevaux. Il est probable que dès la fin des années 1850, il a totalement abandonné l'auberge au profit du transport et déménagement. Le dernier qualificatif d'aubergiste se trouve en 1856. 

Il a donné tout de suite une dimension internationale à son activité en proposant des déménagements dans tous les pays. C’est la preuve qu’il disposait déjà d’un réseau de correspondants qu’il lui permettait d’assurer en toute sécurité des envois dans toute la France et l'Europe, mais aussi au-delà. En effet, de tels déplacements n’étaient possibles que par des relations de confiance avec des interlocuteurs qui pouvaient prendre en charge les voitures parties depuis Beaune. Dès le démarrage de son affaire, Louis Duthu a fait passer des annonces dans Le Courrier de la Saône-et-Loire, puis a trouvé un correspondant sur place. En 1859, il s’agissait de M. Crétin, tapissier, à Chalon-sur-Saône, et en 1866, de Lavaux, maître de poste, à Saint-Cosme, un quartier de cette ville, près de la gare et du fleuve.

Pour assurer encore plus de développement à l’entreprise, le fils cadet, Adolphe Duthu, est parti vivre à Dijon en 1863 où il s’est marié le 21 septembre de cette année-là avec Marguerite Daubourg. Ils se sont installés au cœur de la ville, au n° 4, de la rue Bassano (aujourd’hui rue Monge) et ont passé immédiatement des annonces dans les journaux pour vanter des « déménagements pour tous pays » et du « camionnage et transport de toute nature. » Ainsi, l’entreprise Duthu fonctionnait avec deux établissements, l’un à Beaune, l’implantation historique, et l’autre à Dijon, dans la préfecture du département qui était aussi un nœud ferroviaire qui permettait ensuite, via le train, d’envoyer des marchandises partout dans le monde. 

L'Union bourguignonne, du 30 janvier 1864

Si l’histoire précise des sociétés commerciales et des raisons sociales reste à faire, au début de l’année 1864, cette annonce nous assure que le père a laissé la main à ses fils qui collaborent alors sous le nom de « Duthu aîné et jeune », c'est à dire Auguste Duthu et Adolphe Duthu. Peut-être que Louis Duthu était malade depuis quelques temps et que, sentant la mort venir, il a organisé sa succession. Il décède en effet le 2 février 1864, à soixante-deux ans, assuré de la continuité de sa création.


Les frères Duthu

Durant la période qui va de 1864 à 1870, un premier changement de dénomination semble associer les trois frères puisque l’entreprise s’appelait désormais « Duthu frères » comme le démontre cette annonce de 1868 qui mettait en avant les voitures capitonnées et l’engagement personnel des frères Duthu dans les opérations d’emballage et de transport. 

L'Union bourguignonne, du 14 janvier 1868

Un autre changement important est la décision de la municipalité de Dijon de concéder l’administration des pompes funèbres à la maison Duthu frères en avril 1870. Si aujourd’hui, les activités de déménagements et de pompes funèbres semblent très distinctes, il y avait une certaine logique à ce qu’elles soient prises en charge par la même entreprise. En effet, dans les deux cas, il fallait disposer de voitures, de chevaux, donc de remises et d’écuries, puisque les pompes funèbres étaient d’abord un travail de transport depuis le domicile mortuaire jusqu’au cimetière, la préparation des corps et les toilettes mortuaires étant de la responsabilité de la famille ou de l’hôpital. Une annonce pour rechercher du personnel en 1876 nous renseigne qu’ils employaient pour cela « un brigadier porteur et des porteurs ». Parmi ses attributions, la maison Duthu frères devait prendre en charge les funérailles des indigents, en fournissant les cercueils et en assurant le transport, dont les coûts leur étaient ensuite remboursés. En revanche, ils ne prenaient pas en charge le creusement des tombes.

Quelques mois après le décès de son père, le fils aîné, Auguste Duthu, a épousé la fille d’un professeur du collège de Beaune, Pauline Poirier [27] (1844-1895). Le mariage a eu lieu à Beaune le 28 novembre 1864, bientôt suivi par la naissance de leurs deux premiers enfants : Louis Auguste Napoléon, le 29 août 1865, habituellement prénommé Auguste, et Adolphe Louis, le 14 mai 1867. La famille Duthu a toujours voué une grande admiration à Napoléon et cultivera une tradition bonapartiste. Pendant trois générations, de nombreux garçons auront Napoléon parmi leurs prénoms. Quant au cadet des frères, Adolphe, il a d’abord un fils, Louis Jules Auguste Adolphe, habituellement prénommé Jules, le 14 août 1866, à Dijon, puis une fille, Pauline Armande, qui ne vivra que deux ans et neuf mois.

La mort d’Adolphe Duthu

La foi bonapartiste des frères Duthu aurait pu être ébranlée par les événements de l’année 1870. Il semble que cela n’a pas été le cas. Au moins deux des frères sont engagés dans la guerre contre la Prusse qui débute en juillet 1870. Des combats ont lieu à Dijon les 29 et 30 octobre 1870. Adolphe Duthu qui s’était enrôlé dans une compagnie de gardes nationaux volontaires (la compagnie Blavier) est tué dans l’après-midi du 30 sur la route de Gray comme le rapporte Clément-Janin, dans son Journal de la guerre de 1870 1871 à Dijon et dans le département de la Côte-d'Or :


Dans son manuscrit sur les événements de 1870 dans la Côte-d’Or, son cousin Émile Cornemillot apporte cette précision sur les circonstances du décès d'Adolphe Duthu :

Sur ce manuscrit, voir cet article

Quant à Jules qui semble s’être engagé dans l’armée, il a participé aux combats du 18 décembre 1870, sur le plateau de Chaux, pour défendre la ville de Nuits-Saint-Georges, contre l’armée prussienne.

En mourant, Adolphe Duthu laissait une jeune veuve de vingt-quatre ans et deux enfants, un fils, Jules, âgé de quatre ans et une fille, âgée d’un an et demi qui devait mourir quelques mois plus tard. Ce décès était de nature à désorganiser l’association des deux frères Auguste et Adolphe. Sa veuve, Marguerite Daubourg, semble avoir repris la responsabilité de sa part de l’entreprise car elle est qualifiée d’administratrice des pompes funèbres en octobre 1871. Mais, un événement comme parfois les histoires familiales en abritent va venir modifier la vie de la jeune veuve, de son beau-frère Jules, alors sous-lieutenant d’infanterie, et partant de là, l’organisation de l’entreprise. En avril 1871, la veuve Duthu est enceinte. De qui ? L’histoire ne le dit pas. Ce qui est assuré par l’état civil est que son beau-frère Jules a alors démissionné de l’armée et que, lorsque Marguerite Daubourg, veuve Duthu, a accouché d’une fille à Dijon le 11 janvier 1872, il a reconnu l’enfant. Etait-il le père biologique ? Peut-être. A-t-il sacrifié sa carrière militaire pour donner un père légitime à cette enfant à défaut d'en être le père biologique et sauver les apparences ? Peut-être aussi. Jules Duthu et Marguerite Daubourg se sont mariés à la mairie de Dijon le 3 février 1872 et ont ainsi légitimé leur fille. Comme il s’agissait d’un mariage entre beau-frère et belle-sœur, un décret était nécessaire pour l'autoriser. Il est signé par le président de la République à Versailles, le 28 décembre 1871. Leur fille qui porte les prénoms de sa grand-mère paternelle et de sa mère, Julie Marguerite (mais on l’appellera Marie), a désormais une famille qui respecte les principes de la respectabilité bourgeoise.

Un esprit prompt aux rapprochements pourrait noter que cette enfant a été conçue au début du mois d’avril 1871 qui correspond à la date du décès de Julie Cornemillot, veuve Duthu. Le sous-lieutenant Jules Duthu, venu en congé auprès de sa mère mourante ou pour les funérailles, a-t-il trop chaleureusement consolé sa belle-sœur qui avait perdu quelques mois auparavant son mari, puis perdait maintenant sa belle-mère. À l’inverse, Jules Duthu, inconsolable, a-t-il trouvé du réconfort auprès de sa belle-sœur ? Ce ne sont que des conjectures. Nous nous en tiendrons aux faits.

L’entreprise de déménagements Duthu frères

Ce mariage et ce retour de Jules Duthu au sein de l’activité familiale a été l’occasion de remettre en place cette organisation bicéphale de l’entreprise de déménagements Duthu, avec toujours les deux pôles, à Beaune, avec Auguste Duthu, et à Dijon, maintenant avec Jules Duthu, qui assurait en plus l’administration des pompes funèbres de la ville de Dijon.

Le Bien public, du 30 juillet 1873

Sur cette période qui va de 1872 jusque vers 1894, les documents et témoignages que l’on possède laissent entrevoir une entreprise prospère et reconnue qui n’hésitait pas à innover afin d’offrir le meilleur service à ses clients. Il semble aussi que les deux frères s’entendaient parfaitement, autant que l’on puisse en juger plus de cent-cinquante ans plus tard. Pendant ces quelques vingt-deux ans, le seul changement notable dans l’organisation est l’installation de la branche dijonnaise dans de nouveaux locaux, probablement mieux adaptés à l’activité. Les frères Duthu ont fait construire une maison au n° 1, de la rue de l’Arquebuse, à l’angle avec la rue du Faubourg-Raines, renouant, quarante ans plus tard, avec les lieux des débuts de Louis Duthu à Dijon. Ils se trouvaient proches de la gare, ce qui était indispensable à leur activité.

Maison Duthu, à Dijon, 1, rue de l'Arquebuse

En octobre 1875, ils l’ont annoncé à leurs clients par un double encart pour leurs deux métiers : « Administration des pompes funèbres » et « Administration générale de déménagements ». 

Le Bien public, du 12 octobre 1875

Derrière leur maison, ils avaient une cour et des remises qui leur permettaient de ranger leurs voitures et d’héberger leurs chevaux avec plus de facilité que rue Bassano [rue Monge] qui se trouve au centre de Dijon. Une annonce de 1876 pour vendre du fumier nous indique que leur écurie pouvait héberger trois chevaux. Ils ont continué à innover et moderniser leur flotte de véhicules. Ils proposaient désormais à leurs clients des fourgons amovibles qui pouvaient être tractés par des chevaux, mais aussi placés sur une plate-forme de wagon. C’est cela qui leur permettait d’offrir des déménagements sur des longues distances en toute sécurité pour les marchandises transportées. Le bel en-tête de cette facture de 1880 montre ce dispositif ingénieux. 


Preuve qu’ils avaient aussi leurs entrées dans la presse locale, un petit article de juillet 1877 leur faisait une promotion discrète et sûre :

 

Le Bien public, du 26 juillet 1877

Un autre article tout aussi louangeur et discrètement promotionnel de novembre 1881 présentait le « wagon capitonné qui a été baptisé le Préféré et qui mérite ce nom à juste titre. C’est un magasin dont les murs sont rembourrés de chanvre, qui porte à des hauteurs différentes des tasseaux permettant de le cloisonner, de le doubler, de le tripler ». La qualité du service était reconnue. En 1880, après que la ville de Dijon a accepté le legs de la collection d’Anthelme et Edma Trimolet, c’est l’entreprise Duthu Frères qui s’est chargé du transport des précieux objets d’art depuis Lyon. Quelques années plus tard, ils se chargeront de la collection Borthon.

La concession des pompes funèbres était régulièrement renouvelée par la municipalité de Dijon. Il ne semblait pas y avoir de concurrence, ni de mécontentement de la part de l’administration. En 1882, sur la foi d’un simple rapport d’un conseiller municipal, le traité de concession est prorogé, visiblement sans discussion.  Souvent, lors de funérailles de personnalités, la presse relevait la qualité du service offert. Pour les funérailles du colonel Trinité, en janvier 1884, les frères Duthu, « qui, depuis quatorze ans font le service des pompes funèbres avec tant de convenance et d’exactitude » ont transformé une prolonge d’artillerie (voiture servant au transport des munitions) en corbillard. En 1885, le cahier des charges est revu, puis adopté par le conseil municipal le 6 février. Le 24 avril, assez logiquement, les frères Duthu ont remporté la nouvelle adjudication. Ils ont proposé un rabais de 41 % alors que le seul concurrent ne proposait « que » 40 %. Ils ont mis à profit ce renouvellement, qui s’accompagnait de l’obligation de transporter les défunts vers le nouveau cimetière de Dijon, pour moderniser leur matériel, construit « avec soin et goût », avec une « voiture de première classe [qui] est tout à fait riche » et faire refaire une quarantaine de costumes pour les cochers et les porteurs par un tailleur de Dijon. Nous n'avons pas d'images des différents corbillards utilisés par les frères Duthu, ni d'obsèques à Dijon organisées sous leur responsabilité. Ces trois illustrations donnent un aperçu de ce qui ce faisait à l'époque dans d'autres entreprises ou d'autres villes :

Corbillard de 1re classe

Obsèques du maire de Strasbourg, en 1897.

Toujours à la pointe de l’innovation, lorsque le téléphone est installé à Dijon, ils font partie des premiers abonnés. À partir du 1er octobre 1890, on peut joindre les frères Duthu en demandant le n° 90.

Seule ombre au tableau, il est souvent fait mention dans la presse d’accidents plus ou moins graves concernant des voitures ou des personnes de la maison Duthu frères. Cela ne leur semble pas être particulier, mais probablement explicable par une moindre fiabilité du matériel et une culture moins développée de la sécurité, tant de la part des dirigeants, que des employés et des clients. Par ailleurs, de nombreux accidents sont provoqués par les chevaux qui s’emballent ou font des écarts. Ils pouvaient être sans conséquence comme ce garçon de cinq ans renversé en 1886, rue Monge, par un camion appartenant à Duthu frères qui en a été quitte pour la peur. En revanche, on compte quelques décès comme celui-ci relaté par le Bien public, le 30 mai 1877 : « Le domestique de M. Duthu passait au faubourg Bretonnière avec une voiture de déménagement. Le cheval de tête s’étant emporté, le conducteur essaya de le retenir. Un mouvement violent de recul jeta le pauvre homme sur le timon. Frappé aux reins et renversé, il fut littéralement écrasé par les larges roues de l’énorme véhicule. ». Autre décès qui aurait pu être évité, celui d'un enfant de douze ans qui est mort en 1886 après être monté par jeu dans la civière d’une voiture de déménagements et qui a voulu sauter en marche. Il a eu la tête broyée. Le conducteur n’avait rien vu. Enfin, dernier exemple, mais cette recension n'est pas exhaustive, en 1890, une femme « remettait un paquet à la voiture de M. Duthu, déménageur à Beaune, lorsque ce paquet vint à tomber, alors elle se précipita pour le retenir, mais au même moment elle tomba et la roue de la voiture lui passa sur le corps. » Heureusement, tous les accidents ne sont pas aussi dramatiques. En 1893, une voiture qui ramenait plusieurs personnes d’un enterrement a versé près du cimetière de Dijon. « M. Duthu, prévenu aussitôt, a offert aux personnes blessées les soins d’un médecin, mais elles ont refusé répondant qu’elles n’en avaient nul besoin. »

Comme dans beaucoup d'entreprises à l'époque, les frères Duthu étaient paternalistes et ils considéraient leurs meilleurs ou plus fidèles employés comme appartenant à la famille. Étienne Jacotot, né en 1851, est entré au service des frères Duthu vers 1870. En octobre 1871, il est témoin du décès de la fille de Jules et Marguerite Duthu. Ensuite très souvent, il sera appelé à être témoin pour des actes de naissance ou de décès, mais la consécration, ou le signe tangible de son intégration dans la famille, est le jour où il est un des quatre témoins lors du mariage d'Émile Hérault et Marie Duthu, en 1895. Il est vrai que son rôle au sein de l'entreprise a été déterminant pour la bonne marche des affaires, en particulier pour les pompes funèbres. Un article du Bien public, d'août 1894, relève l'« intelligente direction de M. Jacotot » et un autre « le tact et à la serviabilité du représentant de la maison. » En 1927, son nom apparaît sur le faire-part de décès d'Auguste Duthu, comme s'il appartenait à la famille. Après la disparition de l'entreprise Duthu, il continuera à travailler pour l'entreprise de transports Régis Martelet. Lorsqu'il décède en 1931, à quatre-vingts ans, il travaille encore pour eux, après soixante de service. Belle longévité !

Pendant cette période, les familles s’agrandissent. Auguste Duthu et Pauline Poirier ont une fille qui naît à Beaune le 11 décembre 1875, Berthe Julie Amélie qui porte les prénoms de ses deux grands-mères. C’est notre arrière-grand-mère. De leur côté, Jules Duthu et Marguerite Daubourg ont deux autres filles qui ne vivent que quelques mois, un enfant mort-né et enfin un fils, né à Dijon le 17 juillet 1877 qu’ils appellent Napoléon Paul Auguste Eugène, mais que l’on appellera plus simplement Marcel.

Les dernières années de l’entreprise Duthu frères (1890-1897)

Au tournant des années quatre-vingt-dix, des changements vont affecter l’entreprise des frères Duthu. Même si cela ne remettait pas en cause la concession des pompes funèbres, certains, au conseil municipal, commençaient à s’émouvoir du monopole qui leur avait été concédé. Dans un journal de l’opposition socialiste, un rédacteur anonyme mettait au défi les conseillers municipaux : « si les radicaux sont aussi socialistes que cela, rappelons-leur que bientôt ils auront à discuter la question du monopole des pompes funèbres qui procure de scandaleux bénéfices à la maison Duthu » (La Revue sociale, paraissant à Dijon, du 1er novembre 1890). En définitive, leur administration est confirmée jusqu’en 1894 qui correspond au terme des neuf années du contrat initial confié en 1885. Contractuellement, elle aurait pu cesser en 1891, au terme de six années, mais un vote du conseil municipal en comité secret a autorisé les frères Duthu à accomplir la deuxième période de leur adjudication. Cette affaire est largement commentée dans la presse locale, ce qui montre que l’état d’esprit a changé. La concession de ce monopole aux frères Duthu n’allait désormais plus de soi. Même si cette autre affaire était de moindre importance, la Chambre syndicale des maîtres imprimeurs, typographes et lithographes de Dijon est obligé de rappeler aux familles qu’elles étaient libres de faire imprimer les faire-part par qui elles le souhaitaient et pas nécessairement par les pompes funèbres…

À Beaune, Auguste Duthu commençait peu à peu à se désengager de l’entreprise de transports et déménagements pour s’occuper de négoce de vins. En mars 1892, il a cédé l’activité de camionnage et roulage de Beaune, en ne gardant que l’activité de déménagements. Il est obligé de passer plusieurs annonces dans le Journal de Beaune pour clarifier cela, car l’acquéreur, M. Benoit, s’était empressé d’expliquer qu’il proposait aussi des déménagements. La confusion pouvait s’installer dans les esprits.

Les changements les plus importants vont être provoqués par la succession de deuils qui va frapper la famille, en quatre ans, entre juin 1893 et juillet 1897, et mener à la disparition de l’entreprise Duthu Frères.

En juin 1893, Marguerite Daubourg faisait un voyage dans les Pyrénées avec sa fille Marie, lorsqu'elle est tombée malade. Elle est morte en quelques jours d’une angine, à Lourdes, le 11 juin 1893. Son mari, visiblement très affecté par ce décès, ne lui a survécu que dix mois. Il est mort le 13 avril 1894 d’une congestion pulmonaire dans sa propriété de Ladoix-Serrigny où il était parti se reposer. L’article du Progrès de la Côte-d’Or, du 15 avril 1894 qui rapportait ce décès rappelait les services qu’il avait rendus comme administrateur des pompes funèbres à Dijon où « tout le monde se plaisait à rendre hommage à son obligeance » et concluait que « c’était un homme de bien qui laisse d’unanimes regrets. » Ce même article relevait que « sa charité était sans borne », ce qui était une attitude très habituelle dans ces familles de la bourgeoisie catholique : « les pauvres, et plus particulièrement ceux du quartier de la porte d’Ouche, perdent en lui un fidèle soutien. » Il appartenait au comité d’organisation d’une œuvre caritative locale dont le nom dit bien l’objet : « Œuvre de la bouchée de pain ».

Ce décès coïncidait avec la fin de la période de neuf ans de concession des pompes funèbres de Dijon. Visiblement, ni son frère Auguste, ni son fils Jules ne souhaitaient soumissionner pour une nouvelle période, d’autant plus que les conditions financières s’avéraient moins intéressantes pour le concessionnaire.  À partir du 1er juillet 1894, c’est désormais la Compagnie parisienne des Pompes funèbres qui a en charge ce service pour lequel ils ont repris le matériel et le personnel des frères Duthu.

D’ailleurs Auguste Duthu continuait à s’intéresser à d’autres affaires. En août 1894, il a participé à la création d’une nouvelle société dans laquelle il a investi, la « Société Linière de Dijon » dont l’objet était l’exploitation d’une filature de lin. Il était l’un des trois administrateurs.

Malgré le décès de Jules Duthu père, l’entreprise Duthu frères va tout de même continuer à exercer son activité pendant quelques temps. En octobre 1894, les bureaux de l’entreprise ont quitté la rue de l’Arquebuse pour retourner dans le centre de Dijon, au 14, place d’Armes. Ils sont correspondants à Dijon de la Compagnie Générale Transatlantique, la compagnie maritime en charge de tous les échanges par bateau avec les États-Unis.

Le Progrès de la Côte-d’Or, du 26 mars 1894

En janvier 1895, deux nouvelles sociétés sont créées. L’une avait pour objet de poursuivre l’activité de transports, camionnage et déménagements. C’est le fils aîné d’Auguste Duthu père, Auguste fils, et le seul fils majeur de Jules Duthu père, qui s’appelle aussi Jules, qui se sont associés sous la raison sociale « Duthu aîné et fils ». Le siège social se trouvait au 81, rue du Faubourg-Raines, proche de la rue de l’Arquebuse, dans cette rue où avait débuté Louis Duthu soixante ans plus tôt. L’autre société avait pour objet le négoce de vins. Elle associait Auguste Duthu père et Adolphe Duthu, son second fils, sous la raison sociale « Duthu père et fils », dont le siège se trouvait à Beaune, dans la maison Duthu, au 39, rue du Faubourg Saint-Nicolas. Cette nouvelle organisation montre bien que le seul frère Duthu survivant se désengageait du métier historique de la famille pour s’orienter vers une nouvelle activité.

Les deuils vont continuer à frapper la famille. Pauline Poirier, l’épouse d’Auguste Duthu et mère d’Auguste, Adolphe et Berthe, souffrait d’un cancer de l’utérus. Son mari lui a offert les meilleurs soins en la faisant admettre dans une clinique privée (une maison de santé, dans la terminologie de l'époque) tenue par les Sœurs augustines de Meaux, à Paris, 16, rue Oudinot. La pension est de trois-cents à six-cents francs par mois. Elle y est morte le 18 juin 1895, à l’âge de cinquante-et-un ans.

Maison de santé des Sœurs augustines de Meaux, à Paris (VIIe), 16, rue Oudinot

C’est probablement à la suite de ce décès qu’Auguste Duthu a quitté Beaune et est allé s’installer à Dijon, au 81, rue du Faubourg-Raines, avec son fils aîné Auguste et sa fille Berthe. Au début de 1896, ils y sont recensés. Le fils cadet, Adolphe, qui s’est marié avec Clarisse Jolibois le 16 juillet 1894 à Évreux, vivait désormais dans cette ville, chez ses beaux-parents. Berthe Duthu n’a pas tardé non plus à se marier avec un pharmacien du même quartier de la Porte d’Ouche, Gabriel Magron, propriétaire depuis peu d’une officine au 112, rue Monge. Les noces ont eu lieu le 16 avril 1896 à Beaune (voir cet article sur Gabriel Magron et Berthe Duthu).

Le 20 octobre 1895, on retire un cadavre du canal de Bourgogne, près de la gare de Dijon. Après enquête, il s'agit de Simon Bourset, âgé de soixante-dix ans, qui a mis fin à ses jours. La presse relève qu'il travaillait pour les frères Duthu depuis trente-quatre ans, soit depuis 1861. Il avait donc connu le père, puis les trois frères. Il habitait avec sa famille dans l'immeuble même de l'entreprise, au 81, rue du Faubourg-Raines. Sous la nouvelle direction des petits-fils, cette fidélité ne semble pas avoir été récompensée car, comme le rapporte un des articles : « À la suite d’un différend avec un de ses patrons, il venait de recevoir son congé. » N'ayant pas supporté l'offense, il s'est suicidé. Cette histoire montre probablement que la nouvelle génération n'avait pas le discernement des générations précédentes, ce que la presse, en filigrane, sous-entend. Certes, les différents articles qui relatent l'affaire ne donnent pas explicitement tort à la nouvelle direction, mais en insistant sur les mérites de l'employé renvoyé, ils le laissent clairement entendre.

Le 3 février 1897 marque la fin de l’entreprise de transports et déménagements Duthu frères. Ce jour-là, les deux cousins, Auguste Duthu fils et Jules Duthu fils ont acté la dissolution de la société créée deux ans plus tôt pour poursuivre l’activité familiale fondée par leur grand-père Louis Duthu soixante ans plus tôt. Certes, l'entreprise ne disparaît pas complètement, car elle est reprise par le transporteur R. Volle. La renommée des établissements Duthu frères était telle que les annonces du nouveau repreneur conservaient en grand la marque « Duthu frères » et, en plus petits caractères, précisaient « R. Volle, successeur », comme dans celle-ci parue en février 1898. 

Le Bien public, du 22 février 1898

En mai 1898, la « Compagnie internationale de déménagements, transports et camionnage de Dijon » a fusionné les entreprises Duthu (Volle successeur), Régis Martelet et Marchand. Peu à peu le nom de Duthu disparaît.

Auguste Duthu, le dernier des frères Duthu, a disparu brutalement à Dijon le 5 juillet 1897, le jour de ses soixante-deux ans. Un petit article du Bien public, précisait les circonstances du décès : 

Nous apprenons avec regret, la mort de M. Auguste Duthu, l’ancien entrepreneur de messagerie bien connu, demeurant rue Saint-Philibert, 38.
M. Auguste Duthu est décédé subitement hier matin, à 5 heures, des suites d’une hémorrhagie provoquée par une opération qu’il avait subie dernièrement. Rien ne faisait prévoir un dénouement aussi prompt car la veille, M. Duthu, qui était âgé de 62 ans, avait vaqué à ses occupations habituelles, et avait terminé sa soirée comme il avait coutume de le faire. 

Le Journal de Beaune relatait le décès sur un ton plus personnel et chaleureux :

Quoique souffrant depuis longtemps, rien ne faisait prévoir une fin aussi proche.
Bienveillant, serviable au possible, d'un caractère gai et toujours égal, M. Duthu ne comptait à Beaune que des amis.

Généalogie simplifiée de la famille Duthu

Avec ce décès, se clôt un chapitre de l’histoire de la famille Duthu. Les trois frères Duthu, Auguste (1835-1897), Jules (1838-1894) et Adolphe (1840-1870) ont eu au total six enfants dont on peut brièvement évoquer la vie et la descendance :

Enfants d'Auguste : Auguste (1865-1927), Adolphe (1867-1936) et Berthe (1875-1955). Pour les deux premiers, un article, qui reste à écrire, relatera leur vie. Quant à Berthe Duthu, je vous renvoie à mon article sur Gabriel Magron et Berthe Duthu

Enfants de Jules : la fille aînée, Marie (Marguerite Julie, dite) (1872-1921) a épousé Émile Hérault. J'ai eu l'occasion de consacrer un article à ce couple : Marie Duthu et Émile Hérault. Le fils, Marcel (1877-1962), a été pendant de longues années agent général d'assurances à Nevers. Il s'est ensuite retiré à Prémery, dans la Nièvre. De son mariage avec Alice Bidault (1880-1963), il n'a eu qu'un fils, Paul (Marcel Paul Napoléon Jules, de tous ses prénoms) (1904-1960) qui lui-même n'a eu qu'une fille, Paulette Duthu (1931-2021) qui est décédée récemment sans descendance.

Enfant d'Adolphe : Jules (1866-1915). Après avoir liquidé l'entreprise de transports en 1897, il a vécu quelques temps à Dijon où il est recensé pour la dernière fois en 1901, comme représentant de commerce. Il est ensuite allé vivre à Blois où il a travaillé pour Raoult, un entrepreneur de transports. Il est décédé à l'Hôtel-Dieu de cette ville, le 15 avril 1915. Il est alors qualifié de camionneur, à Blois et habitait au 1, ruelle d'Angleterre. Il avait quarante-huit ans et était resté célibataire.

 Lien vers la généalogie de Louis Duthu : cliquez-ici.

samedi 4 mai 2024

Gabriel Magron (1869-1946), pharmacien à Dijon et Roubaix et Berthe Duthu (1875-1955)

Gabriel (Marie Jules Gabriel) Magron [12] est né à Prauthoy le 8 février 1869, fils de Jules Magron [24] (1818-1892) et de sa deuxième épouse, Céline Prodhon [25] (1831-1909).

Gabriel Magron (1869-1946)

Du côté de son père, la famille Magron est originaire des Vosges. Son grand-père, Barthélemy [48], est né à Vexaincourt en 1787. Il a perdu ses parents jeune. On le retrouve vers 1809 à Is-sur-Tille, une commune de la Côte-d’Or au nord de Dijon, où il est cordonnier. Comment et pourquoi est-il arrivé là ? On ne sait pas le dire. En novembre 1810, il épouse une jeune fille du bourg, Marie Mathieu [49] (1786-1847), elle-même fille de cordonnier. Après la naissance d’un premier enfant, Barthélemy Magron et Marie Mathieu s’installent à Prauthoy, un bourg au nord de Dijon, dans la Haute-Marne sur la route nationale qui mène à Langres. Il y exerce le métier de cordonnier jusqu’à son décès en 1855. Son fils Jules suit les traces de son père, mais très vite, il devient épicier et buraliste à Prauthoy. Jusqu’à son décès en 1892, il exercera cette activité qui lui a permis d’accéder à une aisance certaine.

Jules Magron s’est marié deux fois. Avec sa première épouse, Zélia Dargentolle (1820-1861), il a eu trois enfants : Louise (1851-1942), Ernest (1852-ap. 1922) qui semble avoir eu une vie aventureuse, entre Prauthoy, Reims et la Belgique (Liège, Mons) où il a fait souche et Marie (1857-1931), restée célibataire. Nous reparlerons de Louise.

Tombe de la famille Magron, à Prauthoy

Après le décès de sa femme, Jules Magron a épousé en 1866 Céline Prodhon, une demoiselle de magasin de Langres, fille aussi d’épicier, donc probablement une connaissance de Jules Magron. Toute l’ascendance de Céline Prodhon se situe à Langres et aux alentours (voir en particulier cet article sur la famille de sa mère, les Sommier).

Jules Magron et Céline Prodhon ont eu trois enfants : Gabriel, notre arrière-grand-père, Jeanne (1870-1940) qui a épousé un receveur de l’enregistrement, Lucien Depardieu, et enfin, Camille (1876-1940), qui est célèbre pour son don des langues. Traducteur-juré auprès du tribunal de Paris, il se disait capable de parler treize langues.

Annuaire du commerce Didot-Bottin, 1923

Excelsior, du 27 mars 1934

On ne sait rien de l’enfance et de l’éducation de Gabriel Magron. Dès le recensement de 1881, alors qu'il n'a que douze ans, il a déjà quitté la maison familiale de Prauthoy, probablement parce qu'il est interne dans un collège de Dijon. Peut-être est-ce Saint-François-de-Sales, une école religieuse de Dijon, comme plus tard son frère Camille, dont le nom apparaît dans les bulletins de l’école. Il n'est pas plus présent dans sa famille en 1886, mais c'est qu'alors, il s'est engagé dans un cursus de formation pour devenir pharmacien.

Pourquoi a-t-il choisi la pharmacie ? Il est probable que l’exemple de son beau-frère a pu susciter en lui cette vocation. En effet, sa sœur aînée Louise, a épousé en 1872 un pharmacien de Langres, Charles Sommelet (1843-1926), qui tenait une officine place Ziegler depuis au moins 1872.

La pharmacie Sommelet est à droite. La librairie Sommier, au milieu, était tenue par des  cousins de Céline Prodhon.

Peut-être que Charles Sommelet a pris son beau-frère, qui avait l’âge d’être son fils, en stage ? Dans tous les cas, il a aussi suscité des vocations chez ses trois fils. L’aîné, Marcel Sommelet (1877-1952), est devenu un brillant pharmacien d’hôpital et un des spécialistes français de la chimie organique. Il a donné son nom à une réaction chimique (notice sur Marcel Sommelet). 

Marcel Sommelet (1877-1952)

Les deux autres fils de Charles Sommelet et Louise Magron ont aussi suivi les traces de leur père. L’aîné, Jules (1873-1893), est décédé encore étudiant en pharmacie et le cadet, Henry (1883-1950), a tenu la pharmacie de la place Ziegler jusqu’en 1949, ce qui représente plus de soixante-quinze ans de la famille Sommelet, pharmaciens à Langres, entre le père et le fils.

Le cursus de formation pour être pharmacien se décomposait en trois ans de stage dans une officine, puis trois ans d'école (voir le détail ici). Pour s'engager dans ces études, il fallait avoir plus de seize ans et justifier soit du baccalauréat, soit d'un certificat d'études de l'enseignement secondaire spécial. Gabriel Magron a donc pu débuter son stage en juillet 1885 ou juillet 1886, peut-être chez son beau-frère, à Langres, ou, plus probablement, dans une pharmacie de Dijon. Comme on le verra, il n'avait probablement pas le baccalauréat. Le stage était validé lors d'un examen où l'on demandait à l'élève : 1° La préparation d'un médicament composé, galénique ou chimique, inscrit au codex ; 2° Une préparation magistrale ; 3° La détermination de trente plantes ou parties de plantes, appartenant à la matière médicale, et de dix médicaments composés ; 4° De questions sur diverses opérations pharmaceutiques. Il a ensuite pu intégrer en 1889 l'École préparatoire de Médecine et de Pharmacie de Dijon qui menait au diplôme de pharmacien de 2e classe. S'il avait eu le baccalauréat, il aurait pu viser le diplôme de pharmacien de 1re classe. Il obtient brillamment son diplôme à la session de novembre 1892 avec la mention "très bien" aux trois examens :

Nouvelle Bourgogne, du 26 novembre 1892

Ces trois examens sont : 
Premier examen :
     1° Epreuve pratique d'analyse chimique ;
     2° Epreuve orale sur la physique, la chimie, la toxicologie et la pharmacie.
Deuxième examen :
     1° Epreuve pratique de micrographie ;
     2° Epreuve orale sur la botanique, la zoologie, la matière médicale, l'hydrologie, la minéralogie.
Troisième examen :
     1° Epreuve orale sur les matières premières de cinq préparations chimiques et de cinq préparations de pharmacie galénique.
     2°  Préparation de cinq compositions chimiques et de cinq compositions de pharmacie galénique (Nota : La pharmacie galénique, du nom du célèbre médecin grec du IIᵉ siècle, Galien, est la science et l'art de préparer un principe actif pour le rendre administrable au patient sous une forme qualifiée de galénique. Comprimé, pilule, sachet, solution injectable, suspension, liposome sont des exemples de formes galéniques.)

C'est peu de temps avant son examen qu'il perd son père, en avril 1892. Il se rend avec son demi-frère Ernest à la mairie de Prauthoy pour déclarer le décès. Très logiquement, il est qualifié d'étudiant en pharmacie à Dijon. Nous savons qu'il habitait alors à Dijon, 52, rue des Forges. C'est aussi comme cela qu'il est qualifié lors du recensement des jeunes gens pour la conscription militaire, en 1889. Il est d’ailleurs réformé pour une « pointe de hernie à gauche ». Sa fiche matricule nous le décrit ainsi : cheveux et sourcils blonds, yeux bleus, front rond, nez droit, bouche petite, menton rond et visage ovale. Il mesure 1,67 m.

Muni de son diplôme, Gabriel Magron travaille probablement dans une des pharmacies de Dijon, comme employé. Le 18 septembre 1895, il achète au pharmacien Vital Guyétand son établissement situé à Dijon, 112, rue Monge, la « Pharmacie de la Porte d’Ouche », au prix de 35000 francs pour le fonds de commerce et 10000 francs pour les marchandises. Cette transaction inclut le bail du local et du logement associé au-dessus. N'ayant pas d'épargne disponible, il s'engage vis-à-vis de son vendeur à le payer en dix échéances de 4500 francs, à partir du 1er octobre 1896. 

Il prend possession des lieux le 1er octobre 1895 et à partir de ce moment-là, il habite à cette adresse. Au début de 1896, il est aidé par un élève pharmacien, Ernest Baudin, qui deviendra ensuite son employé.

Vue actuelle (juin 2024) du 112, rue Monge, à Dijon (au centre de la photo).

Désormais installé, Gabriel Magron se marie le 9 avril 1896 à Beaune avec Berthe Duthu, née dans la même ville le 11 décembre 1875, fille d'Auguste Duthu (1835-1897) et Pauline Poirier (1844-1895). Auguste Duthu et son frère Jules Duthu possédaient une entreprise de transports et de déménagements dont les bureaux et les entrepôts se trouvaient à Beaune et Dijon (sur la famille Duthu, voir cet article).

Beaune, 39, rue du Faubourg Saint-Nicolas, maison Duthu, où est née et a vécu Berthe Duthu

Berthe Duthu a vécu à Beaune jusque vers 1896, date à laquelle son père, désormais veuf, est venu s'installer avec sa famille à Dijon. En 1896, ils y sont recensés au 81, rue du Faubourg Raines, non loin de la rue Monge où, au même moment, Gabriel Magon était pharmacien. Ils étaient donc tous les deux des habitants du quartier de la Porte d'Ouche, mais, à cette époque et dans ce milieu, cela ne suffisait pas pour se rencontrer et se marier. Probablement grâce aux nombreux réseaux et organisations de sociabilité, les deux jeunes gens ont été mis en relation. Pour donner un exemple, l'oncle de Berthe Duthu, Jules Duthu, et Vital Guyétand, qui avait vendu sa pharmacie à Gabriel Magron, appartenaient tous deux au comité d'organisation d'une association caritative, l'« Œuvre de la bouchée de pain ».


Berthe Duthu, ép. Magron (1875-1955)

Lors du mariage, les témoins de Gabriel Magron ne sont pas ses frères, comme cela était souvent le cas, comme pour son épouse Berthe. Il s’est fait accompagner par un élève-pharmacien, Ernest Péron. Visiblement, à la suite du décès de son père, des dissensions sont apparues entre les frères et sœurs dont on ne connaît pas exactement la nature. La famille s’est dispersée, les biens à Prauthoy ont été vendus et la mère, Céline Prodhon, est allé vivre chez son beau-frère à Bourbonne-les-Bains. Cela explique probablement que Gabriel Magron n’était accompagné le jour de ses noces que par sa mère. Après le mariage, le couple continue à habiter au 112, rue Monge, au-dessus de la pharmacie. C’est là que naissent leurs trois premiers enfants : Robert, le 7 février 1897, André, notre grand-père, le 4 novembre 1899 et Berthe, « tante Nithe », le 29 novembre 1900. 

Pendant cette période, le nom de Gabriel Magon apparaît souvent dans la presse locale. En l’absence de services organisés d’urgence ou de pompiers et devant le peu de médecins disponibles, les pharmaciens faisaient souvent office de premiers secours. Notre arrière-grand-père ne dérogeait pas à la règle, comme le prouve ce fait divers, choisi parmi tous ceux où son nom est cité :

Le Progrès de la Côte-d’Or, du 22 juillet 1897

Et encore, cette blessure est bénigne. Les pharmaciens étaient sollicités pour des cas beaucoup plus graves, comme « ce pauvre militaire [qui] a eu la crâne fracassé, et pendant qu'on la transportait à la pharmacie Guyétand [le prédécesseur de Gabriel Magron], il rendait le dernier soupir » en octobre 1895. Parfois l'action du pharmacien permet de sauver des vies comme cet autre fait divers d'août 1898 où Gabriel Magron est appelé auprès d'une femme qui a tenté de se suicider au monoxyde de carbone :  « Lorsque M. Magron arriva, il crut que la mort avait fait son œuvre, tant le corps avait déjà pris l'aspect cadavérique. Il fit néanmoins les plus louables efforts pour la sauver et fut assez heureux pour voir ceux-ci couronnés de succès. Lorsqu’il quitta Ia malade, une heure après, elle était hors de danger. » Comme on le voit, le pharmacien était urgentiste, sapeur-pompier et premiers secours.

Le musée de la Vie bourguignonne, à Dijon, présente dans ses salles la reconstitution de la pharmacie de J.-B. Rapin, créée en 1893 dans cette ville, rue Jeannin. Ces quelques images donnent sûrement une idée fidèle de ce que devait être la pharmacie de notre ancêtre Gabriel Magron vers 1895-1900.





L'inventaire des marchandises réalisé lors de la vente en 1903 donne aussi une image de ce que pouvait vendre une pharmacie en ces années-là (avec la valeur estimée en francs de chaque item, le total faisant 10 000 francs) :
1° Spécialités diverses, comprenant vins, sirops, pastilles, dragées, poudres, pilules, élixirs et diverses autres préparations spécialisées : 2 400
2° Produits chimiques et pharmaceutiques comprenant :
Sels divers de mercure : 160
Sels de quinine : 500
Sels de potassium, de magnésie, de soude, de fer, de manganèse, de zinc, de bismuth, de morphine : 1 600
3° Herboristerie consistant en plantes, fleurs, racines, feuilles, etc. : 1 300
4° Vins médicinaux : 300
5° Sirops divers : 300
6° Eaux minérales : 380
7° Extraits secs et liquides : 500
8° Quinquina, écorces et poudres : 250
9° Bandages et accessoires de pharmacie : 550
10° Pommades et onguents : 250
11° Farines et graines de lin et de moutarde : 150
12° Teintures et alcoolats, essences diverses : 700
13° Eaux distillées diverses : 200
14° Alcools, ammoniaque, éther et acides divers : 460

On remarquera la part encore importante de l'herboristerie (13 %) et, à l'inverse, la part négligeable du matériel (5,5 %).

Le 13 février 1903, il vend sa pharmacie à Louis Rollet et songe à s’installer ailleurs. 

Le Progrès de la Côte-d’Or, du 17 février 1903

L'acte de vente montre une dépréciation significative de la valeur du fonds de commerce. Gabriel Magron est amené à le céder au prix de 15000 francs, alors qu'il l'avait acheté 35000 francs, soit une dépréciation de 57 %, ce qui est considérable. Il se retrouve dans la situation difficile où tout le prix de vente du fonds couvre seulement le restant dû au précédent acheteur, Vital Guyétand qui avait obtenu comme garantie de paiement le nantissement du fonds de commerce. Autrement dit, financièrement, il se retrouve dans la même situation qu'en 1895, sans aucune épargne. Seules les marchandises peuvent être revendues au même prix que huit ans plus tôt. Avait-il acheté le fonds trop cher en 1895 ? Brillant pharmacien comme le montre le résultat de ses examens, peut-être était-il un piètre commerçant et un piètre gestionnaire ? Il avait mis à profit ces années d'exercice pour créer un médicament, les « Pilules de la Sœur Marie-Augustine », dont il se réservait le droit d'exploitation.

Ces pilules avaient peut-être une réelle efficacité médicale, mais ne semblent pas avoir été une source significative de revenu… Le nom choisi et l'allusions à la maison de santé dans cette publicité sont probablement une référence directe à la maison de santé des Sœurs augustines de Meaux, à Paris, où est morte la mère de Berthe Duthu, en juin 1895.

Cette vente passée dans des conditions très défavorables pose de nombreuses questions. Pourquoi souhaitait-t-il quitter Dijon ? Difficile à savoir. Gabriel Magron et Berthe Duthu n’avait, l'un et l'autre, plus de famille dans la région. Par ailleurs, la faillite du négoce de vins des frères de Berthe, Adolphe et Auguste Duthu, qui a dû léser beaucoup de producteurs et négociants locaux, a probablement rejailli sur eux. Toujours est-il qu’en mai 1904, un courrier aux services des eaux de Roubaix pour signaler un dysfonctionnement du compteur laisse penser que Gabriel Magron est désormais le successeur de la pharmacie Couvreur à Roubaix, comme l'atteste le tampon « Magron-Duthu successeur ».

La mort subite et visiblement inattendue d'Henri Couvreur, l'ancien pharmacien, à l'hôpital d'Arras le 26 mai 1904, perturbe le projet de reprise. Le 3 juin, la veuve Couvreur-Rasson est obligée de rassurer sa clientèle en passant une annonce dans les journaux : 

Journal de Roubaix, du 3 juin 1904

Autrement dit, le décès de l'ancien pharmacien ne change rien et Gabriel Magron reprendra bien la pharmacie. On peut d'ailleurs en déduire que la vente du fonds de commerce n'avait pas été finalisée, car sinon, ce décès n'aurait eu aucun impact. De fait, peut-être en attendant le règlement de la succession, Gabriel Magron a bien cherché une autre pharmacie à gérer. Il ne pouvait pas exercer à Dijon, comme le lui interdisait l'acte de vente de 1903. Il a donc dû chercher une occasion proche de la ville. Le 30 mars 1906, il est recensé avec sa famille comme pharmacien à Varois-et-Chaignot, un village de moins de 300 habitants à une dizaine de kilomètres au nord-est de Dijon. Pourtant, quelques mois plus tard, le 1er octobre 1906, il est de nouveau de retour à Roubaix où, à ce moment, il est officiellement annoncé qu’il reprend la pharmacie. Les difficultés ont alors été levées.

Le Journal de Roubaix, du 1er octobre 1906

Cet article confirme que Gabriel Magron a collaboré avec l'ancien propriétaire Henri Couvreur. On y apprend aussi qu'il a travaillé dans des pharmacies parisiennes. Ces stages n'ont pu se dérouler qu'entre 1892 et 1895 ou entre 1903 et 1906. 

Depuis le mois d'octobre 1906 jusque vers 1942 (on trouve encore une annonce de pharmacie de garde pour le 24 octobre 1942), Gabriel Magron a continûment géré cette pharmacie située à Roubaix, au n° 32, rue Neuve, devenue la rue du Maréchal-Foch, à l'angle avec la rue des Fabricants.

Roubaix, 32, rue du Maréchal-Foch [ancienne rue Neuve]

Pendant toutes ces années, la pharmacie apparaît souvent dans la presse locale pour des annonces de produits ou comme dépositaires de médicaments. Cette boîte d'une poudre contre la transpiration porte l'étiquette de la pharmacie :


La pharmacie est citée plusieurs fois dans la rubrique des faits divers. Comme à Dijon, Gabriel Maron est sollicité pour apporter les premiers soins à des blessés. Mais il est aussi victime d'accidents et de vols. En 1913, un journal belge, Het Volk rapporte que le cheval conduisant une charrette de la coopérative « Les prévoyants » est entré dans la vitrine du magasin, occasionnant 800 francs de dégâts :

Het Colk, du 21 avril 1913

Plus grave, dans la nuit du samedi 19 au dimanche 20 juillet 1930, des malfaiteurs s'introduisent dans l'officine après avoir scié un maillon de la chaîne qui ferme la porte d'entrée. Ils dérobent des ampoules d'opium, de morphine, de cocaïne et d'héroïne, pour une valeur de 200 francs. Ils ont dû être suffisamment discrets car Gabriel Magron ne s'est aperçu du vol que le lendemain matin, alors qu'ils habitaient juste au-dessus (Le Journal de Roubaix, du 21 juillet 1930). Enfin, en pleine Occupation, la vitrine est de nouveau brisée. Selon le journal, il s'agirait d'un accident (Le Réveil du Nord, du 9 février 1941).

Mais hormis cela, Gabriel Magron et son épouse ont passé une vie tranquille dans cette cité industrielle et commerçante du Nord. Ils ont eu tardivement un dernier enfant, Gabriel, né à Roubaix le 10 juin 1918.

Vers 1942 ou 1943, Gabriel Magron songe à se retirer. Il a maintenant plus de soixante-dix ans. Ses enfants sont installés et le dernier est marié. C'est alors qu'ils vont vivre avec leur fille Berthe qui est assistante sociale à l’usine Pechiney de Saint-Auban, sur la commune de Château-Arnoux, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Ils habitent dans la cité attenante à l’usine, avenue Alsace-Lorraine. Gabriel Magron y décède le premier, le 19 avril 1946, à 77 ans. Son épouse, Berthe Duthu, lui survit quelques années et décède le 20 janvier 1955, à 79 ans.

Gabriel Magron et Berthe Duthu

Ces deux photos sont extraites de ce film que j'ai composé sur la base de plusieurs films mis en ligne par un de nos cousins Magron :



On peut s'étonner que les photos de Gabriel Magron et Berthe Duthu qui illustrent cet article soient prises de profil et non de face. C'est à la demande de Berthe Duthu qui ne voulait pas que l'on voie son œil de verre. En effet, lorsqu'elle était enfant ou adolescente, elle a eu un œil crevé par un ciseau de couturière alors qu'elle faisait de la couture avec une amie. L'histoire ne dit pas exactement comme cela s'est passé.

Lien vers la généalogie de Gabriel Magron et Berthe Duthu : cliquez-ici.