dimanche 2 juin 2019

Fait divers : une faiseuse d'anges du quartier des Épinettes (Paris, 17e)

Les recherches généalogiques permettent de rencontrer tous types de situation. La mise en ligne de la presse ancienne numérisée est l'occasion de découvrir des faits divers qui concernent des membres de notre famille. Ainsi, faisant des recherches sur la famille Jacquin et la descendance complète de nos ancêtres Claude Jacquin (1767-1831) [70] et Angélique Bardaux (1780-1858) [71], je suis tombé sur une histoire d'avortements dans le quartier des Épinettes, à Paris (XVIIe), qui est instructive sur la façon dont la presse traitait ce type d'affaire. Le quartier des Épinettes appartenait à ces quartiers qui voyaient se mélanger la classe populaire de Paris et une petite bourgeoisie, souvent issue du commerce et de l'emploi administratif en plein développement.

Le 21 novembre 1901, Le Radical annonce : « Gros scandale » :
Un gros scandale vient d'éclater dans le dix-septième arrondissement : une sage-femme, Mme J..., titulaire au bureau de bienfaisance de la rue Truffaut, et habitant rue Sauffroy, numéro 19 [numéro erroné, il s'agit du 14], a été mise en état d'arrestation par M. Coston, commissaire de police du quartier des Épinettes.
A l'origine de cette affaire, « Marie B..., âgée de vingt-sept ans, domestique chez un charcutier de l'avenue de Clichy » qui « se déclara coupable du crime d'avortement et désigna comme sa complice Mme J... ; elle ajouta que, par trois fois consécutives, elle avait eu recours aux « bons offices » de la faiseuse d'anges. »

Dans un premier temps, l'affaire paraît importante (lien vers l'article en ligne Faiseuse d'anges, première colonne en bas : cliquez-ici)  :
Hier matin, le commissaire de police du quartier des Épinettes a opéré, chez la faiseuse d'anges, une minutieuse perquisition, au cours de laquelle il a saisi une liste d'adresses et une volumineuse correspondance.
Ce qui rend les recherches difficiles, c'est que la plupart des adresses relevées par le magistrat sont celles de clientes « normales ». Mme J..., en effet, est diplômée; elle était attachée — ainsi que nous l'avons dit — au bureau de bienfaisance du dix-septième arrondissement, et il sera difficile d'établir si les personnes dont on a trouvé les noms et l'indication de domicile chez la faiseuse d'anges ont accouché ou avorté.
[...]
Naturellement, les lettres anonymes se sont mises de la partie. M. Coston en a reçu une contenant de graves accusations. Il y est dit que Mme J... allait recruter des clientes, et que certaines d'entre elles ont succombé aux manœuvres de la sage-femme.
Jeanne C... est née à Saint-Denis (93) le 24 juin 1865. Elle a alors 37 ans. Par sa mère Caroline Martin et sa grand-mère Victoire Jacquin, elle est une arrière-petite-fille du couple Claude Jacquin et Angélique Bardaux. Elle appartient à une des branches de cette famille qui a fait souche à Paris et sa banlieue. Elle a épousé le 11 mars 1884 à la mairie du 10e arrondissement Camille J..., un instituteur originaire de la Haute-Marne. Ils n'ont eu qu'une fille, Berthe. Son mari est nommé instituteur à l'école communale de la rue Legendre, à Paris dans le 17e arr. où il est resté jusqu'à sa retraite en 1922. Le couple a eu plusieurs adresses dans ce quartier : 7 boulevard Pereire, 138 rue Cardinet, 89 rue Legendre et enfin 14 rue Sauffroy.

La rue Sauffroy à l'époque des faits, vue depuis l'avenue de Clichy, en direction de la rue Guy Moquet.
Le n° 14 se trouve un peu plus loin, sur la droite.

La même vue aujourd'hui. Les immeubles n'ont pas changé. La comparaison entre les deux vues montre la profonde transformation de la ville et de son appropriation par les habitants.
Jeanne J... est reçue sage-femme à Paris, le 18 novembre 1892, rattachée au bureau du 17e arr. où elle vivait.

Son mari Camille J... est un instituteur très engagé dans son métier. Franc-maçon, il est l'auteur d'ouvrages éducatifs : Écriture moderne, nouvelle méthode (1897), L'Éducateur pratique, résumé de leçons d'éducation et d'hygiène (1903) et La nature et l'homme. Résumés de leçons d'éducation sociale: origine de l'homme, civilisation, éducation sociale. Il a été secrétaire général de l'union amicale des instituteurs et institutrices de la Seine et secrétaire de l'œuvre des maladies professionnelles des membres de l'enseignement primaire de la Seine à Paris. En 1913, il est fait officier de l'instruction publique.

Dans tous les articles consacrés à cette affaire, il n'est fait qu'une fois une allusion rapide à Camille J... : « Mme J..., dont le mari, avec lequel elle vivait en mauvaise intelligence, et qui ignorait les agissements de sa femme, est employé d'administration. »

Dans un premier temps, Jeanne J... et Marie B... reconnaissent les faits, mais, bientôt, Marie B... se rétracte. Elle donnera une version différente lors du procès :
Marie B..., qui avait avoué au moment de son arrestation, déclare au contraire que, souffrante, elle s'était rendue chez la sage-femme sans toutefois se douter qu'elle était enceinte.
Mme J... prétend que sa cliente est venue lui demander de se faire avorter.
Quelques jours après, Le Radical, qui annonçait ce « gros scandale » rapporte les plus justes proportions qu'a prises cette affaire :
La faiseuse d'anges
Aucune nouvelle charge n'a été relevée contre Mme Jeanne J..., la sage-femme de la rue Sauffroy, arrêtée récemment. Il a même été établi que la délivrance à quatre mois de sa complice et dénonciatrice, la fille Marie B..., avait été, en son temps, déclarée à la mairie, comme avortement normal.
La troisième inculpée, Mlle M..., a été remise en liberté provisoire.
Quant à la lettre anonyme qui avait motivé une perquisition chez Mme J..., – perquisition qui n'a d'ailleurs donné aucun résultat – elle émane d'une personne de mœurs légères qui avait à se venger de la sage-femme.
L'affaire ne prendra donc pas les proportions que l'opinion publique lui prêtait tout d'abord.
Il est amusant de voir que le même journal qui a claironné qu'il s'agissait d'une affaire importante explique maintenant que c'est l'« opinion publique » qui lui a donné cette importance. Les mœurs ont changé, mais pas celles des journalistes...

L'histoire de Marie B... éclaire d'un jour cru la situation des femmes parisiennes (et d'ailleurs). Son histoire, classique entre toutes, est racontée par le journaliste :
En 1896, Marie B... entra comme vendeuse au service de M. Régnier, charcutier, avenue de Clichy, 127. Elle ne tarda pas à devenir la maîtresse de son patron. Au cours de l'année 1899 elle accoucha d'une fille et fut soignée par la femme J..., sage-femme de première classe, demeurant à Paris, 14, rue Sauffroy. Au printemps de l'année 1900, se croyant encore enceinte elle s'adressa à la femme J... pour que celle-ci la fit avorter. Les manœuvres réussirent.
Au mois de mars 1901 et en octobre dernier, Marie B..., enceinte, eut recours à la même intervention.
Un autre article précise que cet avortement a été pratiqué « moyennant 100 francs ».

La charcuterie où travaillait Marie B... se trouve immédiatement à gauche de la brasserie "Le Libre-échange", qui fait l'angle de l'avenue de Clichy et de la rue Brochant.

La première enfant née des amours illégitimes du charcutier et de son employée a été enregistrée à la mairie du 17e arr. sur la déclaration de la sage femme Jeanne J.... le 10 septembre 1899. Elle a été confiée à une nourrice de Saint-Ouen, Céline M..., qui aurait aussi fait appel aux services de Jeanne J... . D'abord interrogée, celle-ci ne sera pas poursuivie.

Acte de naissance de Suzanne Juliette B..., déclarée par la sage-femme Jeanne J....

On est au cœur de ces destins de femmes des milieux populaires. Obligées de travailler pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles, elles se font domestiques, employées, bonnes ou lingères. Souvent, elles ont quitté leur village et leur famille pour venir travailler à Paris. Ensuite, plus ou moins contraintes, elles se retrouvent être les maîtresses de leurs patrons et doivent « gérer » les conséquences de ces « amours», sans que les pères soient vraiment inquiétés, voire même considérés comme responsables en partie de cette situation. D'ailleurs, aucun des journaux consultés n'en parle, comme si, dans cette affaire, les hommes étaient absents. Seul le journal Le Radical, celui qui semble avoir couvert le plus largement l'affaire, remarque : « Bien entendu, on n'a pas poursuivi l'auteur de la grossesse de l'employée. Les pères, en pareil cas, bien que généralement les principaux coupables, sont toujours indemnes. »

Dans le cas particulier de l'enfant née des amours du charcutier Jules Régnier et de son employé Marie B...., le père a fini par reconnaître, certes tardivement, sa fille, mais je n'ai pas trouvé de traces d'un mariage avec la mère qui aurait régularisé la situation.

Aux termes de l'instruction, Jeanne J... reste écrouée jusqu'à son procès, alors que l'autre accusée, Marie B..., est libérée. Le jugement du public n'était pas celui de la justice. Une pétition est lancée pour demander sa libération : «  dans le quartier habité par Mme J..., une pétition circule demandant que la même faveur soit étendue à cette dernière. » Cela s'explique par l'estime dont semblait jouir Jeanne J..., ainsi que probablement par une forme de solidarité avec cette femme qui, par son activité de sage-femme, se trouvait au cœur de ces affaires de grossesses non désirées et en prise avec le désarroi des femmes laissées souvent seules pour gérer cette situation. Elle avait probablement aussi l'estime de toutes ces femmes du quartier qu'elle avait aidé à accoucher. Malgré cela, Jeanne J.... est restée en prison. Le jugement a lieu le 7 février 1902 et la condamne à 3 ans de prison, alors que sa coaccusée, Marie B..., écope d'un an de prison avec sursis.

Jeanne J. a purgé sa peine à la prison Saint-Lazare. Son mari a demandé le divorce qu'il obtint rapidement par un jugement du 17 juillet 1902, qui sera confirmé deux fois, le 24 décembre 1902, puis le 11 juin 1903, suite à l'appel et à l'opposition de Jeanne J... Le divorce est prononcé au profit du mari et lui confia la garde de leur fille Berthe. Le domicile de l'épouse indiqué dans la transcription du jugement est le 107, rue du Faubourg-Saint-Denis. Derrière cette adresse, se cache la prison Saint-Lazare, célèbre prison de femmes à Paris, dans laquelle étaient aussi enfermées les prostituées régulièrement raflées par la police.
La prison de femmes Saint-Lazare, 107 rue du faubourg Saint-Denis, Paris 10e arr.

Aux termes de sa peine, vers la fin de 1904 ou au début de 1905, Jeanne J. est revenue habiter dans son quartier des Épinettes, autre preuve que cette condamnation n'était pas considérée comme infamante dans son quartier, puisqu'elle n'hésite pas à croiser ses anciennes connaissances, qui, par la nature de son métier antérieur, devaient être nombreuses. Elle décède deux ans après, le 15 février 1907, à l'âge de 41 ans. Elle habite alors au 109 rue des Moines, à Paris 17e. L'acte de décès la qualifie de sage-femme, ce qui interroge. Malgré sa condamnation, a-t-elle pu tout de même reprendre son métier ? Je n'ai pas d'autres mentions, hormis celle de cette acte.

Quelques mois après le dernier jugement de divorce, Camille J... s'est remarié le 8 octobre 1903 avec Louise S...., directrice de cours dans le 17e arr. Plus tard, celle-ci, après le décès de son mari, adoptera sa belle fille Berthe J..., le 9 avril 1924. L'impression que me laisse tout cela est que Berthe, qui avait 16 ans lorsque sa mère a été arrêtée et condamnée, en a été séparée jusque dans sa filiation.

J'ai fait le choix de rendre anonymes tous les noms dans ce message, pour éviter que les noms rares de Jeanne J..., tant son nom de jeune fille que son nom d'épouse, se trouvent associés à cette histoire dans les moteurs de recherche. On aura remarqué, dans les quelques extraits d'articles de journaux que j'ai reproduits ici, que les noms des personnes concernées sont clairement indiqués, tant ceux des personnes directement impliquées, que ceux des membres de l'entourage, plus ou moins associés à cette affaire : l'amant et patron, le mari de l'accusée, mais aussi l'employée qui aurait fait appel à ses services, la dénonciatrice « anonyme », le juge d'instruction, le commissaire, etc. C'était l'usage dans la presse de l'époque.

mercredi 1 mai 2019

La Papeterie des Alpes, Mlles Escalle, à Grenoble

Au milieu des années 1880, un libraire et papetier originaire de Voiron, Eugène Robert, s'installe à Grenoble au 13 rue Saint-Jacques. Très vite, il se spécialise dans l'édition et la diffusion de photographies du Dauphiné, sous forme de cartes postales ou de livrets de photos. Il diffusera ainsi les photographies d'Eugène Charpenay ou Gustave Oddoux. Après son décès en 1904, son fils Claudius Robert lui succède et, en 1911, il déménage au n° 9 de la place Grenette, un lieu plus central pour diffuser ses productions.



Après la guerre de 14-18, Me Hippolyte Escalle, notre arrière-grand-père, souhaite aider ses filles en leur donnant une occupation et un moyen de gagner leur vie. Il fait en particulier cela pour sa fille aînée, Marie Escalle, veuve Deydier, dont le mari est mort en août 1914 à la guerre. Le 20 août 1920, il achète le fonds de commerce de la Papeterie des Alpes à la famille Robert pour y installer ses filles. Désormais, elles écoulent les productions Robert sous la marque commerciale Mlles Escalle.

Elles remplacent l'ancienne mention « E. Robert » par la leur :


Elles accolent une vignette sur les livrets de photographies, comme celle-ci :


Cette étiquette se trouve dans ce livret :


avec cette belle photo de la Meije :


Je viens de retrouver dans les papiers de famille une belle en-tête de facture :


Cette facture vierge a servi de brouillon à notre arrière-grand-père pour prendre quelques notes sur son acquisition de l'immeuble du 50, Grande Rue (Grande Gargouille), à Briançon. On les voit par transparence.

En 1920, les trois sœurs Escalle qui reprennent le commerce sont Marie (Tata Marie), 28 ans, Marguerite (Tata Go), 23 ans, et Louise (notre grand-mère), 17 ans. Pour cette dernière, nous ne savons pas si elle a rejoint ces 2 sœurs dès l'achat, étant donné son jeune âge. Lorsque je pourrai consulter les recensements de Grenoble et Briançon en 1921, je vérifierai ce point.

Nous ne savons pas exactement quand elles ont arrêté leur activité. A partir de 1927, il n’y a plus de traces des demoiselles Escalle dans l'annuaire officiel de l'Isère. La cessation d'activité est enregistrée le 12 septembre 1928. Il est vrai qu'entre-temps Marguerite Escalle s'est mariée le 26 septembre 1923 avec Eugène Jacob et, un an plus tard, nos grands-parents Louise Escalle et André Magron se sont mariés à Briançon. C'est grâce à cette papeterie qu'ils se sont rencontrés puisque, au moment même où notre grand-mère tenait la boutique avec ses sœurs, notre grand-père, venu de Roubaix, faisait ses études à l'IEG (Institut Électrotechnique de Grenoble).

 La place Grenette, vers 1930.

Le 9, place Grenette aujourd'hui (immeuble d'angle, où se trouve le magasin André)

Je remercie Jean-Luc Tissot qui m'a fourni quelques informations et images pour ce message.

Nota :
Ce message a déjà été  posté le 15 septembre 2018. Je l'ai complété et amendé, d'où cette nouvelle publication.

jeudi 25 avril 2019

Claude Cohendet-Chapot, propriétaire cultivateur à Venthon en 1741

Après le mariage de Joseph Jaquin [140] et Claudine Cohendet-Chapot [141] (cliquez-ici), je m'intéresse aujourd'hui au décès du père de Claudine, Claude Cohendet-Chapot, grâce à un document particulièrement intéressant, son inventaire après décès.

Sépulture de Claude Cohendet-Chapot, le 10 mars 1741, dans les registres paroissiaux de Venthon (Savoie)

Le 8 mars 1741, Claude Cohendet-Chapot [282] meurt dans sa maison de Venthon, en Savoie. Nous ne connaissons pas sa date de naissance, mais il devait avoir une trentaine d'années. Il s'était marié le 25 février 1734 avec Anne Deschamps-Bonnat [283] de la paroisse voisine de Conflans (aujourd'hui, incorporée à Albertville). Au moment de son décès, ils ont deux enfants : Claudine, née le 13 mars 1737 et Joseph né le 2 novembre 1739. Comme il était d'usage lorsqu’un défunt laissait des enfants mineurs, il était procédé à un inventaire des biens, tant mobiliers qu'immobiliers, afin de garantir les droits des héritiers jusqu'à leur majorité. En effet, dans le cadre du régime dotal, si l'épouse restait propriétaire de sa dot, elle n'avait pas de droits particuliers sur l'héritage de son mari, qui revenait à ses enfants. En tant que tutrice, elle était donc responsable de leur préserver cet héritage jusqu'à leur majorité. À leur majorité, les enfants devaient lui donner quittance de sa gestion de leurs biens. Dans ces conditions, l'inventaire du défunt permettait de garantir une « image » fidèle de tous les biens dont la tutrice serait plus tard comptable.

Ainsi, dès le 8 mars, le notaire Claude Antoine Viallet, de Conflans, vient poser les scellés, les « cachettement » comme l'indique l'acte. Le 10 mars, Claude Cohendet-Chapot est inhumé. Le 16 mars, le notaire se présente à la maison des « hoirs [héritiers] de feu Claude Cohendet Chappot » pour procéder « à inventaire des effets, titres, meubles, créances et autres délaissés par ledit feu Claude Cohendet Chappot ». L'inventaire va durer deux jours, les 16 et 17 mars. Sont présents la veuve, Anne Deschamps-Bonnat, son frère Jean François Deschamps-Bonnat qui se porte caution pour sa sœur, et cinq témoins, tous de Venthon : Antoine Roengier-Monet, oncle maternel du décédé, Louis Hivert-Besson, son beau-frère, Joseph Girondet-Ramboud, Joseph Sibuet et Antoine Gindrat.

C'est cet inventaire que nous allons analyser. Il contient trois parties : les meubles, les titres, autrement dit tous les papiers du défunt, et enfin les biens immobiliers. Comme il s'agit de l'inventaire de Claude Cohendet-Chapot, tout ce qui pouvait appartenir à sa veuve n'est pas inventorié, même s'il y est parfois fait référence.

La maison du défunt est composée d'une cuisine, qui est la pièce principale, et d'une cave, le tout surmonté d'un grenier et d'un « galletaz ». À côté de la cuisine, se trouve une écurie – une « equirie » comme l'orthographie le notaire. Il semble qu'il y avait aussi une grange, qui est peut-être confondue avec le grenier. La maison est couverte de paille, autrement dit de chaume. Le notaire, avec les témoins, passe dans chaque pièce et relève tous les objets, en donnant, pour chacun, une estimation de sa valeur, qualitativement, ou de son usure.

Dans la cuisine, il ne trouve que trois meubles : deux lits en sapin et un « mauvais » coffre en sapin avec une serrure.
Comme ustensiles de cuisine, il inventorie :
  • Deux pots à feu « de guise » (en fonte) d'une contenance de 4 pots, soit 6 litres chacun.
  • Deux marmites de cuivre, d'une contenance d'environ un demi-seau.
  • Un pot, un demi-pot et deux cuillères en étain.
  • Une tasse à puiser l'eau, deux cuillères à pot, deux poêles à frire.
  • Deux seaux de bois.
  • Une crémaillère, deux petits chenets, une poêle à feu.
  • Une poêle à frire percée.
  • Une lampe de métal.
S'il ne relève aucune nourriture, qui est conservée au grenier, il trouve dix livres (à peu près 4 kg) de « fillet de rite », autrement dit des écheveaux de fibre de chanvre tissée et douze livres (à peu près 5 kilos) de « fillet d'etoupe », soit de la fibre de chanvre non tissée.
Enfin, dans cette pièce, Claude Cohendet-Chapot conserve son fusil.

La cuisine était la pièce principale de la maison, celle dans laquelle toute la famille vivait, mangeait, recevait et dormait. C'était la seule pièce aussi dans laquelle se trouvait une cheminée, qui permettait en même temps de faire la cuisine, grâce aux marmites, attachées à la crémaillère, et aux poêles, et de se procurer un peu de chaleur en hiver. La description de la maison laisse penser que l’écurie est distincte de la cuisine, autrement dit qu'il n'y avait pas de cohabitation des hommes et des animaux, comme on le voit dans de nombreux autres villages de montagne dans les Alpes.

Cette image d'un intérieur savoyard, largement postérieure et quelque peu caricaturale, donne une idée de l'utilisation de la cheminée pour la cuisine et le chauffage. Dans cet intérieur, les animaux cohabitent avec la famille.

Le reste des biens se trouve au grenier, situé au-dessus. Il n'est pas précisé comment on y accède, mais il devait probablement y avoir un escalier extérieur. Il y a là les deux coffres de la famille, le meuble de rangement par excellence. Il y a le coffre en sapin, avec ses ferrures et serrures, dans lequel Claude Cohendet-Chapot conserve ses titres et papiers qui sont inventoriés par le notaire, puis le coffre en sapin avec ses ferrures et serrures fermant à clef, qui a été donné à Anne Deschamps-Bonnat par son frère Jean François, probablement au moment de son mariage, comme élément de la dot, et qui contient les habits de la famille, dont les habits qui ont formé le trousseau de la veuve. Comme expliqué, ce dernier ne sera pas inventorié.
Toujours au grenier, comme seuls meubles, il y a une table en noyer, avec son « soutien », probablement le pied de table, et trois chaises, aussi en noyer. Enfin, il n'y a qu'un seul ustensile de cuisine, une « mauvaise » poêle à frire, qui était probablement là car elle n'était plus utilisée. On y trouve aussi « un poid à crochet sans coupe tirant du costé du plus quarante sept livres et de l'autre douze livres », que j'identifie comme une balance romaine, permettant de peser de 5 à 20 kilos (la livre de Savoie valait 418,61 grammes).

C'est aussi au grenier que la famille conserve ses provisions. Dans un grand coffre en sapin, appelé « arche », qui servait à conserver le grain dans des compartiments, le tout mesurant 9 pieds de longueur et 4 de largeur, soit 3 mètres sur 1,30 mètre, à 3 niveaux, le notaire inventorie 30 « cartes » de seigle et 12 « cartes » d'avoine, soit 4 hectolitres de seigle et 1,6 hectolitre d'avoine. Le « carte », ou « quarte », est une mesure de volume savoyarde. Sur une « terrasse » (une étagère ?), il y a aussi deux pots d'huile de noix, deux moitiés de lard de cochon et quatre jambons. Enfin, le notaire trouve une « carte » et demi, soit 20 litres, d'orge réservés pour l'ensemencement. Nous en reparlerons.

Le grenier abrite aussi quelques outils agricoles : deux faux, deux haches, dont une grosse hache appelée « pioule », un coin de fer, pour fendre le bois et, enfin, un coutre avec un soc en fer servant de charrue, pour labourer. Pour finir, la famille range là les deux tours à filer, nécessaires pour le filage domestique du chanvre. Les tours à filer faisaient parfois partie de la dot de la jeune fille, puisque le travail des fibres était une tâche dévolue aux femmes.

Nous avons bientôt fini de faire le tour de la maison. Dans la cave, le notaire inventorie quatre tonneaux de bois, dont certains sont cerclés de fer, un cuvier, trois cornues (voir en fin de message) et comme outils agricoles, un « tridant » (une fourche), et une herse. Devant la cave, se trouve une cuve dont le notaire rapporte qu'il faut refaire le fond.

Voilà tous les biens de la famille.
On peut seulement s'étonner de ne trouver aucune assiette, ni aucun couvert, hormis quelques cuillères. Il est fort probable que l'on mangeait directement dans les marmites ou pots, avec les cuillères. La cuisine se faisait directement dans la cheminée, dans les marmites qui étaient accrochées à la crémaillère. On constate donc une certaine rusticité de mœurs et d'usages. On remarque aussi qu'il n'y a aucun siège dans la cuisine, qui était pourtant le lieu de vie, où l'on mangeait, dormait et vivait. Le coffre pouvait servir de siège. Peut-être qu'il y avait des murets le long du mur pour s'asseoir. La table et les sièges remisés au grenier ne devaient guère servir et, surtout ne devaient pas servir à un usage quotidien. Il faut toujours avoir à l'esprit que les intérieurs paysans « anciens » tels qu'on peut les voir dans les musées régionaux, les musées de la vie rurale, dans les films et, plus généralement, dans l'imagerie de la vie d'antan, reflètent en réalité un état de ces intérieurs tels qu'ils étaient à la fin du XIXe siècle, et non ceux du début XIXe et encore moins du XVIIIe siècle. A ma connaissance, il n'existe pas de vues d'intérieurs paysans savoyards, que ce soit ceux des paysans « moyens » comme l'étaient Claude Cohendet-Chapot et sa famille ou de paysans plus aisés ou de bourgeois de village. Seuls ces inventaires peuvent nous en donner un aperçu. C'est aussi pour cela qu'il ne faut pas déduire de ce très grand dépouillement de l'intérieur de ces maisons que nous avons affaire à une famille pauvre.

Le linge de la famille est tout aussi modeste. Parmi le linge de ménage, le notaire inventorie douze draps de toile commune, trois nappes de toile commune, trois serviettes et une « couverte » (une couverture) de drap gris.

Quant aux habits du défunt, il se résume à huit chemises, une veste de draps, une veste de toile à drap, un corsage de toile à drap, un corsage de ratine, une paire de culotte de ratine bleue, une autre paire de culotte de toile à drap, trois cravates de toile de marchand. Pour se couvrir, Claude Cohendet-Chapot a deux chapeaux. Le « corsage » doit être un gilet. Quant aux culottes, c'était l'habit habituel des hommes. Le notaire ne relève aucun bas, qui était le complément de la culotte. Pour se faire une idée de la cravate, cette définition du Dictionnaire de l'Académie française de 1694 décrit ce qu'était la cravate à cette époque : « Sorte de mouchoir fait de toile ou de taffetas qui entoure le col, et tient lieu de collet. » On était alors plus proche de l'écharpe que de la cravate que l'on connaît aujourd'hui. Enfin, dans cette région, l'usage était plutôt de porter des chaussures que des sabots. Pourtant, dans cet inventaire, il n'y en a aucune. Peut-être que le défunt a été enterré avec la seule paire de chaussures qu'il possédait.

Image, probablement enjolivée, du costume des paysans d'Allevard, qui nous donne, néanmoins, une idée du costume masculin au XVIIIe siècle (source : Les anciens costumes des Alpes du Dauphiné, Edmond Delay, 1922).

Cette autre image, datée de 1804, est peut-être plus proche de l'habillement ordinaire. Comme dans l'inventaire des habits de Claude Cohendet-Chapot, l'homme porte une veste et une culotte en drap, un gilet bleu (un « corsage »), une cravate blanche et une large ceinture rouge. Il porte des bas et des guêtres. Il est coiffé d'un tricorne, comme, peut-être, en portait notre ancêtre.



Comme toutes les familles de petit paysan et petit propriétaire de cette région, la famille Cohendet-Chapot combinait la culture céréalière : seigle, avoine et orge, et un peu d'élevage. Dans l'écurie de la maison, Me Viallet trouve quatre vaches, dont deux appartiennent à la veuve Anne Deschamps-Bonnat. L'âge des vaches est donné en « veaux ». Une des vaches est âgée de « cinq veaux », et les autres de « neuf veaux ». A côté de ces vaches, le notaire relève deux veaux de deux ans, six brebis, dont il précise que ce sont des agneaux d'une année et enfin un « petit chochon » qu'il qualifie de « hivernage » si ma lecture est correcte. Il doit s'agir du cochon que la famille engraisse pendant l'hiver, pour ensuite être tué à l'automne suivant afin de fournir le lard et le jambon, sous forme de salaison, comme ceux qu'ils conservent dans le grenier.

Dans un des coffres du grenier, la famille conserve précieusement les différents papiers de famille : contrats de mariage, testaments, obligations, quittances, contrat de vente, etc. Dans ce pays de droit écrit, ces documents étaient la preuve tangible de l'histoire patrimoniale de la famille. Il n'y a pas moins de 29 ensembles de documents, contenant de une à cinq pièces. Le plus ancien est un « contrat de ratification portant relachement d'un quarteron de terre pour Nicolas Jacquin, de Venthon, par Mauris Ducretet Payez, du mandement de Chatel », de 1668, soit 73 ans auparavant. Ce Nicolas Jacquin apparaît plusieurs fois parmi les papiers, sans que l'on sache à quel titre. Si le notaire a répertorié cet acte, c'est qu'il devait avoir une importance pour l'histoire patrimoniale de Claude Cohendet-Chapot, à la différence de ces autres documents qu'il se contente de rassembler dans « une liasse où sont contenus tous les papiers de nulle valeur ». L'ensemble de ces papiers montre que ces ménages vivaient dans une économie de la dette où chacun devait de l'argent en même temps qu'il lui en était dû, d'où ces quittances nombreuses qui sont la preuve que les dettes ont été payées ou que les sommes sont encore dues. La situation financière de Claude Cohendet-Chapot semble avoir été assez saine car il meurt sans dettes, ni créances.

La dernière partie de l'inventaire, tout aussi instructive pour nous, est la description détaillée de toutes ses propriétés foncières, sur la base du cadastre de Venthon. A la différence de beaucoup de régions françaises, la Savoie, alors hors du royaume de France, disposait déjà d'un cadastre dès le XVIIIe siècle, basé sur de très belles cartes qui représentaient de façon colorée et précise le découpage des terroirs entre les champs, les bois, les vignes, les habitations, les chemins et, plus généralement, tous les détails du paysage. Associé à ces « mappes », car tel était le nom de ces cartes, le cadastre en lui-même référençait toutes les propriétés des personnes. Parmi les papiers inventoriés, il y a une copie du cadastre pour Antoine Cohendet-Chapot, le père de Claude, datée de 1733. C'est probablement sur la base de ce document que le notaire inventorie les propriétés de Claude Cohendet-Chapot. Pour illustrer la précision de la description des parcelles, cet extrait :


Transcription :
Item champ aud. contenant suivant led. cadastre quatre journaux trois cent
huittante six toises cinq pieds et sous le numero d'icelluy deux cent vint quatre et le tout
se confine par les champs de jean baptiste ducretet payaz dessus le susd. chemin
tendant de venthon au pomarey dessous et pré des hoirs de me benoist marin champ
d'antoine roengier monet pré dud. loüis deschamps bounat et champ de jaque vouthier
du levant champ des hoirs dud. me. benoist marin du couchant

La surface de la parcelle est exprimée en journal, toise et pied, qui sont les unités de mesure de surface en Savoie. Le journal valait 29 ares 48 m2, 400 toises faisaient un journal et 8 pieds faisaient une toise. Cette parcelle mesure donc 1 hectare 46 ares et 41 m². Le notaire décrit précisément les confins, autrement dit les propriétés mitoyennes, avec leurs propriétaires, selon les 4 points cardinaux : nord (« dessus »), sud (« dessous », est (« levant ») et ouest (« couchant »). Cette parcelle se trouve sur la « mappe », au quartier aujourd'hui appelé Poirier Rousset :


La parcelle 222, insérée dans la parcelle 224, appartient aussi à Claude Cohendet-Chapot. Elle est qualifiée de pré. On remarque que la convention de représentation des champs est une évocation d'un terrain labouré, avec ses sillons, alors que le pré est une surface verte. Sur cette parcelle 224 se trouve une petite construction, en rouge, qui appartient aussi à Claude Cohendet-Chapot. Dans l'inventaire, ce bâtiment est qualifié de grange, d'une surface de 143 m². C'est un petit bâtiment comportant au rez-de-chaussée une écurie, surmontée d'une grange, le tout étant couvert de paille, autrement dit de chaume. Ces petits bâtiments agricoles, qui semblent nombreux sur le territoire de la commune, permettaient de garder les récoltes, les outils et le bétail proches des champs et des prés. Dans le cas présent, cette grange ne se trouve qu'à 400 m. de la maison familiale, à vol d'oiseau. Si, au moment du décès de Claude Cohendet-Chapot, cette écurie et cette grange contenaient des biens, ils ne sont pas inventoriés.

En définitive, sur la commune de Venthon, Claude Cohendet-Chapot possédait 13 parcelles, qui totalisaient 4 hectares 31 ares. Il y avait une variété de terres : des champs, qui sont des terres labourables, des près, pour le pâturage du bétail, des vergers, proches des maisons, et des bois de châtaignier. Ainsi, cette variété permettait à la famille d'assurer sa subsistance, en lui fournissant tous les aliments dont elle avait besoin : seigle, pour le pain, avoine, orge, laitages, fournis par les vaches, viande de porc, châtaignes, fruits et probablement légumes. Les parcelles plantées de châtaigniers offraient du bois de chauffage, outre le complément alimentaire fourni par les châtaignes. Ce bois était indispensable pour assurer la cuisine quotidienne et la chaleur en hiver, d'autant que la description de la maison laisse penser qu'il n'y avait pas de cohabitation des hommes et des animaux dans une même pièce en hiver, comme on le voit fréquemment dans d'autres régions de montagne. La découpe du bois de chauffage était une activité importante, comme on l'a vu par la possession de deux haches et d'un coin de fer, parmi les rares outils agricoles que possédait Claude Cohendet-Chapot.

Pour compléter l’approvisionnement de la maison, la famille possédait une parcelle de vigne de 850 m², à « Plambety » (Plan Betet), sur la commune voisine de Conflans, sur un coteau surplombant la vallée de l'Isère, exposé à l'ouest. Claude Cohendet-Chapot pouvait ainsi faire sa « piquette ».

Les vignes de Conflans
Comme beaucoup de paysans de Venthon, Claude Cohendet-Chapot possédait sa maison d'habitation. Cependant, il se distinguait en possédant une deuxième maison, proche de la première, composée d'une cuisine, d'une écurie, d'un galetas et d'une petite cave, le tout d'une surface de 100 m². Enfin, en plus de la grange citée ci-dessus, il en possédait une autre sur un autre terroir de la commune, proche de cette deuxième maison.
Sur ces deux vues : « mappe » de 1732 et photo aérienne (source : Géoportail), on constate que la trame des rues est restée inchangée, même si de nombreuses rues ont été élargies. La maison Chapot est entourée d'un cercle blanc. En bas à gauche, le cimetière, où sont enterrés nos ancêtres Joseph Barféty et Joséphine Uginet-Chapot, arrière-arrière-petite-fille de Claude Cohendet-Chapot.

En définitive, par l'ensemble de ses propriétés, Claude Cohendet-Chapot appartenait à la catégorie des petits propriétaires. Tant par la surface possédée, que par la diversité des types de terres, il pouvait assurer la subsistance alimentaire de sa famille, sans qu'il lui soit nécessaire ni d'acheter des denrées alimentaires, ni de vendre sa force de travail pour se créer un revenu. Notons d'ailleurs qu'il procurait à sa famille une certaine variété alimentaire : céréales, féculents (châtaignes), fruits, légumes, viandes et salaisons, vin. Il disposait aussi des matériaux de base pour couvrir ses maisons, avec la paille de seigle pour faire le chaume, et le bois pour se chauffer, faire la cuisine et construire les quelques meubles qu'il possédait. Il devait tout de même être obligé de vendre une partie de sa production pour disposer d'un peu de liquidité pour payer les taxes et impôts, pour acheter les biens qu'il ne pouvait pas fabriquer (ustensiles de cuisine et outils agricoles) et pour compléter son patrimoine par des achats de terres.

Dernière remarque sur ce très riche inventaire, si on se donne la peine d'en relever tous les détails. Le notaire précise que seules trois parcelles sont ensemencées en seigle, soit une surface de 72 ares. Le seigle se sème en automne. En revanche, l'ensemencement en orge n'a pas encore été fait, puisque Claude Cohendet-Chapot a 20 litres d'orge précieusement conservés au grenier pour cela. L'orge se plante au printemps.

Pour revenir aux terres possédées par Claude Cohendet Chapot : les parcelles 224 et 222 et la grange, la comparaison entre le cadastre de 1732, celui de 1873 (premier cadastre établi après l'annexion de la Savoie à la France) et le cadastre actuel montre une permanence du découpage des parcelles sur une durée de presque 300 ans. La seule différence est que les deux parcelles, ainsi que la grange ont été scindées en deux parts égales. C'est très probablement le résultat d'un partage entre les enfants de Claude Cohendet-Chapot, ou entre 2 frères d'une génération postérieure. L'usage de couper les parcelles de même nature en deux s'explique par cette volonté de conserver la diversité des terres, pour les différents usages agricoles nécessaire à l'impératif de subsistance. Dans le cas de Claude Cohendet-Chapot, une division de son patrimoine en 2 parts égales pouvait conduire à disposer d'une surface totale trop faible par rapport au minimum nécessaire pour assure la subsistance d'une famille. Pour cela, il était donc impératif de se marier avec une jeune fille de niveau social équivalent afin que sa dot compense la perte due à cet usage des partages en parts égales.

Comparaison des parcelles 224 et 222 et de la grange de Claude Cohendet-Chapot entre la « mappe » de 1732, le cadastre de 1873 et le cadastre actuel.

Après le décès de Claude Cohendet-Chapot, sa veuve, Anne Deschamps-Bonnat s'est remariée en 1749 avec Jean Baptiste Duc, maître cordier, de la Plaine de Conflans. Nous ne savons ni quand ni où elle est décédée. Elle vivait encore en 1764. Sa fille aînée, Claudine Cohendet-Chapot, a épousé Joseph Jaquin (ou Jacquin) de Venthon le 1er août 1763. Nous descendons de ce couple. Le fils Joseph Cohendet-Chapot s'est marié vers 1775 à Paris avec Françoise Ursule Favre-Donnier, une Savoyarde de Paris. Ils ont fait souche à Venthon où l'usage a prévalu de les nommer simplement Chapot. Le témoin du décès de Joséphine Uginet-Chapot, veuve Barféty, en 1905, Donat Chapot, est un descendant de couple.

Le document numérisé est accessible sur le site des Archives départementales de Savoie, bureau du tabellion de Conflans, registre d'insinuation 02/01/1741-04/04/1741 (2C 1487), vues 279-283/585 : cliquez-ici.

Ce travail d'études et de recherche d'Andrée Vibert-Guigue, professeure d'histoire, paru en 1973 : La vie rurale à Saint-Maxime de Beaufort dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, est une source précieuse d'informations et de comparaisons pour l'analyse de cet inventaire. Beaufort-sur-Doron se trouve à une quinzaine de kilomètres à l'ouest de Venthon, au centre du Beaufortain :


Comme à Venthon, la propriété est très morcelée et les parcelles sont en général petites. A Beaufort, 22 % des propriétaires possèdent entre 2,5 et 5 hectares, comme Claude Cohendet-Chapot. 57 % possèdent moins de 2,5 ha. et 21 % plus de 5 hectares. On voit donc, par comparaison, qu'il se situe dans la moyenne supérieure des propriétaires, le classant parmi la moyenne paysannerie.

A propos du mobilier, elle donne une synthèse fondée sur l'exploitation des inventaires après décès :
Les meubles, fabriqués le plus souvent par le paysan lui-même, visent à satisfaire les besoins élémentaires des habitants.
Les bois de lit figurent dans tous les inventaires sans exception. En général, chaque famille en possède au moins deux. Isolés du reste de la chambre par des rideaux, ces lits ne sont pas très confortables. Deux familles seulement détiennent des matelas de laine ou de grains ainsi que des paillasses. Les gens dorment sans doute directement sur le foin. Les traversins et couvre-lits demeurent très rares. On les trouve seulement chez les personnes aisées. Draps et couvertures par contre abondent, Ces dernières très chaudes sont fabriquées sur place grâce à la laine des moutons. Les peaux de ces animaux ainsi que celles des chèvres sont utilisées comme couverture l'hiver lorsqu'il fait bien froid. Dans chaque foyer, deux ou trois coffres contiennent les linges et vêtements de chacun. Munis d'une serrure, ils sont toujours soigneusement fermés à clef. [..]. Les tables, quelquefois rondes, mais le plus souvent rectangulaires, sont assez répandues. Comme tous les meubles d'ailleurs, elles se fabriquent en bois sapin, quelques unes peuvent être en noyer. Les chaises n'apparaissent qu'en 1780 ; pour s'asseoir les gens utilisent des tabourets et surtout de longs bancs. Ceux-ci sont disposés de façon à ce que leurs occupants bénéficient de la chaleur procurée par la cheminée. Les poêles n'existent pas et le seul moyen de chauffage est constitué par cette cheminée. A l'intérieur de celle-ci, la crémaillère attachée à un anneau, permet d'accrocher au-dessus du feu un chaudron en cuivre où l'eau chauffe en permanence. Les paysans possèdent au moins trois ou quatre de ces récipients. Ils sont de dimension variable, les plus gros pèsent dix kilos, les plus petits, un kilo et demi. L'eau est transportée, de la fontaine proche, à l'aide de bassins en cuivre ou de seaux en bois. La cuisine se fait sur l'âtre, en avant du feu, en profitant de la proximité de la flamme, grâce à des pots de fer. Ils sont eux aussi de dimension variable [...] Ils disposent également de marmites ou brons en fer ou fonte dans lesquelles ils font cuire la soupe.
Les ustensiles de ménage se révèlent assez nombreux. Les poêles à frire figurent dans tous les inventaires, ainsi que les écumoires et les grandes fourchettes de fer servant à saisir les légumes ou la viande. Couteaux à hacher, saladiers, terrines, salières, moutardiers et moulins à poivre, sont la propriété de personnages plus aisés.
Les pauvres comme les riches disposent pour manger de plats, d'assiettes, d'écuelles et cuillères en étain ou bois, qu'ils rangent soigneusement le repas fini dans le "rattelier" prévu à cet effet. La vaisselle de faïence existe, mais elle est un luxe réservé aux notaires et aux prêtres de Saint-Maxime. Chez ces notables, on peut aussi trouver des gobelets de verre et des tasses à café avec leurs soucoupes. Si les cuillères d'étain sont très répandues, les fourchettes exclusivement en fer demeurent encore une exception en 1750 ; en 1780 elles semblent être utilisées presque couramment. Les couteaux ne sont jamais mentionnés dans les inventaires. Ils ne se révèlent peut-être guère nécessaire car les paysans consomment, on va le voir, des aliments qui souvent ne nécessitent pas la présence d'un couteau.
Cette analyse permet de constater que Claude Cohendet-Chapot et sa famille vivaient dans la moyenne de leurs compatriotes, par l'équipement de leur foyer en mobilier et en ustensiles de cuisine, à l'exception déjà notée de la vaisselle. La frugalité des mœurs était alors partagée par presque tous.

Lien vers la généalogie de Claude Cohendet-Chapot : cliquez-ici.
Lien de parenté avec ce couple : cliquez-ici.

Je n'ai pas trouvé de représentation satisfaisante d'un intérieur savoyard au XVIIIe siècle. J'ai donc choisi de terminer ce message avec ce très célèbre tableau de Louis Le Nain : Famille de paysans dans un intérieur, daté des environs de 1642.
Je ne sais pas si la représentation est fidèle. La présence du vin, dans un verre qui détonne un peu par rapport aux autres biens et ustensiles, du pain et du sel peut laisser penser à un message symbolique ou religieux. Il ne faut donc pas y voir une peinture réaliste d'un intérieur paysan, mais, malgré cela, ce tableau m'évoque nos ancêtres paysans dans la simplicité de leur quotidien.


Complément :
A propos du mot « cornue », un lecteur m'a sympathiquement transmis cette information qui me donne une piste pour identifier cet objet :
« La cornue, ou comporte chez nous dans le sud, est un récipient de bois servant a transporter les raisins de la vigne à la cave. Ce nom de cornue vient du fait qu'il est équipé de deux supports ressemblant à des cornes. », avec cette image :
 

samedi 16 février 2019

Un mariage en Savoie en 1763

Le mercredi 27 juillet 1763, Joseph Jaquin [140] et Claudine Cohendet-Chapot [141] se rendent à huit heures du matin chez le notaire Viallet de Conflans (aujourd'hui Albertville). Leur mariage va bientôt avoir lieu à Venthon, une commune voisine où ils sont tous les deux nés et où ils habitent. Joseph Jaquin, âgé de 35 ans, est accompagné de son père François Jaquin [280]. Il a perdu sa mère depuis presque 20 ans. Claudine Cohendet-Chapot, âgée de 26 ans, est accompagnée de son unique frère Joseph, qui est devenu le chef de famille depuis la mort de leur père Claude en 1741, et de sa mère Anne Deschamps-Bonnat [283]. Devant le notaire, ils vont régler les conventions matrimoniales. Ils sont aussi accompagnés de deux témoins, Jean François Deschamps-Bonnat, oncle de l'épouse, et Pierre Mocquand [Mocand], tous les deux de Conflans.

Début du contrat de mariage entre Joseph Jaquin et Claudine Cohendet-Chapot


Selon un usage bien établi, les futurs époux se marient sous le régime dotal, qui était alors la norme. Le principe est que l'épouse, ou plutôt le père de l'épouse, apporte à la communauté une dot pour « comme il est de louable coutume [...]  s'aider plus facilement à supporter les charges occurrentes au mariage », comme le stipule le contrat de mariage selon une formule établie. Traditionnellement, la dot de la jeune fille est composée d'une somme en argent, très variable selon la situation sociale de l'épouse et de sa sa famille, de son trousseau, que l'on appelait « trosseil » en Savoie, et parfois d'autres biens comme une brebis, des bijoux ou des meubles.

La dot de Claudine Cohendet-Chapot est de 1 100 livres de Savoie. Il est difficile d'estimer l'importance de cette somme. On peut la comparer à une série de contrats de mariage savoyards publiés en 1883, concernant la commune de Messery, en Chablais, une région de Haute-Savoie au bord du lac Léman (cliquez-ici). En 1721, lorsque la fille d'un notaire épouse le fils d'un « procureur au siège mage », le père de la mariée donne une dot de 1 333 livres. On y trouve des dots de 500 livres, mais aussi de 3 000 livres. Parmi les autres contrats trouvés à Venthon, dans la famille, ces 1 100 livres représentent une somme plutôt dans le haut de la fourchette.

Cette somme est composée de 600 livres qui lui viennent de ses droits sur l'héritage de son père, de 400 livres qui lui sont promises dans l'héritage de sa mère et qui ne lui seront dues qu'après le décès de celle-ci, par son frère qui s'y engage, et enfin de 100 livres qui lui ont été léguées par sa tante célibataire Marguerite Cohendet-Chapot, décédée à l'âge 64 ans deux ans auparavant. Mais ce ne sont que 400 livres qui sont payées le jour du contrat :
La somme de quatre cents livres à compte des droits paternels présentement et réellement comptée, nombrée et déboursée par ledit Joseph Cohendet Chappot, des deniers de ladite Anne Deschamps Bonnat sa mère en seize et demi pistoles neuves de Piémont, valeur de vingt quatre livres pièce, et quatre livres en sols, vérifiée, retirée et emportée au vu de moi dit notaire et témoins par ledit François Jaquin. De laquelle [somme], bien content et satisfait, [celui-ci] en quitte et libère de même que dudit trosseil et coffre ledit Joseph Cohendet Chappot, et au besoin ladite Anne Deschamps Bonnat avec promesse de n'en jamais plus rien demander.
Comme on le voit, c'est le fils et la mère, solidairement, qui payent la dot, mais celui qui la reçoit et qui en donne quittance est le père du marié. Nous reviendrons sur cette apparente anomalie. Pour finir sur la dot en espèces, la somme de 400 livres a été prêtée à Joseph Cohendet-Chapot par sa propre mère. Le contrat de mariage porte les conditions de ce prêt et du paiement annuel des intérêts de 20 livres, soit 5 %, sous forme d'une rente annuelle.

Dans le système successoral de Savoie (mais on trouve exactement les mêmes règles dans les Hautes-Alpes), la dot représente la part des filles dans la succession de leurs parents. Le contrat stipule clairement que la fille renonce à tous autres droits sur la succession de ses parents. Cependant, la dot restait la propriété de l'épouse, mais il était de la responsabilité du mari d'en faire le meilleur usage, pour garantir les droits dotaux de son épouse. Comme le précise le contrat, Claudine Cohendet-Chapot nomme comme « procureurs spéciaux et généraux, lesdits François et Joseph Jaquin père et fils, beau-père et époux futurs, conjointement ou séparément aux pouvoirs d'en acquitter, céder, retrouder (?), traiter et transiger ». En retour, « François et Joseph Jaquin, père et fils, ce dernier sous la même autorité, présence et consentement de son dit père » donne une somme de 500 livres à son épouse.

La future épouse apporte en mariage son trousseau ou trosseil, dont le contenu est détaillé dans l'acte. C'est un des éléments les plus intéressants pour nous, car c'est l'occasion de jeter un œil sur la garde-robe d'une Savoyarde au XVIIIe siècle :
Dix coëffes à grands bouts de toile de marchand, deux douzaines aussi de coëffes à grands bouts de toile de ritte du pays, deux douzaines de coëffes rondes garnies de dentelles, une douzaine de mouchoirs de col d'indienne et soie, une douzaine de tabliers tant de cottonne que d'indienne, deux douzaines et demi de chemises de toile commune de pays, trois corps avec leur manches, un de londre, un de droguet et un de serge de vallance, un autre corps de londre, sans manches, et un autre corps aussi sans manches de draps de pays, deux autres corps aussi sans manches de droguet, deux paires de manches, une de droguet et l'autre de ratine, deux corsages, un de demi londre, et l'autre de ratine, cinq cotillons, un de serge de vallance, deux de dauphine, et deux de pierre latte, trois autres cotillons de toile commune de pays, six autres cotillons de drap de pays, un teint couleur mus, trois bleu, un noir, et l'autre aussi bleu, deux chemisettes aussi de drap de pays, une douzaine de tabliers en laine et fillet pour jours ouvriers, trois paires de bas de laine, douze aunes de toile mêlée, six serviettes de toile mêlée du pays.
Pour chacune des pièces, il est précisé si elle sont « neuves », « my usées » ou de « bonne valleur ». Comme on le voit, le trousseau peut comporter des pièces de vêtements qui ont déjà été portées. Certaines semblent d'ailleurs provenir de l'héritage de la tante Marguerite. On constate que la coiffe est une des pièces importantes du costume féminin. Celles ornées de dentelles sont probablement le fruit du travail de la future épouse qui a préparé son trousseau pendant sa jeunesse. Pour donner quelques explications sur les termes utilisés, la toile de ritte est une toile de chanvre tissée avec le fil le plus fin. La toile de marchand est, comme son nom l'indique, une toile achetée, alors que les toiles de pays (ou draps de pays) sont des tissus issus du travail d'un tisserand local, probablement à partir du fil travaillé par la jeune fille, sa mère ou sa tante. Les familles cultivaient le chanvre dans des parcelles de terrain appelées chenevières. La fibre, préparée pendant les veillées, était passée au battoir, grosse meule de pierre, puis peignée plusieurs fois et filée. Le londre est un drap fabriqué en Dauphiné et en Provence, ainsi nommé parce qu'il imitait ceux fabriqués à Londres. Vallance, dauphine et pierre latte, sont aussi des noms d'origine. Parmi les étoffes, il y a de la soie, ce qui montre une certaines aisance. Quant aux pièces du costumes, on voit bien ce que sont les coiffes, corsages, tabliers, chemises, chemisettes, bas de laine. Pour les autres pièces du costume, le mouchoir de col doit être compris comme un châle, le cotillon est une jupe. Les manches pouvaient être amovibles, d'où le fait qu'on les trouve isolées. Enfin, j'ai mis plus de temps à comprendre à quoi correspondait le corps. C'est ce que l'on appelle parfois le corps de robe, qui est l'ancêtre du corset, comme sur cette image d'un costume du XVIIIe siècle, mais pas de Savoie (un excellent article sur le corps/corset : cliquez-ici).

Corps, 18e siècle (entre 1715 et 1725), 
Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris
On remarquera qu'il y a des tabliers pour les grands jours, aux motifs colorés d'indienne, qui étaient alors plus une pièce d'ornement, et des tabliers pour les jours « ouvriers », autrement dit travaillés,  plus modestement en laine et fillet (terme dont je n'ai pas trouvé l'explication). Pour la compréhension de ce trousseau, j'ai largement utilisé ce texte très instructif sur celui d'une jeune fille de Vallorcine (cliquez-ici). J'ai aussi récupéré ces images de costumes féminins savoyards, soit datant de la fin du XIXe siècle, soit de groupes folkloriques modernes.
Quelques liens intéressants pour mieux comprendre le costume savoyard : cliquez-ici, Musée de Moutiers, document pdf.


 

Enfin, derniers apports, « un tour a filer neuf », qui permettra à la future épouse de filer la laine ou le chanvre pour préparer les vêtements du ménage et « un coffre de bois noyer fermé et fermant à la clef », qui est le meuble traditionnel que l'on trouve dans tous les contrats de mariage. Souvent, c'est le père qui construisait ce coffre pour sa fille, comme cadeau de mariage. Dans d'autres régions, comme le Queyras, ces coffres étaient ouvragés et portaient les initiales des mariés. Ce sont des vrais chef d’œuvre d'art populaire. Pour la Savoie, j'ai trouvé quelques photos de coffres de mariage. Dans ce contrat, en l'absence du père, c'est la mère qui offre le coffre, sachant qu'en plus, Claudine Cohendet-Chapot a hérité de « deux autres coffres de bois sapin aussi fermés et fermants à la clef », venant de sa tante Marguerite. Ils devaient évidemment contenir le trousseau de la jeune fille.

Trois exemples de coffres savoyards  « fermés et fermants à la clef » :

Coffre de Haute-Tarentaise, daté de 1774.
Coffre de Val-Cenis, daté de 1651, portant les initiales : A.M et M.M., probablement celles des mariées.
Coffre de Conflans, avec la mention : Favier Honorine, le 31 mai 1895

La société savoyarde était une société patriarcale. Après son mariage, l'épouse n'est pas maître de ses biens. Bien que lui appartenant en droit, la gestion de fait de sa dot est confiée au mari, que l'épouse nomme son « procureur ». Il est d'ailleurs caractéristique que le nom de la mère de l'époux n’apparaît pas. Certes, dans notre cas, elle était décédée depuis longtemps, mais, dans d'autres contrats que j'ai pu consulter à Venthon, les mères des époux ne sont jamais nommées. Pour qu'une femme acquiert une autonomie juridique dans la gestion de ses biens, il faut qu'elle soit veuve. Alors, elle peut personnellement contribuer à la dot de sa fille, comme Anne Deschamps-Bonnat, mais seulement pour les biens qui lui sont propres. Pour les biens de son défunt mari, elle n'a aucune autorité. C'est son fils qui en est responsable, comme nouveau chef de famille. Le statut de minorité juridique de la femme est aussi celui des fils, tant que leurs pères sont vivants. Joseph Cohendt-Chapot est libéré de cette tutelle et jouit totalement de ses droits, d'où sa présence au contrat de mariage. La situation du futur époux est tout autre, puisque son père de 73 ans vit encore. Bien qu'âgé de 35 ans, Joseph Jaquin est toujours sous la tutelle de son père, autrement en minorité juridique. Il est nommément stipulé que la dot est reçue par le père et le fils conjointement et que pour l'emploi qui en sera fait, Joseph Jaquin agira sous l'autorité de son père. Il ne sera libéré de la tutelle de son père que par le décès de celui-ci.

Les clauses du contrat ayant été rédigées et portées à la minute du notaire, les parties et les témoins sont appelés à signer. Joseph Cohendet-Chapot et son oncle Jean François Deschamps-Bonnat signent à la minute. Tous les autres, c'est à dire les époux Joseph Jaquin et Claudine Cohendet-Chapot, et leurs parents respectifs François Jaquin et Anne Deschamps-Bonnat ne peuvent signer « pour ne scavoir de ce enquis », selon la formule traditionnelle.

Le mariage a eu lieu 5 jours après, le lundi 1er août 1763 en l'église de Venthon. Avec son épouse, ils ont eu 6 enfants, dont seulement trois ont vécu : Donat, né en 1765, Claude, notre ancêtre, né en 1767 et Andréanne, née en 1768. Joseph Jaquin a succédé à son père dans le domaine familial, à la mort de celui-ci le 20 décembre 1764 à 75 ans. Claudine Cohendet-Chapot est morte à l'âge de 44 ans, le 14 mai 1781. Veuf avec 3 enfants, dont l'aîné a seulement 15 ans, Joseph Jaquin se remarie 4 mois après le décès de sa première femme, le 23 juillet 1781. Il était rare qu'un homme reste veuf très longtemps. Le délai très court, qui peut nous paraître choquant, est pourtant habituel. Joseph Jaquin a peu survécu à ce deuxième mariage, car il est mort 4 mois après, le 15 novembre 1781, à l'âge de 53 ans.


Venthon est un petit village sur le pentes en face d'Albertville, au confluent de l'Arly, la rivière qui passe à Albertville, et du Doron, qui descend du Beaufortain. Il se compose d'un hameau principal, où se trouve l'église, et de plusieurs hameaux disséminés sur les pentes. Sur le site de la commune, le village est ainsi décrit :
« La commune de Venthon, voisine d’Albertville, son chef-lieu de canton et d'arrondissement, s'étend sur un petit plateau fort gracieux, situé sur les pentes inférieures des flancs boisés de la Roche Pourrie, à 520 mètres d’altitude. La forme de son territoire, qui mesure environ 250 hectares, serait à peu près celle d’un triangle isocèle. A l'ouest, le cours de l’Arly formerait la base de ce triangle sur une longueur d'environ 800 mètres ; le blockhaus du Laitelet en serait, à l'est, le sommet, donnant ainsi à la commune une longueur de 3 km. Au nord, contre Césarches, la limite est constituée par le cours du Doron, sur une longueur de 1 200 mètres, et contre Queige par le ruisseau descendant du Laitelet, sur tout son parcours, qui est de 1 km et demi. La limite est tracée au sud par un petit ruisseau (le Staciez) affluent de l’Arly, et ensuite par une ligne idéale allant de sa source jusqu’au Blockhaus du Laitelet. »
En 1793, la commune comptait 218 habitants. Tout au long du XIXe siècle, ce chiffre a oscillé entre 250 et 300 habitants. Aujourd'hui, la commune abrite plus de 600 habitants.


 Quelques vues anciennes et modernes de Venthon :









Pour finir, il est toujours bon de rappeler que l'orthographe des noms de famille variait beaucoup, au gré des différents actes, voire au sein d'un même acte. C'est comme si chaque rédacteur (curé, notaire, etc.) choisissait sa propre orthographe. Ainsi, on trouve concurremment les formes Jacquin et Jaquin. L'acte que j'ai décrit opte pour Jaquin. Quant à Cohendet-Chapot, nom double comme on en trouve de très nombreux dans cette région, il a pris, pour la première partie, des orthographes très variées : Coendet, Choendet, Choindet, Quendet, Cohendet qui est la forme que l'on trouve aujourd'hui.Quant à Chapot, on trouve les variantes Chappot, Chappoz et Chapoz. Le nom double Cohendet-Chapot n'a pas perduré. Au XIXe siècle, l'usage a prévalu de n'utiliser que Chapot. C'est ainsi que Donat Chapot, cultivateur âgé de 56 ans, descendant de Joseph Cohendet-Chapot, est le témoin du décès de Joséphine Uginet-Chapot [17], veuve de Joseph Barféty, descendante de Joseph Jaquin, par sa mère. Ils sont ainsi cousins issus-issus-de-germain, mais, malgré ce degré de parenté éloigné – nous sommes en 1905, soit 150 ans après le mariage qui a uni les 2 familles – l'acte note que Donat Chapot est le cousin de la décédé.

Jeanne Jacquin (1803-1892), petite-fille de Joseph Jaquin et Claudine Cohendet-Chapot.
Le contrat de mariage passé devant le notaire Viallet a fait l'objet d'une procédure d'enregistrement par l'administration fiscale de l'époque, ce qui s'appelait alors l'insinuation. Les registres d'insinuation du bureau de Conflans ont été numérisés sur le site des Archives départementales de la Savoie. C'est sur la base de ces documents que j'ai transcrit l'acte que j'ai analysé ici.

Bureau du tabellion de Conflans, Registre d'insinuation 10/01/1763-26/12/1763 (2C 1527),vue 549
Archives départementales de Savoie (lien vers l'original, aller à la vue 549).
Bureau du tabellion de Conflans, Registre d'insinuation 10/01/1763-26/12/1763 (2C 1527),vue 550
Archives départementales de Savoie (lien vers l'original, aller à la vue 550).

La transcription littérale est accessible à ce lien : cliquez-ici.
Pour vous donner un aperçu de la difficulté de la transcription, un extrait du début :
Il s'agit d'une écriture classique du XVIIIe siècle, relativement lisible (c'est une question d'habitude). Ce qui fait la difficulté de la lecture est l'absence presque totale de ponctuation, les majuscules placées aléatoirement, les abréviations (hoñe, pñt), l'orthographe parfois un peu hésitante et surtout, une construction de phrase complexe, avec de nombreuses redites, sans qu'une quelconque ponctuation permette d'en faciliter la lecture. Il y a quelques mots anciens, mais, pour un texte notarié vieux de 250 ans, ils sont relativement peu nombreux.


L'acte de mariage de Joseph Jaquin et Claudine Cohendet-Chapot, le 1er août 1763 :
Transcription :
Le premier d'aout 1763 ont été épousés apres les trois proclamations
faites sans avoir découvert aucun empechement et ont reçu
la benediction nuptiale Joseph fils d'hble françois
Jaquin et la claudine fille de feu hble claude quendet
chapot tous deux de cette paroisse et c'est en presence
du Sr Antoine Viallet notaire et secretaire de cette paroisse
d'hble françois Deschamps bonnat de la Bottiere paroisse
de conflans, de Loüis hyvers besson et de plusieurs autres
personnes de cette paroisse
Comme pour le contrat de mariage, les mères ne sont pas citées dans cet acte. Les témoins sont le notaire qui a reçu le contrat de mariage, l'oncle de Claudine Cohendet-Chapot, déjà témoin  chez le notaire et simplement prénommé François dans cet acte et Louis Hyvers-Besson, autre oncle par alliance de l'épouse.

Lien vers la généalogie de Joseph Jaquin et Claudine Cohendet-Chapot : cliquez-ici.
Lien de parenté avec ce couple : cliquez-ici.