jeudi 23 avril 2020

La famille Bardin

Pendant longtemps, j’ai délaissé la généalogie de la famille Bardin qui avait déjà été étudiée par Jeanne Bret. Elle m’avait laissé de nombreuses notes généalogiques qui étaient suffisantes pour construire mon arbre.

Comme vous le savez peut-être, je poursuis méthodiquement les généalogies descendantes de mes 32 couples d’ancêtres de la 7e génération, c’est-à-dire les arrière-grands-parents de mes arrière-grands-parents. Pour chacun, je tente de faire la descendance complète de toutes les branches. J’ai récemment travaillé sur le couple Jean-Baptiste Bardin (1775-1856) [88] et son épouse Alexandrine Buisson (1788-1834) [89], de Charavines. Je veux partager aujourd'hui les quelques réflexions que m'inspirent le résultat de ces recherches.

Maison Bardin, de Louisias (Charavines).


Par rapport aux 31 autres couples, de mon ascendance, cette famille se distingue par plusieurs caractéristiques.

La première, la plus notable, est la descendance pour le moins prolifique de ce couple. Aujourd’hui, hors conjoints, j’ai trouvé 622 descendants. Parmi les 31 autres couples, cela le met dans le tiercé de tête, avec la descendance de Joseph Escalle (1766-1840) [112] et Rose Gauthier (1769-1847), à La Motte-en-Champsaur, dans les Hautes-Alpes et Nicolas Duthu (1760-1840) [104] et Marie Duthu (1765-1820), à Saint-Martin-du-Mont, dans la Côte d’Or. Cela s’explique par le nombre considérable d’enfants par couple. Jean-Baptiste Bardin et Alexandrine Buisson ont eu 10 enfants, qui ont tous vécu, ce qui est déjà en soi notable pour l’époque. Parmi ceux-ci, l’aîné, Élisée Bardin (1810-1866) [44] a eu 7 enfants vivants. Sa sœur Mélanie Bardin (1815-1886), épouse Joseph Garampon, a eu 10 enfants. On retrouve cette fécondité plus tardivement. Par exemple, entre 1896 et 1914, Marie Garampon (1871-1953) et Pierre Ribeaud (1869-1941) ont eu 9 enfants. Cette fécondité est d’autant plus remarquable que, dans d’autres familles et d’autres régions, dès le XIXe siècle, les couples appliquaient un contrôle des naissances strict, afin d’éviter d’avoir des familles trop nombreuses.

Une deuxième caractéristique de cette famille est le nombre très élevé de prêtres et de religieuses. Vers 1889, un décompte, à partir de la génération des parents de Jean-Baptiste Bardin, Guillaume Prieur-Bardin (1746-1823) [176] et Françoise Millias (1742-1821), donne 17 prêtres et 9 religieuses, soit 26 personnes dans les ordres. Et encore, cette liste n’est que temporaire, et incomplète. A titre d’exemple, parmi les 10 enfants de Jean-Baptiste Bardin et Alexandrine Buisson, on compte deux prêtres et deux religieuses. Les prêtres sont Eugène Bardin (1823-1861), professeur d'histoire au Petit Séminaire du Rondeau, auteur de quelques livres (lien Gallica vers un livre d’histoire) et Célestin Bardin (1828-1894), curé d’Izeaux. Les religieuses sont Alexandrine Bardin (1813-1883), chartreusine à Labastide-Saint-Pierre, près de Montauban et Honorine Bardin (1819-1890), ursuline, à Tullins. Et quand les filles ne sont pas religieuses ou mères de famille, elles servent leur frère, comme  Séraphine Bardin (1817-1888) qui a été au service de son frère Célestin, curé à Izeaux, après avoir pris en charge les soins du ménage et de ses frères et sœurs, après le décès de leur mère en 1834.

On comprend donc que la famille Bardin appartenait à cette culture patriarcale qui prenait sa source dans une double filiation. C’est d’abord un attachement très fort à un territoire et à une maison, qui représentaient l’ancrage de la famille dans une tradition et une perpétuation. Pour la famille Bardin, cette maison se trouve au hameau de Louisias, à Charavines. Avec les terres attenantes, cela forme le « domaine », comme il est habituellement qualifié. Chacun des membres de la famille, mais plus encore le chef de famille, était tenu de faire valoir l’héritage de ses ancêtres et de s’assurer qu’il serait transmis intact, voir agrandi, à ses descendants. Ces familles s’incarnaient alors dans une maison et dans un patriarche, qui, à un moment donné, avait cette responsabilité. Jean-Baptiste Bardin représente l’essence de cette philosophie de la vie, comme nous le verrons plus loin. L’autre pilier de cette culture patriarcale était un attachement profond et exclusif à la religion. Une famille patriarcale se devait d’être une famille très religieuse.

Remarquons cependant que la maison elle-même et son portail d'entrée sont assez modestes, ce qui est peut-être à l'image d'une famille sans ostentation.

Portail d'entrée de la maison Bardin, de Louisias (Charavines)

Ce qui distingue la famille Bardin de toutes les autres familles dont nous descendons est le nombre important de documents et de récits qui nous ont été transmis. Le premier document le plus important est une généalogie de la famille Bardin rédigée par Jean-Baptiste Bardin en 1837. Ce document très intéressant illustre parfaitement ce que je viens d’expliquer sur la culture patriarcale. Le titre est : Généalogie de l’ancienne maison Bardin, de Louisias. De fait, comme le dit Jean-Baptiste Bardin dans son introduction :
Nous Jean Baptiste Prieur-Bardin, actuellement dernier héritier et successeur de l’ancienne maison de Louisias, désirant savoir quels ont été mes prédécesseurs qui ont existé et habité dans cette maison, ne sachant même pas d’où étaient issus mes bisaïeuls, après avoir fouillé, vérifié et examiné attentivement les anciens papiers, notes et registres de mes ancêtres, n’ayant pu remonter que jusque vers la fin du seizième siècle, ne trouvant pas des notes plus éloignées, j’ai jugé à propos de former la généalogie suivante.

C’est autant l’histoire d’une famille que d’une maison. Cette généalogie débute par Étienne Trollier, premier possesseur de Louisias et de son domaine vers 1600 et se poursuit par une succession d’héritages qui fait passer le domaine de génération en génération par les femmes : Jeanne Trollier, épouse François Bonneton, François Bonneton, épouse Martial Millias, pour finir par Françoise Millias, qui, se retrouvant seule héritière du domaine, épouse Guillaume Prieur-Bardin en 1771, faisant ainsi entrer la famille Bardin à Louisias. La culture patriarcale qui s’incarne dans une maison et un domaine, n’est pas seulement une culture exclusivement masculine, comme on pourrait le penser, mais incombe aussi aux femmes, le cas échéant.

La conclusion de la généalogie est encore plus illustrative de cette culture de la filiation, doublée d’un ancrage religieux fort, voire exclusif.
Quoique ce ne soit point à moi à faire l’éloge de mes ancêtres, je crois devoir dire pour le bon exemple de ceux qui leur succéderont, qu’ils ont tous été religieux et fidèles observateurs de notre sainte religion, ne s’étant jamais écarté des devoirs d’honnêtes gens, se conduisant toujours avec honneur et probité et avec cette bonne foi qui caractérisait nos braves anciens. On voit que notre maison a toujours été le refuge et le soutien des prêtres, surtout dans les tems malheureux de la révolution.
 […]
Enfin, je termine cette généalogie en souhaitant de tout mon cœur d’imiter les bons exemples que nous ont laissés nos prédécesseurs ; et si quelqu’un de ceux qui doivent leur succéder, doit devenir prévaricateur en s’écartant de son devoir et mépriser notre sainte religion, je prie le seigneur de l’exterminer de ce monde avant qu’un tel malheur lui arrive, afin qu’il ne puisse pas succéder à nos braves ancêtres, et que son nom odieux ne puisse jamais figurer au catalogue ou au rang de ses prédécesseurs.

Dans les portraits que Jean-Baptiste Bardin fait de sa mère, Françoise Millias, et de sa femme, Alexandrine, il trace le modèle de la parfaite mère de famille :
Françoise Millias était le véritable modèle des mères de famille, et des bonnes femmes de ménage par son économie, son activité, ses soins, son attention pour l’intérêt de sa maison, sa piété, sa vigilance sur ses enfans et ses domestiques, sa bonté.
[Alexandrine Buisson] était la meilleure des mères, la plus vertueuse et la plus aimable des femmes. En un mot, elle possédait toutes les précieuses qualités qui peuvent rendre une personne aimable. Elle mourut bien trop tôt, âgée d’environ 45 ans. Elle est généralement regrettée de tous ceux qui l’ont connue.
Remarquons que le portrait de son père, Guillaume Prieur-Bardin, insiste moins sur la dimension patriarcale, comme on pourrait l’entendre aujourd’hui, que sur ses qualités humaines :
Prieur-Bardin, son mari, se faisait aimer de chacun par sa bonté, sa piété, se plaisait à rendre service à ses voisins et autres, prêtant et donnant selon son pouvoir à ceux qui avaient besoin. En un mot, il aimait à obliger et à rendre service à tout monde.

Cette culture familiale a ensuite été transmise de génération en génération. Cette généalogie de Jean-Baptiste Bardin a été complétée et recopiée, de telle sorte que j’en ai une copie (une photocopie d’une copie, pour être précis). Plus proche de nous, Lucie Bardin, une sœur célibataire de notre arrière-grand-mère, et Madeleine Benoit, une cousine germaine de notre grand-mère, qui vivaient toutes les deux à Charavines, ont perpétué cette fidélité familiale. Madeleine Benoit a mis par écrit les récits, « vérité » ou « légende » qu’elles avaient elle-même reçus, comme elle le dit :
Descendante directe d’Antoine Bardin (neuvième génération) par mon grand-père maternel Marc Bardin, ayant perdu ma mère alors que je n’avais pas 8 ans, j’ai été élevée en partie par mes grands-parents maternels. Mon enfance a donc été nourrie de récits transmis de vive voix de père en fils qui, non seulement constituent un folklore pittoresque, mais aussi concernent particulièrement chacun de nous.
J’ai pensé que ce patrimoine devait survivre. J’ai donc transcrit ces légendes et souvenirs en hommage à nos ancêtres et à mon grand-père Marc.
Je dois évoquer les noms de ma tante Mlle Lucie Bardin, de mes cousines Mme Pierre Ribeaud née Marie Garampon et Mlle Valérie Rey qui, par leurs récits, ont contribué à entretenir les vieilles traditions familiales.
On peut noter l’importance des femmes dans cette transmission familiale. De façon parfois assez paradoxale par rapport à une culture patriarcale que l’on imagine être uniquement masculine, le rattachement à cette famille Bardin par les femmes est suffisant pour hériter de la fierté d’en être membre.

Marc Bardin (1846-1926) [22] et son épouse Maria Froment (1847-1926) [23]
 

Parmi ces récits, on trouve celui du mariage de Guillaume Prieur-Bardin et Françoise Millias, où celle-ci, devenue seule héritière du domaine de Louisias après le décès à 38 jours d’intervalle de sa mère, puis de son frère, va littéralement « chercher » Guillaume Prieur-Bardin pour l’épouser :
A la mort de sa mère, François Millias devint propriétaire du domaine de Louisias. Mais il mourut 38 jours après elle, le 30 juin 1771 faisant son héritière universelle sa sœur Françoise restée seule célibataire à la maison dans l’intention de ne pas se marier, bien que plus ou moins courtisée par Guillaume Prieur-Bardin du hameau des Fayards.
Quand elle se vit seule à la tête du domaine à l’époque des grands travaux, elle se sentit désemparée. Alors elle changea d’idée. Un dimanche après la messe, elle aborda Guillaume Prieur-Bardin : « Pourquoi est-ce que je ne te vois plus ? » – « Maintenant que tu es riche, répondit-il avec un peu d’amertume, ils vont être nombreux à te tourner autour. » – « Eh bien, c’est toi que je veux… »
Elle avait su apprécier Guillaume Prieur-Bardin, qui s’il n’était pas riche, avait de solides qualités morales.
Le mariage eut lieu le 12 août de cette même année 1771. Il avait 27 ans et elle 29.
Il faut avouer que posséder en 2020 le récit du mariage de nos ancêtres, qui a eu lieu 250 ans auparavant, est unique dans l’histoire de notre famille. On ne retrouve cela dans aucune autre branche.
On y trouve aussi le récit du passage de saint Benoit Labre, à Louisias :
Saint Benoît-Joseph Labre, fêté le 16 avril, avait choisi, comme expression de la volonté de Dieu à son égard, la vocation de pèlerin, mendiant sa nourriture et son gîte au cours de ses pérégrinations.
De passage en Dauphiné, il fut reçu à la maison de Louisias par Guillaume Bardin et son épouse, comme le pauvre envoyé de Dieu. Il exprima sa reconnaissance en prédisant à ses hôtes qu’ils auraient toujours des prêtres dans leur descendance.
Cette fierté familiale se retrouve aussi dans le soin porté à édifier une tombe familiale qui soit à l’image de la notabilité au sein du village. Une simple vue de la tombe suffit à expliquer mon propos :

Tombe de la famille Bardin, au cimetière de Charavines.

Elle porte cette inscription : « Famille Bardin de Louisias », où, comme on le voit, la famille et le lieu deviennent consubstantiels. Il y a 23 personnes inhumées et 5 générations. A propos de cette tombe, cette anecdote illustre bien l'importance qu'elle revêt comme marque de distinction, même après le décès de la personne :
Mélanie Bardin, fille de Jean-Baptiste, se maria avec Joseph Garempon de Pagetière. Elle ne fut pas très heureuse, car elle trouva dans sa nouvelle famille des gens assez rustres et une vie plus rude. On l’appelait « la dame » et on signalait avec un sourire un peu moqueur qu’elle se lavait avec du savon !
Son père s’était d’ailleurs rendu compte de cet état de choses. Il avait dit « Celle-ci n’est pas riche. Elle sera enterrée avec les Bardin. » Ce qui fut fait ; son nom figure sur le caveau familial ; elle est décédée en 1886.
On retrouve cette même attention à la tombe comme représentation de l’esprit familial pour les Rey, de Louisias, et les Bret, deux familles qui sont fortement liées par mariage avec la famille Bardin :

Tombe de la famille Rey, de Louisias, au cimetière de Charavines.

Tombe de la famille Bret, au cimetière de Charavines.
La formulation « Bardin de Louisias » pourrait laisser penser que l’on veut donner une apparence de noblesse à la famille. Je ne le crois pas. Dans aucun des papiers, ni des témoignages, il n’y a la moindre velléité de se donner des airs de noblesse. Si l’on pouvait résumer l’esprit qui ressort de tous ce que j’ai pu lire ou les souvenirs personnels que je peux en avoir, je le formulerais ainsi : « Fier de notre passé, de notre maison, de notre religion, qui nous oblige à tenir notre rang, mais conscient de notre place dans la société ». Cette vue où l’on voit les tombes de la famille Bardin, à gauche, et de Montgolfier (famille de papetiers à Charavines), à droite résume mieux que des mots ce que je veux dire.

La tombe de la famille Bardin, dans son environnement, au cimetière de Charavines...

Dans le cours de mes travaux, j’ai découvert un lointain cousin, Jacques Robert (1921-1997), descendant du couple Joseph Collet-Beillon et Constance Bardin, une des filles de Jean-Baptiste Bardin et Alexandrine Buisson. Journaliste, écrivain, scénariste (voir sa notice Wikipédia), il a publié en 1969 un livre de mémoires : Si ma mémoire est bonne… dont le premier tome est consacré à ses années de jeunesse.


Son lien avec Charavines se fait par sa grand-mère maternelle, Marie Gallien (1868-1944) et surtout son arrière-grand-mère Joséphine Collet-Beillon (1847-1914). On retrouve cette filiation par les femmes. Mais, malgré ce lien tenu avec Charavines, le village est très présent dans ses mémoires, en particulier dans le récit de ses vacances d’été dans la maison de sa grand-mère. Ce qui est intéressant est ce qu’il rapporte de l’esprit de famille, qui me semble très proche de tout ce que je viens d’expliquer :
Ce qu'il y avait de singulier, dans notre famille, c'était notre conviction d’appartenir à la classe privilégiée, celle qui se ferait couper le cou dès les premiers jours de la révolution. Nous avions trois raisons majeures d'estimer que le peuple devait nous tenir pour suspects : l’uniforme de mon père, la maison de campagne de ma grand-mère et, enfin, le voyage que nous faisions, chaque année, dans le Midi. Des gens qui menaient un tel train étaient fatalement voués à la guillotine des Sans-Culottes.
Alors qu’il explique ensuite que rien dans le train de vie et l’origine de ses parents – son père était capitaine à l’état-major de Lyon – ou de ses grands-parents – son grand-père maternel était horloger à Lyon – ne suffisait à expliquer cette idée, qu’il résume plus loin, de manière gentiment ironique vis-à-vis de ses parents et grands-parents : « Mais tout cela ne nous a jamais ôté de l’esprit que nous étions quelque chose comme les descendants de Marie-Antoinette. »

Il raconte plus loin :
À Charavines, nous étions, grâce aux ascendances de ma grand-mère, cousins avec tout le pays, y compris une demi-douzaine d’'ivrognes — de vrais ivrognes, comme on n’en voit plus de nos jours. Ils tanguaient sur les routes, ronflaient dans les fossés et parfois, aussi, décrochaient leurs fusils de chasse en menaçaient de tuer tout le monde.
Ces ivrognes ne manquaient néanmoins pas une messe. Il faut dire que Charavines était si catholique que le village, bien qu'il ne comptât que quelque deux mille âmes, détenait le record français des vocations sacerdotales. Rares étaient les familles qui ne donnaient pas au moins un prêtre et une religieuse.
Pour finir avec Jacques Robert, j’aime son portrait de tante Élise, encore une descendante Bardin, par sa mère Eulalie Bardin, épouse Etienne Monin :
Cette parente incomparable était une grosse femme impotente, totalement édentée, chauve et portant perruque. Si tante Élise avait perdu ses dents et ses cheveux, elle avait conservé sa langue. C'était une conteuse admirable, parlant patois et latin, et qui usait parfois de mots inconnus auxquels je trouvais une grande saveur.
Tante Élise était fort pieuse et, malgré ses infirmités, elle allait chaque matin à l'église prier pour l’âme de son fils unique Abel, dont le nom était inscrit en tête sur la liste des martyrs du monument aux morts.
[…]
Elle en déduisit, cependant, que je devais être d'une grande ignorance sur toutes choses et elle entreprit dès lors de m’enseigner l’histoire du lac de Charavines, une espèce de Légende des Siècles au regard de laquelle la Guerre de Cent Ans fait figure d’escarmouche.
Il montre, une fois de plus, l’importance des femmes dans la transmission.

Lorsqu’on parcourt la généalogie que j’ai établie, on peut aussi constater la très faible mobilité géographique des descendants de cette famille. Là-aussi, cela contraste avec la mobilité que l’on rencontre dans d’autres branches de notre ascendance, comme les familles Magron, Quiney, Poirier. Si je m’arrête aux 93 arrière-arrière-petits-enfants du couple Jean-Baptiste Bardin et Alexandrine Buisson, nés entre 1892 et 1930, il y en a 63, soit les deux tiers, qui sont nés à Charvines et dans les communes environnantes : Virieu, Chirens, Paladru, Le Grand-Lemps, Voiron, Saint-Jean-de-Moirans. Si on élargit à l’Isère, on passe à 80, soit 86 %. Les 13 arrière-arrière-petits-enfants qui ne sont pas nés dans l’Isère viennent de :
  • Albens (4) : c’est notre grand-mère et ses frère et sœurs, qui sont vite revenus au « bercail », à Voiron. On pourrait presque les compter parmi ceux nés dans l’Isère.
  • Rive-de-Gier (3), Donville-les-Bains (1), Bourg-en-Bresse (1) qui appartiennent à la branche « parisienne » des Bardin, enfants de Ferdinand Bardin, notaire à Trept.
  • Lyon (1)
  • Constantinople (3).
Vous avez bien lu. Nous avons des cousins nés à Constantinople, aujourd’hui Istanbul en Turquie. Il s’agit des enfants du peintre orientaliste Eugène Prieur-Bardin, dont j’ai déjà parlé. Cela m’amène à ma dernière réflexion.

Ces familles patriarcales étaient probablement rassurantes pour beaucoup de leurs membres. Les portraits que Madeleine Benoit nous a transmis de nos arrière-arrière-grands-parents Marc Bardin et Maria Froment montrent qu’ils se sont complètement coulés dans ce moule avec, semble-t-il, une vie heureuse et épanouie, même si ce dernier mot n’appartient guère au registre de vocabulaire de cette philosophie de la famille (et de l’époque). Cette culture familiale était, on s’en doute, exigeants vis-à-vis de leurs membres. On sait l’exigence vis-à-vis des femmes, à qui on offrait trois destins possibles : mère de famille exemplaire et féconde, religieuse ou femme célibataire aux services des autres. Au passage, notons qu’il y avait proportionnellement plus de femmes célibataires que d’hommes dans cette descendance, sans que j’aie chiffré cet écart. Pour les hommes, cette culture était tout aussi exigeantes, bien que différemment. Si l’on ne voulait pas se faire prêtre ou religieux, il fallait alors vouloir devenir un patriarche, en charge de l’héritage de la famille, à faire valoir et fructifier, et, si possible, tenir son rang au sein de la famille, du village et, plus généralement, de la société.


Marie Lombard (1814-1889) [45], veuve d’Élisée Bardin
 

Visiblement, certains garçons de la famille n’ont pas voulu tenir ce rôle. Et c’est souvent les mêmes qui partent plus ou moins au loin. Il y a au moins deux exemples.

Le premier est Eugène Prieur-Bardin, le fils aîné d’Élisée Bardin et Marie Lombard. En tant qu’aîné, sa destinée « naturelle » était de devenir le chef de famille comme son père, comme son grand-père Jean-Baptiste ou son arrière-grand-père Guillaume Prieur-Bardin. Il aurait dû leur succéder dans le domaine familial, voire devenir maire de sa commune comme son père et son grand-père. Visiblement, ce n’est pas le destin qu’il a choisi. Et pour cela, il est parti à Lyon. En 1860, c’était déjà mettre une grande distance avec sa famille. Comble de la rupture familiale, il fait un enfant illégitime à Louise Mathieu, une ouvrière en soie de Lyon. A une époque où il était nécessaire d’avoir le consentement de ses parents pour se marier, quelque soit son âge, on comprend mieux maintenant qu’il ait entendu le décès de son père pour se marier avec la mère de son fils, et probablement la femme qu’il aimait (voyez le récit 26 de Madeleine Benoit pour voir, par comparaison, comment son frère Marc s’est marié !). Son contrat de mariage montre que sa mère n’a fait aucun effort particulier pour le doter, comme c’était l’usage à l’époque. Il faut dire qu’il a épousé une fille qui n’avait elle-même pas de dot. Pour ne pas donner le sentiment exagéré d’une rupture avec le reste de la famille, il faut tout de même rapporter que sa mère, Marie Lombard, était présente au mariage de son fils. Elle aurait pu envoyer une procuration pour donner son consentement, au lieu de faire la centaine de km qui sépare Charavines de Lyon, ce qui était une expédition en 1866. Eugène Prieur-Bardin est quelque fois venu à Charavines, par exemple comme témoin au mariage de ses cousins Germain Rey et Céline Collet-Beillon en 1872. Son fils Eugène, le peintre, a été témoin en 1885 de ses cousins. D’ailleurs, ils apparaissent dans la généalogie familiale, jusqu’à Jeanne et Eugène Prieur-Bardin.

Eugène Prieur-Bardin a-t-il représenté le lac de Charvines dans cette toile, différente du reste de sa production ?

Le cas de Frédéric Bardin est plus significatif de cette dissociation d’une branche avec le reste de la famille. Cela se concrétise par une forme de déclassement social, associé à une rupture dans le respect des règles de comportement moral qui prévalaient dans la famille.

Frédéric et Marius Bardin étaient frères jumeaux, nés le 3 avril 1849. Leurs destins ont été complètement différents. Marius est celui qui a assuré la continuité de la famille à Louisias : « Après arrangement familial, la propriété [de Louisias] diminuée fut exploitée par Marius, en partie pour son compte, en partie pour celui de son frère Marc qui, aidé par son oncle Jules, avait désintéressé les créanciers. » Il s’est marié, mais il n’a pas eu d’enfants. Il a toujours vécu à Louisias, et sa veuve y aura un logement jusqu’à son décès. Il transmettra la propriété à son neveu Élisée Bardin.

Frédéric part dans une voie complètement différente car il devient boulanger, ce qui est déchoir, d’une certaine manière, dans ces familles de bourgeoisie provinciale. Rappelons que hormis son frère aîné, Eugène, dont nous venons de parler, qui était employé de commerce, ses autres frères étaient prêtre (Octave), marchand de domaines (Marc), notaire (Ferdinand) et propriétaire cultivateur (Marius). Cette distanciation sociale a aussi été géographique car, dès 1872, à 23 ans, il s’installe à Grenoble. Il y sera d’abord boulanger, puis gantier jusqu’à son décès en 1903. Après un premier mariage de quelques mois, terminés par le décès de sa jeune épouse, il se marie avec Fleurie Ladrière (1851-1925) de Lyon, avec laquelle il aura 11 enfants, dont seulement 6 vivront. Pour illustrer la rupture avec les usages de la famille, je ne donnerais que quelques exemples. Leur fille Gabrielle Bardin, née le 9 août 1880, gantière, a eu deux enfants de père inconnu en 1897 et 1900, soit à l’âge de 17 et 19 ans. Elle est décédée à 25 ans, en laissant ses deux enfants à la garde de sa mère. Autre illustration, leur fille Jeanne a un enfant de père inconnu en 1907. Après une période de cohabitation avec le père, Antonin Richard, tailleur d’habits à Grenoble, qui à 44 ans de plus qu’elle, ils régularisent la situation en 1912. Ces deux exemples marquent de façon éloquente que cette branche est en rupture totale avec les valeurs et les comportements du reste de la famille. Pour ne pas laisser le lecteur sur l’impression que seules les femmes se sont « écartées du droit chemin », signalons que le frère aîné, Jules Bardin, gantier, a été condamné à 15 jours de prison pour coups et blessures volontaires et que le cadet Eugène, palissonneur, a été condamné par le conseil de guerre lors de son service militaire « pour abandon de son poste, étant de garde, sans avoir rempli sa consigne ».
D’ailleurs, dans les différents papiers et récits, cette branche n’est citée qu’une seule fois (hormis le récit de la naissance des jumeaux) : « Frédéric jumeau de Marius, nommé plus haut, épousa à Grenoble en secondes noces Fleurine Charles. Ils eurent de nombreux enfants. Frédéric mourut en 1902. » Le nom de l’épouse est erroné.

La grange de Louisias, construite par Guillaume Prieur-Bardin (1746-1823) [176] à côté de la maison, et restaurée par notre cousin Paul Bardin, qui a veillé à la faire couvrir de chaume. Cette restauration a reçu de nombreuses récompenses au titre de la préservation du patrimoine.
Cette grange fait partie des sites remarquables du pays voironnais.

J’ai transcrit la généalogie de la famille Bardin, par Jean-Baptiste Bardin, et les récits de Madeleine Benoit. Vous pouvez y accéder en cliquant sur ses liens :
Généalogie de la famille Bardin.
Récits de Madeleine Benoit.

Je vous laisse vous promener, voire vous perdre, dans la prolifique descendance de Jean-Baptiste Bardin et Alexandrine Buisson.

samedi 18 avril 2020

Eugène Prieur-Bardin, peintre orientaliste (1860-1905)

Habitué à suivre les ventes aux enchères, j’ai depuis longtemps repéré ce peintre orientaliste appelé Prieur-Bardin. Sachant qu’il portait le même nom que notre famille Bardin, qui a abandonné depuis le « Prieur », j’avais fait quelques recherches qui m’avaient amené à l’identification partagée par tous, selon laquelle il s’agit de François-Léon Prieur-Bardin, né à Vif en 1870. Je n’avais pas poussé plus loin mes investigations.

Le port de Marseille, daté et signé Prieur-Bardin, 1901.

Reprenant les recherches sur la famille Bardin, à laquelle nous appartenons, j’ai trouvé qu’il y a aussi un peintre dans cette famille. C’est ainsi que je suis arrivé jusqu’à un article d’Élisabeth Juan-Mazel, paru dans le revue Généalogie & Histoire, en 2012, qui soulève, de façon très convaincante et documentée, la question de l’identification du peintre Prieur-Bardin. Sa conclusion est que François-Léon Prieur-Bardin n’est pas le peintre orientaliste qui signe toujours « Prieur-Bardin », sans initiales, actif à Constantinople entre le début des années 1890 et 1901, puis actif à Marseille dans les premières années de 1900. Il s’agit d’Eugène Prieur-Bardin, né à Vénissieux le 14 octobre 1860 et mort à Marseille le 27 juin 1905. Ma curiosité a été d’autant plus piquée que cet Eugène Prieur-Bardin est un de nos cousins, descendant de la branche Eugène Prieur-Bardin (voir les liens en fin de message pour comprendre la parenté). J’ai scanné l’article que vous pouvez lire en suivant ce lien : cliquez-ici.

J’ai poursuivi les recherches en parallèle sur les deux Prieur-Bardin, François-Léon et Eugène-Antoine. Ce que j’ai trouvé n’a fait que confirmer les conclusions de Mme Juan-Mazel.

Sur François-Léon Prieur-Bardin, j’ai effectivement trouvé qu’il n’est connu que comme sculpteur ou ornemaniste. Il a œuvré à Constantinople (ce que ne dit pas l’article), mais postérieurement à la période d’activité du peintre, vers 1910, pour contribuer à l’ornementation de l’ambassade de France, aménagée sous la direction de l’architecte Georges-Paul Chedanne. Notons d’ailleurs que cet architecte est noté comme étant son patron dans un des recensements parisiens.

A titre d’illustration, cette courte notice biographique, publiée en 1919 au moment d’une remise de médaille, ne cite jamais une quelconque activité de peintre :
Je devrais ici passer la parole à mon collègue et ami Bruel, qui a de façon si persuasive posé la candidature de M. Prieur-Bardin, sculpteur-décorateur-ornemaniste. Outre M. Bruel, des confrères comme MM. Chedanne, Lebret et Recoura nous ont vanté la conscience, le dévouement, la modestie et le talent dont M. Prieur-Bardin a donné la preuve dans des travaux, dont la liste serait longue et parmi lesquels nous citerons seulement : le monument d'Ernest Hébert par Recoura, à La Tronche ; la fontaine monumentale du château de M. Deutsch de la Meurthe, près Montereau, par Lebret ; les décorations intérieures du Palace-Hôtel des Champs-Élysées, du Princesse-Hôtel, de l'hôtel Mercédès, des ambassades de Vienne et de Constantinople, par Chedanne ; des décorations d’immeubles, et particulièrement les décorations intérieures de l'hôtel Pellerin, 3, rue de Montchanin, et de l'hôtel du marquis de Saint-Preux, par Bruel : la médaille d'argent des Industries d'Art est, vous le voyez, bien placée, et nous sommes heureux d'inviter M. Prieur-Bardin à venir la recevoir.
Je renvoie à la fin de cet article pour des informations plus détaillées qui ne font que confirmer que François-Léon Prieur-Bardin ne peut pas être le peintre orientaliste.

La Mosquée Ortaköy depuis le Bosphore, daté et signé Prieur-Bardin, 1902.

Eugène Prieur-Bardin est né comme enfant de père inconnu, sous le nom de sa mère, Mathieu, à Vénissieux le 14 octobre 1860. Louise Mathieu est une ouvrière en soie de Lyon, qui est alors âgée de 19 ans. Le père putatif, Eugène Prieur-Bardin, originaire de Charavines dans l'Isère, a le même âge. L’enfant est probablement né à Vénissieux, qui était alors un village agricole proche de Lyon, pour que la mère puisse accoucher discrètement et probablement laisser son fils en nourrice chez Pierre Sambet, dit Bourru, 42 ans, cultivateur à Vénissieux. C’était un usage fréquent. Eugène Antoine Mathieu, car tels sont ses prénoms et son nom à la naissance, sera reconnu et légitimé par ses parents lors de leur mariage à Lyon le 13 juillet 1867. Il est là aussi probable que ceux-ci aient attendu le décès du père d’Eugène, Élisée Prieur-Bardin, qui devait réprouver fortement la situation, quand on connaît la culture patriarcale et traditionnelle de la famille Bardin. Peut-être ne l’a-t-il jamais su. Lors de son mariage, Eugène Prieur Bardin est accompagné par aucun témoin de sa famille. Seule sa mère Marie Lombard, veuve Bardin, est présente.

Eugène Prieur-Bardin, fils, a passé sa jeunesse avec ses parents rue Lanterne à Lyon, avant leur installation à Tassin vers 1880. Cette rue étroite et sombre de Lyon contraste avec les univers lumineux qu’il a ensuite peints.

Selon l’article cité ci-dessus, Eugène Prieur-Bardin est entré à l’École des Beaux-Arts de Lyon le 6 mars 1879. En 1880, lors du recensement militaire, il se qualifie d’employé de commerce, habitant avec ses parents à Tassin, une commune alors champêtre de la banlieue de Lyon. Il y est encore recensé, toujours avec ses parents, en 1881. En octobre 1885, il est présent comme témoin au mariage à Charavines de deux cousins-germains de son père. Il est toujours qualifié d'employé de commerce, à Tassin. On perd ensuite sa trace jusqu’à son mariage à Alger le 5 mai 1891, où il habite avec sa mère rue Levacher. Il est artiste-peintre (lien vers l'acte). Entretemps, il a perdu son père Eugène, décédé le 15 mars 1886 à Tassin. L'épouse est une jeune fille originaire de Grenoble, bien que née à Tournon, dont on ignore la raison de la présence à Alger. Elle est orpheline de père et de mère depuis plusieurs années. Luce Vercelli, car tel est son nom, est très jeune car elle n’a que 17 ans. Mariés en mai 1891, ils attendent rapidement un enfant, une fille Jeanne qui naît en mars 1892 à Constantinople. Dans l’acte de naissance qui est enregistré au consulat de France, Eugène Prieur-Bardin se qualifie d’artiste-peintre.

Début de l'acte de naissance de Jeanne Marie Louise Prieur-Bardin le 23 mars 1892, à Constantinople.

La présence d’Eugène Prieur-Bardin est attestée à Constantinople depuis cette date de 1892 jusqu’à celle de 1898, où leur naît une dernière fille, Marguerite Adeline, le 7 août 1898. Ils ont eu aussi un fils, Élysée Eugène Prieur-Bardin, né le 21 mars 1897. Dans ces actes d’état civil, Eugène Prieur-Bardin se qualifie toujours d’artiste-peintre.

Il faut mettre ces dates en regard des informations de Frédéric Hitzel dans son étude sur les peintres à Constantinople : Couleurs de la Corne d’Or. Peintres voyageurs à la Sublime Porte (2002) qui donne la date de 1893 comme première exposition du peintre Prieur-Bardin à la galerie des Frères Gülmez-Biraderler, Grande Rue de Péra, n° 397, puis, ensuite : Maison Baker (1897, Grande Rue de Péra, n° 500), Visconti et Stefano (1898, Grande Rue de Péra, n° 276), M. Keller (1900, passage Hazzopoulo, rue Tepebachi, n° 35). Penser que ce peintre Prieur-Bardin qui expose et que Eugène Prieur-Bardin, artiste-peintre qui a des enfants à Constantinople entre 1892 et 1898 sont une seule et même personne ne me semble pas une hypothèse hasardeuse. C’est celle qu’avait défendue Mme Juan-Mazel et que les informations que j’ai trouvées ne font que renforcer.

Tophane et le Bosphore.
Ce tableau aurait été présenté au Sultan Abdül-hamid II.
A une date inconnue mais qui doit se situer en 1901, Eugène Prieur-Bardin et sa famille viennent s’installer à Marseille. Très vite, comme il l’a fait à Constantinople, il expose dans les galeries marseillaises, en particulier chez Vallet, rue Paradis. Son talent est localement reconnu. Parmi les mentions dans la presse, il apparaît pour la première fois dans un petit compte-rendu des peintres exposés dans les vitrines des marchands marseillais en octobre 1902, qui signale un tableau représentant une vue de la ville. En janvier 1903, il expose une vue de Constantinople : « ce peintre qui possède les qualités du coloriste plus encore que celles du dessinateur et dont les œuvres, malgré l'uniformité de leur source d'inspiration, sont exécutées dans une note qui les arrache à la vulgarité coutumière de l'orientalisme de bazar. » (Le Sémaphore de Marseille, 14 janvier 1903, compte-rendu de Ferdinand Servian). En février 1903, il expose une série d’œuvres dans les salons de photographie d’art, qui lui vaut un long compte-rendu par le même critique dans le même journal. En avril 1903, il expose au salon des artistes marseillais. En février 1905, il expose encore chez Vallet, le galeriste marseillais de la rue Paradis. Il habite non loin car quelques mois plus tard, le 27 juin 1905, il meurt à son domicile marseillais du boulevard Notre-Dame.

Une difficulté pour identifier pleinement le peintre des œuvres signées Prieur-Bardin est qu’il n’y a jamais de prénom ni même d’initiales accolées au nom. Même dans les mentions d’expositions de peintures à Marseille, il n’y a toujours que le nom seul. Cependant, en cherchant bien, j’ai fini par trouver deux mentions. La première est le compte-rendu du jury du salon toulonnais de peinture, dans Le Petit Provençal, du 24 novembre 1903. Parmi les récipiendaires de la troisième médaille de peinture se trouve « Eugène Prieur-Bardin ».
La seconde mention est le dépôt d’un brevet de « Boîte de campagne pour artiste peintre », déposé par Eugène Prieur-Bardin, le 8 février 1904, représenté par Ducasson, rue de la République, n° 62 à Marseille.
Lien vers le brevet : cliquez-ici.




Il existe cependant plusieurs zones d’ombre dans la vie d’Eugène Prieur-Bardin. La première est qu’il ne semble exister aucune peinture antérieure à la période « Constantinople », c’est à dire celle qui commence vers 1890. Lorsqu’il se marie à Alger en 1891, il est déjà qualifié de peintre. On pourrait imaginer qu’il a produit quelques œuvres représentant Alger et son port dans la même veine que ses tableaux de Constantinople ou Marseille. Il n’en est rien. Certes, comme il n’existe pas de catalogue des œuvres de Prieur-Bardin, il est fort possible qu’il existe des tableaux de sa période algérienne, moins nombreux car sa présence à Alger a été plus courte. Ces tableaux restent à découvrir. De la même façon, il ne semble pas exister d’œuvres antérieures aux années 1890. S’il a été élève à l’Ecole de Beaux-Arts de Lyon à partir de 1879, il a dû commencer à peindre à partir de ces années-là, et surtout à partir des années 1885-1890. Pour le moment, rien, sauf à imaginer que ses paysages de lac datent de cette époque.


Est-ce le lac de Charavines, pays des ancêtres d'Eugène Prieur-Bardin ?

Après le décès d’Eugène Prieur-Bardin, il est difficile de suivre précisément la vie de son épouse et de ses trois enfants. Il est probable que la fille cadette, Marguerite Adeline, soit décédée jeune, voire enfant. Son épouse et ses deux enfants, Jeanne et Eugène, qui, au décès de leur père, ont respectivement 13 et 8 ans, sont soit restés à Marseille, soit, plus probablement sont retournés en Algérie. En 1918, Luce Vercelli, veuve Prieur-Bardin habite 12 rue de Constantine, à Alger. C’est de Marseille qu’Eugène Prieur-Bardin s’embarque pour New-York où il arrive le 17 septembre 1914. Il a 17 ans et demi. Sa vie est désormais américaine. Il est connu comme acteur sous le nom d’Eugene Borden. On retrouve la trace de Luce Vercelli, veuve Prieur-Bardin, et de sa fille Jeanne à Argenteuil, en 1931, loin des lumières méditerranéennes du Bosphore, d’Alger ou de Marseille. Argenteuil est une commune de la banlieue nord de Paris. Jeanne y est recensée au 12 avenue d'Argenteuil, comme comptable (patron : Pradier), dans le même ménage qu’Henri Fressard, avec lequel elle se marie en 1935. Elle est décédée très âgée, le 28 mars 1979 à Argenteuil, à l'âge de 87 ans. Quant à sa mère, elle se remarie aussi à Argenteuil, le 24 avril 1937 et meurt deux ans plus tard, le 22 juillet 1937, à l'âge de 63 ans. Ni Jeanne Prieur-Bardin, ni son frère Eugene Borden n’ont eu d’enfants. Il n’y a donc pas de descendants et plus largement pas de neveux ou nièces pour défendre la mémoire d’Eugène Prieur-Bardin.

Eugene Borden, le fils d'Eugène Prieur-Bardin

Lien vers la généalogie d'Eugène Prieur-Bardin : cliquez-ici.
Lien de parenté avec Eugène Prieur-Bardin : cliquez-ici.

Quelques informations complémentaires sur François-Léon Prieur-Bardin

Pour compléter et parfaire la démonstration que François-Léon n’est pas le peintre qui a produit tant de tableaux de Constantinople et Marseille, je me suis intéressé à ses différentes adresses. Sa fiche matricule nous apprend qu’au moment du recrutement militaire, soit en 1890, il est étudiant aux Beaux-Arts de Paris, domicilié à Paris, 76 boulevard Edgar-Quinet (quartier Montparnasse). Il fait ensuite son service militaire au 40e régiment d’Infanterie du 10 novembre 1891 au 29 septembre 1892, ce qui est antinomique avec la présence attestée du peintre Prieur-Bardin à Constantinople. Il a obtenu le prix de l’école des Beaux-Arts (arts décoratifs) le 29 novembre 1893.


Ensuite ses différents domiciles sont :
21 décembre 1892 : Paris, 5bis rue Bourgeois
30 juin 1908 : Vienne (Autriche-Hongrie), Ambassade de France
10 décembre 1909 : Paris, 5bis rue Bourgeois
11 décembre 1910 : se rend à Constantinople
10 février 1911 : Constantinople, Ambassade de France
25 avril 1912 : Paris, 5bis rue Bourgeois
 
Rappelons que les hommes étaient tenus de communiquer leurs changements de domicile ou de résidence à l’autorité militaire pour être toujours joignable en cas de mobilisation. Cette obligation courait jusqu’à l’âge de 45 ans, lorsque les hommes étaient libérés du service militaire, soit, pour François-Léon Prieur-Bardin, jusqu’en 1915. Cette obligation n’était pas toujours bien respectée, mais on voit que, dans son cas, il était assez scrupuleux pour mentionner même des absences de courte durée d’un an ou un an et demi. S’il avait été présent à Constantinople entre 1892 et 1901, il est évident qu’il en aurait fait part aux autorités militaires.

Sa présence en Autriche, à Vienne, en 1908, puis à Constantinople en 1911 s’explique par sa participation aux chantiers des ambassades de France dans ces deux pays, dans le premier cas une construction et dans le deuxième une rénovation, les deux menées par l’architecte Georges-Paul Chedanne pour lequel il travaillait.

Hormis ces deux résidences temporaires, François-Léon a habité continûment de 1892 jusqu’à au moins 1936 au 5bis rue Bourgeois, dans le 14e arrondissement de Paris, près de la Gare Montparnasse, dans le quartier Plaisance. Cette rue n’existe plus, ayant disparu dans les chantiers de rénovation du quartier, au moment de la construction de la nouvelle gare.

Comme s’il fallait encore plus de preuves que François-Léon n’était connu que comme sculpteur, ces quatre informations ne font que renforcer cette conviction :
Liste électorale de Paris, 1921 : François-Léon Prieur-Bardin, sculpteur.
Recensements de 1926 et 1931 : François Prieur-Bardin, artiste sculpteur.
Recensement de 1936 : François Prieur, sculpteur, patron : Chedanne.
Dans ces quatre mentions, il est domicilié au 5bis rue Bourgeois.

Pour finir, une œuvre de François-Léon Prieur-Bardin, datée de 1894 :


Il doit s’agir de l’un des médaillons qu’il a présentés au Salon de 1895. La signature peut laisser penser que le prénom d'usage était Léon Prieur-Bardin :


Compléments (octobre 2021)
 
Suite à ce message, j'ai été en contact avec une arrière-petite-nièce de François-Léon Prieur-Bardin. Elle m'a indiqué qu'il était « décédé le 19 mai 1939 à la Vierge Noire à côté de Grenoble [La Tronche] où mon arrière grand-mère, sœur de François-Léon, avait une maison où j'ai eu l'occasion d'aller étant petite. Cette maison fut vendue par mes grands parents. » Son entrée en contact montre qu'elle s'était elle-aussi interrogée sur l'attribution des peintures orientalistes et marseillaises à son arrière-grand-oncle :  « En effet, en comparant, entre autre, les dates que nous avons sur toutes ses médailles des Arts Déco nous n'arrivions pas à comprendre comment il pouvait être à la fois à Constantinople et étudiant aux Arts Déco ! »