lundi 28 avril 2025

Félicité Gaignaire (1837-1866), épouse Jean Barthélemy, de La Motte-en-Champsaur

Félicité Gaignaire, née le 25 octobre 1837, à La Motte-en-Champsaur, est le deuxième enfant et la première fille de Paul Gaignaire [58] (1796-1870) et de son épouse Rosalie Gentillon [59] (1807-1868). Elle se marie le 18 avril 1860 avec un jeune homme du village, qui, fait rare à l'époque, est du même âge qu'elle, à un mois près. Ils ont tous les deux vingt-deux ans. Il est le fils unique de Jean Barthélemy (1798-1838) qui était mort quelques mois après sa naissance. Sa mère, Madeleine Maron (1808-1895), s'était remariée avec Augustin Blanchard, des Héritières. Dans le contrat de mariage passé devant Me Charles Barthélemy, notaire à La Motte (un homonyme sans lien avec le marié), les parents de Félicité lui donnent une modeste dot de 300 francs en meubles et 300 francs en espèce. En revanche, ils la dotent de plusieurs terres sur le territoire de La Motte-en-Champsaur, qui représentent une surface totale de 1 ha. 67 a., ébauche d'un patrimoine foncier qui s'ajoute à celui que possède Jean Barthélemy lui venant de son père (3 h. 83 a.). D'ailleurs, la mère de ce dernier lui abandonne l'usufruit dont elle bénéficiait sur les biens de son défunt mari. Ainsi, Jean Barthélemy devient le propriétaire plein et entier du petit domaine paternel, dont l'importance le situe dans la moyenne des propriétaires du village. Pour terminer sur ce contrat, Félicité Gaignaire est accompagnée par son frère Paul, clerc de notaire à Gap, qui remplit ainsi son rôle de conseiller patrimonial pour ses sœurs, conformément aux attentes de ses parents.

Bien que propriétaire d'une maison au village, Jean Barthélemy vient habiter dès son mariage dans la maison de ses beaux-parents. Il est probable qu'à partir du moment où le seul fils Gaignaire avait abandonné le travail de la terre au profit du notariat, il devient nécessaire pour Paul Gaignaire père de se trouver un successeur. C'est probablement le rôle qui est dévolu à Jean Barthélemy et la signification de cette installation au sein de sa belle-famille. C'est ainsi qu'en 1861 et 1866, il est recensé avec sa famille dans la maison Gaignaire. Jean Barthélemy et Félicité Gaignaire ont eu trois filles, nées à La Motte, dans la maison de leurs grands-parents :

  • Emma Félicité Zoé, née le 3 février 1861.
  • Hélène Pauline Rosalie, née le 21 août 1863.
  • Hortense Mathilde Rosalie, née le 3 mars 1866.

Quelques jours après la naissance de sa dernière fille, Félicité Gaignaire meurt chez ses parents, le 13 mars 1866, à l'âge de vingt-huit ans. Ce décès, suivi de ceux des parents Gaignaire, respectivement en 1868, pour Rosalie Gentillon et en 1870, pour Paul Gaignaire, a modifié les arrangements prévus lors du mariage. Lors du partage des biens de leurs grands-parents, en 1870, les filles de Jean Barthélemy et Félicité Gaignaire héritent de presque 5 hectares de terres (4 ha. 79 a.) sur le territoire de La Motte, y compris celles données en mariage à leur mère, et un bois sur la route des Infournas de 68 a. En revanche la maison familiale Gaignaire échoit à la dernière fille, non mariée, Rosalie. Jean Barthélemy part donc vivre avec ses deux filles dans la maison qui lui vient de son père, un peu à l'écart du village. En effet, entretemps, la fille aînée Zoé est décédée en 1871, à l'âge de dix ans. La tante de Jean Barthélemy, Charlotte Maron, vit avec eux et probablement se substitue à la mère disparue.

Maison Barthélemy, à La Motte-en-Champsaur
(maison au centre, à gauche du pylône portant la mention du gîte) 

De même qu'il avait été pressenti pour prendre la succession de son beau-père pour exploiter le domaine Gaignaire, Jean Barthélemy doit à son tour songer à se trouver un successeur, n'ayant pas de fils, d'autant plus qu'il cumule l'héritage de son père avec celui de la famille Maron, la famille de sa mère, auquel il faut ajouter les terres et le bois qui appartiennent en propre à ses filles. C'est ainsi que, même si nous ne connaissons pas tous les arrangements des familles Barthélemy et Maron, sans oublier la part de son demi-frère Augustin Blanchard, nous comprenons que la maison des Héritières, l'un des hameaux de La Motte, qui provient de l'héritage de Léger Maron, le grand-père de Madeleine et Charlotte Maron, échoit à Jean Barthélemy lors du partage des biens Maron. En plus de cette maison, il reçoit aussi des terres. C'est Jules Aubert, de la famille Aubert de Molines-en-Champsaur, qui, à son retour des Etats-Unis, épouse Hélène, la fille aînée de Jean Barthélemy et devient le successeur de son beau-père. Rappelons que, dès le milieu du XIXe siècle, de très nombreux Champsaurins sont partis en Amérique. Certains y sont restés et ont fait souche. D'autres, comme Jules Aubert, en sont revenus. Sa fiche matricule militaire nous apprend qu'il est rentré en France en juin 1880. Cela faisait près de dix ans qu'il était parti. Au moment du recensement des jeunes gens, en 1872, il était déjà absent. Lors de l'incorporation au 20e régiment d’infanterie auquel il a été affecté, il est encore absent et donc déclaré insoumis. Il régularisera sa situation à son retour. Le 8 janvier 1881, âgé de vingt-huit ans, il épouse Hélène Barthélemy, âgée de dix-sept ans. À partir de ce moment-là, il vit avec sa famille chez son beau-père Jean Barthélemy qui, depuis le dernier recensement de 1876, a quitté le village pour s'installer dans la maison Maron, des Héritières. Cette maison deviendra celle de la famille de Jules Aubert.

Maison Jules Aubert, des Héritières (La Motte-en-Champsaur) (ancienne maison Maron, puis Barthélemy)
Il s'agit de la maison au deuxième plan, aux volets fermés, partiellement masquée.

Le 16 janvier 1887, la fille cadette de Jean Barthélémy, Mathilde, âgée de vingt ans, accouche d'un garçon de père inconnu. Elle le prénomme Henri Victor. Comme dans le même temps, sa sœur aînée et son mari Jules Aubert deviennent régulièrement parents, la maison des Héritières va vite devenir trop petite. En ce début d'année 1887, elle abrite le père Jean Barthélemy, sa fille aînée, son gendre et leurs trois enfants, sa fille cadette et son fils, sa tante Charlotte Maron, toujours vaillante malgré ses quatre-vingt-deux ans (elle mourra quelques mois plus tard, le 9 septembre), sans oublier un petit domestique de treize ans, Virgile Meyer, soit dix personnes au total. Est-ce pour cela ? Est-ce en lien avec cette naissance illégitime ? Toujours est-il que Jean Barthélemy change de nouveau de résidence au village et retourne vivre avec sa fille et son petit-fils dans la maison paternelle, alors que les Aubert restent aux Héritières. Après ce quatrième changement de domicile pour lui, il ne bougera plus jusqu'à son décès.

Après le mariage de sa fille cadette, en 1896, Jean Barthélemy reste seul dans sa maison de La Motte où il décède le 18 mars 1905 à soixante-sept ans. Il a été élu maire de La Motte lors des élections de mai 1871. Il le restera jusqu'en octobre 1876 où il est remplacé par Eugène Nicolas. Du côté de son épouse, les trois enfants d'Isidore Pascal et Rosalie Gaignaire se retrouvent orphelins lors du décès de leur mère en octobre 1889. C'est leur grand-père Isidore Pascal qui devient leur tuteur, mais, lorsque celui-ci meurt le 21 mai 1896 à quatre-vingt-six ans, il faut lui trouver un remplaçant. Lors d'un conseil de famille tenu le 8 juin 1896 devant le juge de paix du canton de Saint-Bonnet, Jean Barthélemy accepte d'être tuteur de ses neveux par alliance Armand et Paul Pascal. Malheureusement, quelques années plus tard, il demande de nouveau la réunion du conseil de famille car il ne peut « plus s'occuper des affaires de ses neveux par suite d'une infirmité qui lui empêche d'écrire et même de lire, la vue lui faisant défaut ». Ce conseil tenu le 7 octobre 1899 le décharge de cette responsabilité qu'il confie à Hippolyte Escalle, autre neveu par alliance de Jean Barthélemy et cousin germains des enfants Pascal. Remarquons que malgré cette infirmité, Jean Barthélemy vit seul dans sa maison de La Motte jusqu'à son décès.


Généalogie simplifiée de la famille Barthélemy

Hélène Barthélemy (1863-1947), épouse Jules Aubert (1852-1928)

Jules Aubert et Hélène Barthélemy ont eu sept enfants, tous nés aux Héritières, à La Motte-en-Champsaur :

  • Jean Julesné le 13 novembre 1881.
  • Marie Gustave, né le 6 novembre 1883, habituellement prénommé Auguste.
  • Joseph Louis Henri, né le 30 avril 1886.
  • Léonard Alexis, né le 23 février 1889.
  • Paul Adrien, né le 15 octobre 1891.
  • Hélène Félicie Léa, née le 20 août 1895.
  • Félicie Ida Émilie, née le 9 septembre 1900.

Jules Aubert (1881-1943)

Peut-être parce qu'il est le fils aîné, c'est à lui qu'échoit la charge ou le privilège, c'est selon, d'être le notaire de cette branche de la famille Gaignaire. Il a probablement fait ses classes comme clerc de notaire chez son cousin germain Paul Gaignaire (il est recensé à Gap, 3, rue de France, en 1906). Il est nommé notaire à Saint-Julien-en-Champsaur, par décret du 18 juin 1910. Il assurera cette fonction jusqu'à son décès en 1943, à l'âge de soixante-et-un ans. De son mariage avec Emma Pierrou (1890-1988), il a eu deux enfants, dont Francis (1920-2004), avocat à Gap.

Auguste Aubert (1883-1932)

De tous les enfants Aubert, il est le seul à avoir été tenté durablement par l'aventure américaine. C'est probablement lui qui arrive à New York le 5 mars 1904, en provenance du Havre, avec d'autres Champsaurins. Il va rejoindre son cousin Noé Aubert, à Riverside, en Californie. Comme son père, il ne se présente pas lors du conseil de révision, ni lors de l'incorporation. Il est déclaré insoumis le 9 avril 1909. À la différence de son père, il ne reviendra pas. Le 22 janvier 1916, il se marie à Grand Junction, dans l'état du Colorado avec une Américaine, Lalita Evers. Même s'il n'a pas rempli ses obligations militaires en France, il se fait recenser dans son pays d'adoption lors de la Première Guerre mondiale, en 1918. Il est alors qualifié d'éleveur de moutons et vit à Price, dans l'état de l'Utah où se trouvent de nombreux Champsaurins et ses cousins Florent Aubert et Jean Aubert. C'est là qu'il est recensé en 1920 avec son épouse, où il est précisé qu'il possède son propre ranch. Il est désormais prénommé August.

Son « Death certificate », sensiblement plus riche que les actes de décès français, nous apprend qu'il est mort le 14 mai 1932 chez lui, au 10 West 1st North, à Price, dans l'Utah, d'un « acute edema of the glottis & laryngitis » à la suite d'une maladie contractée à Colton, toujours dans l'Utah. Il travaillait alors pour Honoré Dusserre, un autre Champsaurin, comme « sheepman  » [berger]. Il était divorcé. C'est son cousin Florent Aubert (orthographié Florenz) qui déclare le décès.

Il est enterré au cimetière de Price. Si sa tombe ne semble pas avoir été conservée, un article très détaillé du journal local, The Sun Advocate, nous donne beaucoup de précisions sur les conditions de son décès.

La vie de berger dans les ranchs américains était dure. Malade, il est revenu à cheval au « corral » pour demander de l'aide, puis a été rapatrié à Price où il est mort. Comme le confirme cet article, il n'a pas eu d'enfants.

Louis Aubert (1886-1950)

C'est lui qui reprend la ferme paternelle aux Héritières. De son mariage avec Zélie Loubet, de La Motte (1899-1983), il a eu sept enfants dont aucun, semble-t-il, n'a pris sa succession. Il est mort à La Motte le 12 décembre 1950.

Léonard Aubert (1889-1969)

Lui aussi tenté par l'aventure américaine, il part du Havre sur La Provence, le 8 février 1913, et arrive à New-York le 15 février 1913, pour rejoindre son frère August(e) à Green River, dans le comté d'Emery, en Utah. Au moment du déclenchement de la Première Guerre mondiale, il vit à Price, dans l'Utah, comme son frère et ses cousins. Il revient en France au moment de la mobilisation et ne repartira plus. Après la guerre, on le retrouve forgeron à Grenoble, route d'Eybens, en 1921, puis il revient vivre à La Motte, comme propriétaire cultivateur, avec son épouse, Juliette Motte (1904-1999). Il n'a pas eu de descendance, à notre connaissance. Il est mort à La Motte le 7 mai 1969.

Léonard Aubert
Photo de sa carte du combattant
(source : Archives des Hautes-Alpes)

Paul Aubert (1891-1961).

Après avoir envisagé le notariat  il est clerc de notaire chez son frère aîné Jules, en 1911 , il se réoriente dans le commerce de quincaillerie, probablement au moment de son mariage, et rejoint sa belle-famille, les Andrety, qui gérait une quincaillerie à Gap, 45, rue Carnot. Cette entreprise, qui s'est beaucoup développée, est devenue « multi spécialiste dans la distribution de matériels de second œuvre de bâtiment  & des solutions pour l'habitat auprès d’une clientèle de professionnels, de particuliers, de collectivités et d’industries » comme l'explique son site Internet. Son fils Raymond Aubert (1922-2015) et son petit-fils Christian Aubert seront présidents de cette société. Il est décédé à Gap, le 3 mars 1961.

Hélène Aubert (1895-1973)

Elle épouse en 1919 Henry Brochier (1890-1974), de Saint-Julien-en-Champsaur, qui a été agent général d'assurances, à Valence (1936), après une carrière de sous-officier dans l'artillerie, d'où une descendance. Elle est décédée à Bourg-de-Péage, près de Valence, le 13 février 1973,

Félicie Aubert (1900-1985)

Elle épouse en 1929 Auguste Chabrier (1894-?), de Claret dans les Alpes-de-Haute-Provence, qui a été employé du Trésor à Nyons et Romans, après, lui aussi, une carrière de sous-officier dans les chasseurs à pied. Ils ne semblent pas avoir eu de descendance. Elle est décédée à Sainte-Marie-d'Alloix, dans l'Isère, le 27 septembre 1985.

Les parents Jules Aubert et Hélène Barthélemy ont toujours vécu aux Héritières, où ils ont cultivé le domaine familial. Jules Aubert est décédé le premier, le 2 avril 1928, à l'âge de soixante-quinze ans. Son épouse lui a survécu presque vingt ans. Elle est décédée le 10 août 1947 à l'âge de quatre-vingt-trois ans.

Mathilde Barthélemy (1866-1951), épouse de Pierre Pourroy (1863-1924)

En définitive, Mathilde Barthélemy qui avait eu un fils naturel en 1887 s'est mariée une dizaine d'années plus tard, le 12 août 1896, avec Pierre Pourroy, cultivateur à Pont Sarrazin, à La Rochette, près de Gap. Celui-ci avait aussi eu sa période américaine car, au moment du recensement de la classe 1883, il était cultivateur en Californie. Et, comme d'autres, il en était revenu.

La famille de Mathilde Barthélemy, ép. Pourroy se distingue par ses « Américains » et sa tombe. Pour commencer par ce dernier point, lorsqu'on va au cimetière de La Rochette, une très grande tombe attire le regard :



C'est celle de la famille Pourroy. Pourtant, elle n'est pas tant remarquable par sa taille que par les nombreuses photos et les plaques émaillées qui l'ornent, en en faisant presque un arbre généalogique illustré. L'autre caractéristique, que nous verrons plus tard, est le rappel de tous les « Américains » de la famille.

C'est ainsi que l'on peut dérouler par l'image l'histoire de cette branche, en commençant par le fils Henri Barthélemy dont le rôle a été très important dans la vie américaine de deux fils Pourroy. La tombe ne comporte pas de photo, mais une mention de son décès :


Après avoir vécu avec sa mère et son grand-père à La Motte-en-Champsaur, il suit sa mère à Pont Sarrazin, dans la famille de son beau-père. En 1906, âgé de dix-neuf ans, il est ouvrier confiseur, chez Irénée Faure, à Gap, rue Pasteur. Comme beaucoup de Hauts-Alpins de l'époque, l'appel de l'Amérique est le plus fort. Le 10 novembre 1906, il embarque au Havre sur La Gascogne. Il est qualifié de « pastryman » [garçon pâtissier], à son arrivée à New York dix jours plus tard où il vient rejoindre un ami, M. Senegas, à New York, 156 Christopher Street. Il s'installe alors dans cette ville qu'il ne quittera plus. Dès le 6 août 1912, moins de six ans après son arrivée, il fait une « declaration of intention » devant la cour suprême de l'état de New York pour acquérir la nationalité américaine, preuve que dès l'âge de vingt-cinq ans, il n'avait aucune intention de revenir vivre en France. Il est alors cuisinier et habite dans Manhattan, 102 E 54th street. Il obtiendra la citoyenneté américaine le 24 août 1917. Il est toujours cuisinier, mais il habite désormais 108 E 56th street, à quelques rues de son domicile précédent. Il a quitté la France avant son service militaire, ce qui avait conduit les autorités à le déclarer insoumis. Au moment de la déclaration de guerre, en 1914, il ne cherche toujours pas à régulariser sa situation en France, en revanche, il se fait recenser militairement aux Etats-Unis cette même année 1917. Ce document nous apprend qu'il est alors « chef », autrement dit chef cuisinier au Blackstone Hotel, un hôtel disparu depuis qui était situé 50 E 58th Street, à Manhattan. Il est donc enrôlé dans l'armée américaine du 8 décembre 1917 au 9 mai 1919 dans le Headquarter Detachment,  du 305th Machine Gun Battalion. Cela lui permettra ensuite, après la guerre, de se faire rayer des contrôles de l'insoumission en France, le 17 mai 1920, à la suite d'un avis du consul de France, à New York, du 26 avril 1920. Selon sa fiche matricule, il est domicilié dès 1922, au Gramatan Hotel, Lawrence Park, à Bronxville (New York). En 1923, il est rejoint par son demi-frère Arthur Pourroy et en 1925, par son autre demi-frère, Soliver Pourroy. Le 9 juin 1924, il demande un passeport « to visit my mother » en France. Cela nous permet d'avoir sa photo car la demande de passeport est conservée et numérisée sur le site FamilySearch :

Henri Barthelemy, en 1924

Il réside alors au Gramatan Hotel, à Bronxville (New York). Cet hôtel au nord de New York a eu son heure de gloire dans ces années-là. Il a disparu depuis :



Vers 1925, il épouse une américaine de Chicago, Lillian Luehrs (1897-1971) dont la mère était autrichienne. En 1930, il est recensé avec sa femme et sa belle-mère, dans le Bronx, au 400, Mosholu Parkway South, comme « chef » dans un hôtel. Son épouse est « waitress » [serveuse] dans un salon de thé. Après une première fille morte à l'âge de deux jours (Lillian Magdalene, née à New York le 4 avril 1933), ils ont une fille unique, Lillian M. née en 1936. En 1933, sa fiche matricule porte une adresse, à Atlantic City, 17 Indian Avenue, où est aussi domicilié son demi-frère Arthur Pourroy. En 1934, nous avons la dernière mention de son travail au Gramatan Hotel, à Bronxville. En 1935 et 1940, il est recensé avec sa femme, leur fille Lillian et sa belle-mère, dans le Bronx, au 400, Mosholu Parkway South. En 1942, il habite la même adresse et travaille pour le Tamarack Country Club, à Port Chester (état de New York). En résumé, il a toujours travaillé comme cuisinier ou chef cuisinier à New York ou dans la région de New York, en général dans des hôtels. Il n'a pas complètement perdu le contact avec la France car les archives conservent la trace d'une arrivée à New York le 25 mai 1951, en provenance de Cannes. Il s'est probablement rendu en France pour le décès de sa mère. Lui-même est décédé en 1960 et est enterré au Mount Hope Cemetery, à Hastings-on-Hudson (comté de Westchester, état de New York) où avait déjà été inhumée sa première fille.


Nous savons que sa fille s'est mariée en 1963 avec un certain Kenneth Rogers et qu'ils ont eu deux enfants, Linda et Paul. Il existe peut-être encore des descendants d'Henri Barthélemy aux Etats-Unis aujourd'hui.

Revenons à la famille Pourroy, sa belle-famille. Sur la tombe de La Rochette, la photo nous fait découvrir le père, Pierre Pourroy :


qui partage une plaque tombale avec son fils Arthur :


Né à La Rochette le 6 juin 1863, il est issu d'une famille de Champoléon, dans le Champsaur, venu s'installer à Pont Sarrazin au milieu du XIXe siècle. Après sa période américaine, Pierre Pourroy est revenu au village natal où il s'est marié à l'âge de trente-trois ans. De sa vie de propriétaire cultivateur, il n'y a guère de choses à dire. Il est décédé le 16 janvier 1924, à l'âge de soixante ans.

La mère, Mathilde Barthélemy :


Comme nous l'avons vu, Mathilde Barthélemy a vécu jusqu'en 1896 à La Motte-en-Champsaur, auprès de son père et, à partir de 1887, avec son fils Henri Barthélemy. Elle se marie relativement loin de son village natal, le 12 août 1896, à La Rochette. Probablement à cause de sa situation « irrégulière », le mariage n'a pas eu lieu au domicile de l'épouse, mais à celui de l'époux. Et ce jour-là, il n'y avait aucun témoin de son côté. Seul son père était présent. Sa vie se déroulera désormais à Pont Sarrazin, avec sa famille. Elle est décédée âgée, en 1951, à quatre-vingt-cinq ans. Pierre Pourroy et Mathilde Barthélemy ont eu six enfants, tous nés à Pont Sarrazin :

  • Fernand Pierre, né le 15 janvier 1898.
  • Gaston Alfred, né le 30 mars 1899.
  • Léopold Félicien, né le 11 février 1901.
  • Soliver Emmanuel, né le 9 avril 1903.
  • Arthur Ludovic Sabin, né le 17 août 1906.
  • Roger Albert Gaston, né le 16 mars 1909 et décédé deux semaines plus tard le 4 avril 1909.

Fernand Pourroy (1898-1918)

La plaque émaillée qui a été placée sur la tombe nous dit tout de sa mort :


Lors de la Première Guerre mondiale, il est incorporé le 1er mai 1917, à dix-neuf ans, au 157e régiment d'infanterie, puis passe au 26e régiment d'infanterie. Il est mort « tué à l'ennemi » dans le secteur d'Ambleny, à Saint-Bandry, dans l'Aisne et est inhumé à la nécropole nationale de Vic-sur-Aisne.

Léopold Pourroy (1901-1922)

Le troisième fils a aussi droit à une belle plaque émaillée :

En revanche, à la différence de son frère, il faut se référer aux archives pour nuancer ce qui est indiqué sur cette plaque. En 1918, il n'a que dix-sept ans et n'est donc pas mobilisé pour la guerre. Lors du recensement militaire, en 1921, il habite à Marseille, 1, boulevard Garibaldi. Il est incorporé le 9 avril 1921 au 1er régiment d'artillerie de montagne. À la fin de l'année 1922, toujours soldat dans ce régiment, il est admis à l'hôpital mixte (civil et militaire) de Gap où il décède le 20 décembre, à l'âge de vingt-et-un ans. Rien n'indique que son décès soit lié à son service militaire. Dans tous les cas, il n'a pas eu droit à la mention « Mort pour la France », en marge de son acte de décès dans les registres de Gap. Après avoir dit cela, on comprend la peine des parents qui voient mourir en quelques années deux fils alors qu'ils sont sous les drapeaux et qui souhaitent mettre en valeur leurs sacrifices pour la patrie.

Soliver Pourroy (1903-1951)

Le quatrième fils a été gratifié d'un prénom qu'il semble être le seul à avoir porté en France et même dans le monde (sur les millions de personnes accessibles via le site Geneanet, il est le seul à porter ce prénom). L'acte de naissance, très lisible, ne comporte aucune ambiguïté sur l'orthographe :

J'ai pensé, à un moment donné, qu'il s'agissait d'une orthographe personnelle (et fantaisiste) du secrétaire de mairie pour transcrire un prénom qu'il ne connaissait pas. Mais, la suite de l'histoire a prouvé que c'est sous cette forme que ce prénom a été utilisé jusque sur la tombe de La Rochette :

Pour moi, le mystère reste entier. D'où vient ce prénom ? Certes, il existe comme nom de famille, catalan semble-t-il, mais rien, ni sur internet, ni sur Gallica ne donne de piste. Il est probable qu'il s'agisse d'une forme dérivée d'un autre prénom, que le père ne savait pas orthographier, peut-être un souvenir de ses années américaines : Silver ? Oliver ? Solver (prénom norvégien, probablement présent aux Etats-Unis) ?

Son aventure américaine commence lorsqu'il arrive à New York par Le France le 16 avril 1925. À ce moment-là, il est encore qualifié de « farmer ». Il annonce à l'administration de l'immigration qu'il va rejoindre son demi-frère Henri Barthelemy, au Gramatan Hotel, à Bronxville (New York). Après ce premier séjour et un retour en France, il est de nouveau enregistré à New York le 29 janvier 1928. Il est alors qualifié de « butcher » [boucher]. Son contact à destination est toujours son demi-frère Henri Barthelemy, au Gramatan Hotel, à Bronxville (New York). Il déclare son intention de toujours rester aux États-Unis, même si nous n'avons pas trouvé trace d'une naturalisation. En 1930, il est recensé à Mount Vernon, dans le comté de Westchester (état de New York), avec sa femme Katie Pourroy, née Johnson, comme « chef » [chef cuisinier], dans un hôtel, et elle, comme « maid » [bonne], dans une famille, peut-être les Defeo, chez qui ils sont logés. En 1933, à l'occasion d'un nouvel enregistrement à l'immigration à New York, après un séjour de six mois en France, nous apprenons qu'il est désormais considéré comme résident permanent aux États-Unis. Il est toujours qualifié de « chef » et habite avec sa femme au 62 Morgan Street, à Tuckahoe (comté de Westchester, état de New York). Quelques mois plus tard, ils habitent maintenant 26 Summit Avenue, à Plainfield, dans le New Jersey, où il est toujours cuisinier. Cette commune d'un peu moins de 40 000 habitants, à 50 km au sud-ouest de New York appartient à son aire d'influence. Le pavillon où ils vivent existe toujours, dans le quartier nord de la ville, North Plainfield. Il n'a probablement guère changé depuis : 

North Plainfield, 26 Summit Avenue (au centre)

C'est là qu'il vivait encore lorsqu'il décède le 20 septembre 1951 à l'hôpital local, le Muhlenberg Hospital. Il n'a alors que quarante-huit ans. Un petit entrefilet dans le journal régional, The Courier-News from Bridgewater, New Jersey, nous donne l'information :

Soliver Pourroy, 48, of 26 Summit Ave., died this morning (Sept. 20, 1951) in Muhlenberg Hospital, after a long illness. Funeral arrangements have not yet been announced. Mr. Pourroy is survived by his widow, Mrs. Katie Pourroy; and three brothers, Arthur of Miami Beach, Henry of the Bronx, and Gaston, in France.

La traditionnelle description de la famille nous confirme qu'ils n'ont pas eu d'enfants. Une mention sur Geneanet cite un garçon mort en bas-âge.

Arthur Pourroy (1906-1968)


Son arrivée aux Etats-Unis semble précéder celle de son frère Soliver, puisque la première mention que l'on trouve est son débarquement du France, à New York, le 3 mars 1923. Il n'a que seize ans et est qualifié de « farmer ». Il va aussi rejoindre son demi-frère Henri Barthelemy, au Gramatan Hotel, à Bronxville (New York). En 1925 il est recensé à New York, mais rentre en France en 1926, probablement pour satisfaire aux obligations militaires. Il est de retour aux Etats-Unis, où il arrive à New York sur le De Grasse, le 21 janvier 1928. Il est alors qualifié de « cook » [cuisinier], suivant en cela l'exemple de ses deux frères, Henri et Soliver. C'est d'ailleurs le nom du premier qu'il donne à l'administration de l'immigration lorsqu'on lui demande qui il va retrouver. Comme précédemment, son point de chute à l'arrivée est ce Gramatan Hotel, à Bronxville (New York) qui semble avoir été si important dans l'histoire familiale dans ces années-là. En 1930, on le retrouve à Atlantic City, lorsqu'il fait sa déclaration d'intention pour naturalisation, le 2 décembre. Il est alors cuisinier et habite 127 North Morris Avenue, à Atlantic City (New Jersey). Il est naturalisé le 28 juin 1933 et habite toujours à Atlantic City, mais au 17 South Indiana Avenue. Atlantic City est une ville balnéaire située sur la côte atlantique du New Jersey. Elle est connue pour ses nombreux casinos, ses vastes plages et sa promenade emblématique. Il y avait du travail pour un chef cuisinier.

Plage d'Atlantic City, N. J. montrant les hôtels Shelburne, Dennis,
Marlborough-Blenheim, Claridge, Brighton and Traymore, vers 1930-1940.
(The Tichnor Brothers Collection, Boston Public Library/Wikimedia Commons)

Quelques années plus tard, il quitte cette station balnéaire pour une autre, car il est recensé avec sa femme Alma (on ne connaît pas son nom de famille), en 1950, à Miami Shores, 7515, Dickens Avenue. Il est « chef » [chef cuisinier]. Sa présence en Floride est attestée depuis 1945. C'est probablement lui qui tient le restaurant Nick & Arthur Restaurant sur la 79th Street Causeway, à Miami (North Bay Village) pour lequel on trouve cet historique sur la page Facebook de la Miami Springs Historical Society and Museum.

Nick Baca and Arthur Pourroy formerly with the Park Ave and Plantation Restaurants in Hollywood opened their Nick & Arthur's Restaurant located in the old Vanity Fair Building on the 79th St. Causeway on Jan 30, 1957. With Nick working the front and Arthur in the kitchen the restaurant became an immediate success. Giant portions of well prepared food served by well trained waiters made reservations a must unless you were prepared for a lengthy wait to get seated. They remained in business until 1986 after which Billy's Seafood Restaurant in Miami Springs opened their second location there.

Localisation du restaurant à Miami

Nick & Arthur's Restaurant, Miami Beach


Arthur Pourroy est mort en janvier 1968, dans le Dade County, probablement à Miami. Comme on l'a vu, son souvenir est rappelé sur la tombe de la famille Pourroy, à La Rochette, sur la plaque qu'il partage avec son père.

En conclusion sur les trois Américains de la famille de Mathilde Barthélemy, on peut noter qu'ils se distinguent de leurs compatriotes Champsaurins partis aux Etats-Unis par leurs destinations, leurs métiers et leurs épouses. Là où ses derniers partaient majoritairement dans l'Ouest américain (Californie, Nevada, Utah, Washington) pour y exercer le métier d'éleveur de moutons et se mariaient souvent avec des Champsaurines, soit déjà présentes sur place, soit qui venaient spécialement de France pour épouser un compatriote, les trois fils de Mathilde Barthélemy sont restés dans l'Est américain pour y exercer le métier de chef cuisinier et, les trois, ont épousé des Américaines.

Gaston Pourroy (1899-1967)

Gaston Pourroy
Photo de sa carte du combattant
(source : Archives des Hautes-Alpes)

Nous terminons par le seul fils resté à Pont Sarrazin pour succéder à son père. Les deux fils décédés jeunes auraient peut-être pu aussi lui succéder – ils sont qualifiés de cultivateur lors du recrutement militaire –, mais la vie en a décidé autrement. Les deux cadets ont préféré les Etats-Unis et la cuisine, à l'agriculture dans les Hautes-Alpes.

Gaston Pourroy s'est marié avec Louise Vial (1901-1984), de Bénévent-et-Charbillac. Ils ont eu trois enfants qui ont assuré une descendance à cette branche de la famille. Un enfant Pourroy, né à Gap en 2002, assure la continuité de la famille dans les Hautes-Alpes jusqu'à aujourd'hui.

Lien vers la généalogie de Félicité Gaignaire, ép. Jean Barthélemy et de sa descendance : cliquez-ici.

Article sur les parents de Félicité Gaignaire : Paul Gaignaire [58] (1796-1870) et son épouse Rosalie Gentillon [59] (1807-1868).

mardi 15 avril 2025

Paul Gaignaire (1835-1883), notaire à Gap, et sa descendance

Le notaire Paul Gaignaire (1835-1883) de Gap est représentatif des ascensions sociales telles que les permettait le XIXe siècle. Fils d'un modeste cabaretier et propriétaire cultivateur de La Motte-en-Champsaur, il a réussi à se constituer un patrimoine conséquent et une position de notabilité à Gap en un quart de siècle, posant ainsi les bases d'une descendance qui alliera bourgeoisie de province et bourgeoisie parisienne.

Paul Gaignaire est l'unique fils survivant de Paul Gaignaire [58] (1796-1870) et de son épouse Rosalie Gentillon [59] (1807-1868). Il est né à La Motte-en-Champsaur le 4 janvier 1835. Comme le voulait la tradition, il aurait dû succéder à son père dans l'exploitation du domaine familial. Pourtant, il s'est très vite orienté dans une autre voie, le notariat. Une première raison pourrait être qu'il était estropié de la jambe droite, ce qui lui provoquait une claudication qui sera suffisante pour l'exempter du service militaire (c'est comme cela que nous le savons). Il était fréquent de souffrir de telles infirmités. Il suffisait d'une fracture mal réduite pour rester handicapé toute sa vie. Cela pouvait être un obstacle pour devenir cultivateur et donc amenait les parents à envisager un autre avenir pour leur fils. Une autre raison est que ses parents étaient probablement conscients de ses capacités intellectuelles. L'orienter vers le notariat était conforme à leur volonté d'ascension sociale pour leur descendance, volonté très perceptible dans la manière dont Paul Gaignaire père a conduit sa vie. Il n'existait alors guère que quelques professions pour permettre une telle ascension. Certaines demandaient un effort important d'éducation pour les parents (prêtre, médecin, etc.). D'autres, comme le notariat, s'apprenaient par la pratique sans nécessiter de diplôme. Aussi surprenant que cela puisse nous paraître aujourd'hui, c'est comme cela que l'on pouvait devenir notaire. Il fallait rejoindre une étude qui acceptait de faire faire un stage de six ans comme clerc au terme duquel la chambre des notaires évaluait la compétence et les connaissances acquises de l'aspirant-notaire et, après cet examen, lui délivrait un certificat de capacité.

En 1770, la mère du botaniste Dominique Villars place son fils chez un notaire de Saint-Bonnet-en-Champsaur : « À 15 ans, ma mère prit le parti de me placer comme petit clerc chez M. Morel notaire & procureur, receveur au contrôle. C'était pour apprendre un peu à connaître les affaires, soit pour prendre la place de greffier qu'occupait mon père, soit pour défendre l'héritage de la famille qu'il m'avait donné. » C'est probablement le même raisonnement qui a conduit les parents Gaignaire à placer leur fils chez Me Désiré Joubert, notaire à Saint-Bonnet-en-Champsaur vers 1850. En plus du prestige social de cette profession, très fort dans ces pays de droit écrit, il paraissait sûrement très pertinent à Paul Gaignaire père d'avoir un notaire dans la famille qui puisse poursuivre la stratégie patrimoniale qu'il avait engagée, comme nous l'avons vu dans l'article qui lui est consacré. Et ce raisonnement s'est avéré gagnant car Paul Gagnaire fils, au-delà sa propre réussite, est le premier d'un réseau familial de notaires qui en comptera au total neuf.

En 1851, le recensement nous permet de savoir que Paul Gaignaire a quitté la maison familiale de La Motte. Il est recensé dans le ménage de Me Désiré Joubert, comme clerc, où il vient de commencer son stage. Il y  apprend la pratique, tout en vivant auprès d'eux, comme un membre de la famille, en même temps que l'autre clerc, Eugène Davin, âgé de quarante ans. Ce premier apprentissage ne présumait pas d'une éventuelle succession, puisque Désiré Joubert avait lui-même un fils Ernest qui prendra sa suite comme notaire à Saint-Bonnet. Très vite, Paul Gaignaire part pour Gap où il rejoint l'étude de Me Jules Augier. Deux raisons peuvent expliquer cela. Une étude de chef-lieu de département, comme Gap, permet d'enrichir sa connaissance du métier, par une diversité de cas et de situations que l'on ne trouvait guère dans un chef-lieu de canton comme Saint-Bonnet-en-Champsaur. L'autre raison est probablement que le fils Paul Gaignaire, probablement lui-même mu par une ambition personnelle dont il avait hérité de ses parents, envisageait déjà de prendre la succession de Jules Augier, qui, sans enfant, était un bon parti, si j'ose dire, pour un jeune clerc et aspirant-notaire qui se cherchait une étude à reprendre.

En 1856 et 1861, il habite à Gap, seul, d'abord rue du Centre, puis rue de France, à quelques maisons de l'étude de Jules Augier. En 1861, âgé de vingt-six ans, il a atteint le rang de premier clerc qui était nécessaire pour accéder au notariat. Enfin, il est nommé notaire à Gap par décret du 9 mai 1863, en remplacement de Me Jules Augier, décédé le 26 mars 1863. À vingt-huit ans, il accède enfin à cette position tant convoitée. Après avoir consolidé sa situation, il est donc temps de songer au mariage. On imagine la recherche du parti idéal qui doit répondre à un subtil équilibre entre notabilité de la famille, dot et espérance de la jeune fille, bonne éducation et, peut-être, mais ce n'est pas le plus important, charme et beauté de la promise. Louise Carle devait répondre à ces critères.

Louise Victorine Carle était la fille de Louis Carle et Victorine Lambert, née à Gap le 16 septembre 1845. Son père, d'abord commis-greffier, à Gap, a ensuite été pendant trente-cinq ans juge de paix du canton de Tallard. Devenu veuf à l'âge de trente-deux ans, il ne s'est pas remarié et s'est consacré à l'éducation de ses deux filles. Louise Carle a donc été élevée au couvent du Saint-Cœur, de Gap, comme beaucoup de jeunes filles de la bonne société gapençaise. Sa notice nécrologique dans le Bulletin de la Société d'Études des Hautes-Alpes, en 1902, résume sa vie, presque comme un modèle de ce devait être la vie des épouses de l'époque :

Les femmes vertueuses n'ont pas d'histoire ! Pour se résumer en quelques mots : vertu, piété, dévouement, charité discrète et inépuisable, l'existence de Madame Gaignaire n'en fut pas moins des plus et des mieux remplies. 

L'accomplissement rigoureux de tous ses devoirs et les œuvres de bienfaisance n'absorbèrent pas entièrement son activité. Elle avait, comme son père, le goût très vif des choses de l'esprit. Elle s'intéressa toujours aux travaux de notre Société dans les rangs de laquelle elle succéda à son mari qui avait été un de nos associés de la première heure. 

Paul Gaignaire et Louise Carle se sont mariés à Tallard le 16 janvier 1867. L'époux venait d'avoir trente-deux ans et l'épouse vingt-et-un ans. Ce jour-là, Paul Gaignaire est accompagné par ses deux témoins, Clément Amat, avocat, à Gap, et Etienne Victor Soubra, notaire, à Tallard, qui a aussi reçu leur contrat de mariage le même jour. En revanche, ses parents n'ont pas fait le déplacement depuis La Motte-en-Champsaur. En 1867, en plein hiver, les trente-cinq kilomètres qui séparent les deux communes étaient une véritable expédition, même pour l'ancien muletier et voiturier Paul Gaignaire père qui en avait probablement vu d'autres.

En succédant à Jules Augier, Paul Gaignaire lui a aussi succédé dans le petit immeuble du 5, rue de France, à Gap, qui abritait l'étude et le domicile de la famille. C'est la qu'il a vécu avec son épouse et ses enfants jusqu'à son décès. Il s'est entièrement consacré à son travail de notaire. Il n'a jamais cherché à s'investir dans la vie publique de Gap, en particulier dans la vie politique. Il n'a brigué aucun mandat. Une seule fois, son nom apparaît comme signataire d'une lettre-circulaire parue dans l'Annonciateur du département des Hautes-Alpes, le 7 octobre 1871, en faveur de la candidature d'Eugène Bontoux, au Conseil général, pour le canton de Gap, au nom d'un Comité de l'Union. Ce brillant ingénieur originaire d'Embrun sera élu et siégera jusqu'en 1880. En prenant parti pour lui, Paul Gaignaire se situe très clairement du côté des partis conservateurs et cléricaux, voire monarchistes, au moment où la lutte fait rage en France, mais aussi dans les Hautes-Alpes, entre les Républicains et les milieux conservateurs après la chute de l'Empire. Lorsque, en 1878, Eugène Bontoux fonde l'Union générale, une banque à capitaux catholiques qui voulait concurrencer les grandes banques de l’époque à capitaux juifs ou protestants, Paul Gaignaire sera un des déposants (peut-être un des actionnaires). Malheureusement pour lui, la banque fait une faillite retentissante, ce que l'on appelle le krach de l'Union générale, en 1882. Dans cette affaire, il perdra 128 250 francs, somme considérable pour l'époque (voir les notices Wikipédia d'Eugène Bontoux et du Krach boursier de 1882). Parmi ses engagements publics, il est nommé membre de la Commission d’enquête d’utilité publique du chemin de fer de Gap à Briançon, en 1874, probablement à cause de son expertise juridique sur les questions de propriété et d'expropriation.

Visiblement malade, il cède son étude à Me Léon Bertrand qui est nommé à sa place le 13 janvier 1883. Lors de l'annonce de cette succession, l'Annonciateur du département des Hautes-Alpes ajoute ce commentaire plus personnel :

L'Annonciateur du département des Hautes-Alpes,
du 27 janvier 1883

Malheureusement, les vœux de ce journal ne se sont pas réalisés. Paul Gaignaire décède le 16 août 1883, à l'âge de quarante-huit ans, dans sa propriété de Charance, dont nous reparlerons. Il laisse une jeune veuve de trente-sept ans et quatre enfants dont le plus âgé a quinze ans et la cadette onze ans.

Nous avons la chance de posséder un exemplaire de son faire-part de décès :

Parti dans la vie avec son seul talent et l'appui probablement plus moral que financier de ses parents, Paul Gaignaire n'aura de cesse de se créer un patrimoine, comme l'avaient fait ses parents auparavant, mais à une échelle supérieure. C'était aussi une manière de garantir l'avenir et ses vieux jours, ce dont il n'a pu profiter, mais aussi transmettre à ses enfants un patrimoine en plus de l'éducation qu'il leur a fournie.

Vers 1867, probablement peu de temps après son mariage, il acquiert un grand domaine dans la campagne autour de Gap, à Charance, un lieu de villégiature toujours prisé des Gapençais aisés, au pied du château de Charance qui avait été la résidence d'été des évêques de Gap avant la Révolution. Constitué de vingt parcelles et une maison, ce domaine de 8 ha. 28 a. avait appartenu au chef de bataillon Jean-Stanislas Vivien, ancien soldat des guerres de la Révolution et de l'Empire, mort à Gap en 1850. Paul Gaignaire poursuivra méthodiquement ses acquisitions jusqu'à son décès, en particulier en achetant un autre domaine dans la périphérie de Gap, à Saint-Jean, mais aussi d'autres parcelles dispersées. À son décès, il possédait près de 17 ha. de terres autour de Gap, et deux maisons, une à Charance et l'autre à Saint-Jean. C'est en réalité la maison de Charance qui était devenue véritablement le deuxième domicile de la famille et, en quelque sorte, leur maison de campagne. Il l'agrandit une première fois vers 1873. À ce moment-là, elle passe de douze à vingt ouvertures, comme l'indique le cadastre. En effet, à cette époque, l'impôt dit des portes et fenêtres se basait sur le nombre d'ouvertures pour définir l'assiette fiscale d'un bien. C'est dans cette maison qu'il est décédé en août 1883, probablement pour fuir la touffeur bien connue de la ville de Gap en été et l'étroitesse de leur logis de la rue de France.

Cependant, au moment de son décès, l’ensemble de ses biens immobiliers, évalué à 48 000 francs, représente moins d’un dixième de son patrimoine. Sa déclaration de succession valorise la totalité de ses avoirs à 521 000 francs, ce qui est une somme considérable. La majorité de la succession est constituée par des créances (334 700 francs). La liste complète contient vingt-cinq items, depuis une créance de 36 francs, jusqu’à une obligation par les sœurs de la Providence, de Gap, d’un montant de 50 000 francs. On oublie aujourd'hui qu’aux XIXe siècle, les notaires avaient souvent une activité de prêts d’argent pour les particuliers, alors que le réseau bancaire était encore balbutiant. Par leur connaissance fine des patrimoines et donc de la solvabilité des emprunteurs, ils étaient bien placés pour estimer le risque de leur créance et la capacité de remboursement. Le taux standard était alors de 5% et souvent, ces créances étaient garanties par des hypothèques prises sur les biens des « clients ». À ces vingt-cinq items s’ajoutent le reste dû par Me Bertrand sur le prix de cession de l’office de notaire, pour 65 000 francs, et une créance sur la faillite de l’Union générale. Enfin, en phase avec le développement du capitalisme, apparaissent pour 138 300 francs, des actions françaises et étrangères de sociétés comme la Société Anonyme des mines de l’Anjou et des forges de Saint-Nazaire, la Compagnie P.L.M, la Foncière, etc., ainsi que, pour presque un tiers, la Banque de France. À l’étranger, le plus gros du portefeuille est constitué d’obligations serbes et d’actions d’une société de Vienne, en Autriche. Dès 1878, Paul Gaignaire avait fait son testament, qu’il a modifié le 1er août 1883, quelques jours avant sa mort. Il léguait tous ses biens à son épouse, à charge pour elle de compter 80 000 francs à chacun de ses enfants. Cette succession, par comparaison avec celle de son père, montre comment les fortunes pouvaient se constituer rapidement au XIXe siècle. Il suffit de comparer les huit hectares de son père à La Motte-en-Champsaur et les presque 9 000 francs de créances, aux dix-sept hectares à Gap et aux 473 000 francs de créances et actions du fils, soit, sur ce dernier point, un facteur multiplicateur de 52.

Situation de la maison Gaignaire, à Charance

Après le décès de son mari, en 1883, Louise Carle, veuve Gaignaire, a dû quitter le logement de la rue de France qui est désormais occupé par Léon Bertrand et sa famille qui a succédé à Paul Gaignaire non seulement dans son étude, mais aussi dans son habitation. On retrouve là cet usage ancien qui ne distinguait pas le lieu d'habitation du lieu de travail. En 1886, elle habite à Charance avec sa fille cadette. Elle a poursuivi la politique d'acquisition et de construction de son mari, probablement avec l'aide de son fils Paul. Vers 1883, une nouvelle maison est construite à Charance, en complément de celle existante, avec vingt-trois ouvertures, puis, enfin, vers 1887, une troisième maison, plus probablement un troisième corps de bâtiment, vient compléter l'ensemble, avec sept ouvertures. Cette maison n'est malheureusement pas visible depuis le chemin de la Clairière où elle se trouve, ce qui ne permet pas d'en avoir une vue dans sa forme actuelle, ni ancienne.

Les autres acquisitions sont des investissements, que ce soit un ensemble de magasin, entrepôt et bureau au quartier de Camargue, proche du centre-ville, en 1890, puis un autre domaine aux Serrigues, sur le territoire de Gap, en 1892, après s'être dessaisi du domaine de Saint-Jean, en 1890, et, enfin, dans la ville, deux immeubles de rapport boulevard de la Liberté (boulevard Lamartine, puis boulevard du Général-de-Gaulle), en 1894. C'est d'ailleurs dans un de ces immeubles que Louise Carle habitait seule en 1896, avec une domestique. Elle devait partager sa vie entre cet appartement de centre-ville, en hiver, et la maison de Charance, en été. Comme son époux, c'est là qu'elle est décédée le 12 août 1902, à l'âge de cinquante-six ans. Pour elle aussi, nous possédons son faire-part de décès :


Alors que le faire-part de son mari citait les différentes branches de sa famille du côté de sa mère, née Gentillon, celui de son épouse se limite aux familles de ses belles-sœurs, les Escalle, Barthélemy, Aubert, Pourroy, Pascal et Grimaud. À un degré de parenté plus éloigné, seules sont citées les familles Arnaud, Davin et Marchand qui ne représentent qu'une partie de la très nombreuse famille du côté Gentillon. Comme pour son mari, aucune famille de la parenté Gaignaire n'est mentionnée.

Louise Carle était une des rares femmes membres de la Société d'Études des Hautes-Alpes. Elle avait succédé à son mari qui en faisait partie depuis l'origine, en 1882. C'est à ce titre qu'une notice nécrologique lui a été consacrée dans le bulletin de 1902, dont nous avons donné un extrait ci-dessus. La notice complète est accessible en suivant ce lien : cliquez-ici. Le 16 août 1902, l'Annonciateur du département des Hautes-Alpes lui consacre aussi une courte notice biographique. Après avoir rappelé qu'elle est décédée « à la suite d’une douloureuse maladie », le journal rappelle : « Les malheureux auxquels elle venait généreusement. et discrètement en aide ressentiront aussi douloureusement cette perte. » 

Paul Gaignaire et Louise Carle ont eu quatre enfants, tous nés à Gap :

  • Paul Louis Joseph Adrien, né le 12 mars 1868.
  • Paul Marie Dosité, né le 11 juillet 1869.
  • Marie Françoise Adrienne, née le 4 octobre 1870.
  • Marie Zoé Victorine, née le 8 juin 1872.

Nous allons consacrer une notice à chacun des enfants, en suivant l'ordre chronologique, sauf pour Paul que nous traiterons en dernier. Il est le seul à avoir eu une descendance.

Généalogie simplifiée de la famille Paul Gaignaire, notaire

Louis Gaignaire (1868-1922)

La vie du fils aîné Louis Gaignaire reste assez mystérieuse. Les quelques éléments que nous possédons sont maigres. Lors des opérations de recensement militaire de la classe 1888 à laquelle il appartenait, il est qualifié d'étudiant à Gap, mais il semble qu'il vivait alors à Paris. Il est exempté pour gibbosité, autrement dit, en termes plus familiers, il était bossu. En 1901, il est recensé avec sa mère, à Charance comme rentier. En 1902 ou en 1918, dans les faire-part de décès de sa mère et de sa sœur Adrienne, il est cité sans mention d'une qualification ou d'un domicile, à la différence de son frère et de ses sœurs. On perd sa trace jusqu'à son décès, le 31 décembre 1922, à l'âge de cinquante-quatre ans. Le lieu de son décès peut nous donner une piste sur les raisons de cette vie discrète et sans traces. À ce moment-là, bien que domicilié à Gap, il résidait à Lyon, 71, chemin des Grandes Terres [rue Benoist-Mary]. C'était alors une maison de santé appelée Champvert qui, selon les informations que l'on possède, pouvait être assimilée à un asile d'aliénés privé ou, selon la terminologie actuelle, à une clinique psychiatrique. Cette notice sur le site du Patrimoine de la région Auvergne-Rhône-Alpes contient de nombreuses informations : cliquez-ici. Évidemment, cela n'est pas suffisant pour déterminer de quoi souffrait exactement Louis Gaignaire, mais cela devait être suffisamment grave pour que sa famille juge nécessaire de le faire interner dans cette structure privée dont le coût d'hébergement devait être élevé.

Maison de santé [clinique de Champvert]
 Vue actuelle et partielle du bâtiment des hommes (aile est, partie nord)
Source : site du Patrimoine de la région Auvergne-Rhône-Alpes

Adrienne Gaignaire (1870-1918)

Par son mariage le 12 février 1896, Adrienne Gaignaire fait entrer un nouveau notaire dans la famille. Fille, sœur, cousine germaine de notaires, elle devient épouse de notaire ! Son mari, Joseph Henry, sensiblement plus âgé qu'elle, puisqu'il est né dans l'Ain en 1858, est titulaire d'un office à Vienne (Isère), depuis juin 1892. Après cette installation, il s'est rapidement marié avec Marie Rambaud, d'Orliénas, dans le Rhône, qui lui donne un fils, Antoine, né en 1893. Sa première épouse décède quelques mois plus tard à Genève et, probablement pour trouver une épouse qui puisse être aussi une mère pour son fils, il se remarie avec Adrienne Gaignaire. Ce second mariage sera stérile. Antoine Henry fera partie de la famille Gaignaire comme s'il était un fils d'Adrienne. Elle l'appellera « mon fils » dans son testament. Son nom apparaît dans les différents faire-part de décès au même titre que les filles de Paul, le frère d'Adrienne. En décembre 1902, Joseph Henry cède son étude du cours Romestang à Vienne, à Me Francisque Tarlet et la famille part s'installer à Lyon, au 274, avenue de Saxe, dans le 7e arrondissement. Cette partie de l'avenue est renommée Jean-Jaurès, en 1914, puis renumérotée. Le n° 274 devient l'actuel n° 8 de l'avenue Jean-Jaurès. 

Peu de temps après avoir quitté Vienne et s'être installé à Lyon, à la demande d'Adrienne Gaignaire, épouse Henry, le tribunal civil de Lyon rend un jugement de séparation de biens entre les époux Henry, le 18 novembre 1903. Cela peut laisser penser que la situation financière et patrimoniale de Joseph Henry n'était pas excellente après avoir délaissé son étude de Vienne. Le 9 décembre 1903, devant le notaire Me Curis, de Lyon, les époux procèdent à la liquidation des droits et reprises de l'épouse qui sont chiffrés à 150 000 francs, constitués pour deux tiers par ses droits provenant de son contrat de mariage et pour un tiers de la succession de sa mère. Pour cela, Joseph Henry délaisse les biens qu'il possédait. C'est ainsi qu'Adrienne Gaignaire se retrouve propriétaire d'un domaine agricole de treize hectares, à Chevroux, dans l'Ain, qui provient de la mère de Joseph Henry. C'est probablement a ce moment-là qu'elle devient propriétaire d'une propriété à Décines, la « Villa Bellevue », aujourd'hui disparue, qui était située là où se trouve aujourd'hui le 274, avenue Jean-Jaurès.

Adrienne Gaignaire fait son testament le 15 juin 1918, sentant peut-être la mort venir. Après avoir fait donation à son mari de tous ses biens, elle repartit ses propriétés entre trois légataires. Les biens de la rue de La Blache, à Gap, qui lui venaient de ses parents, reviennent à son frère Paul Gaignaire notaire à Gap. La propriété de Chevroux est léguée à sa filleule Simone Delafosse (1915-1987), ce qui fait revenir dans la famille Henry un bien qui en provenait. Enfin, elle lègue à son « fils » Antoine Henry – en réalité son beau-fils –, la propriété de Décines et tous ses meubles. Quelques mois plus tard, c'est à son domicile de Lyon qu'Adrienne Gaignaire décède le 17 décembre 1918, à l'âge de quarante-huit ans.

Avis de décès d'Adrienne Gaignaire, ép. Henry

Au moment de la succession, on apprend que son frère Paul Gaignaire lui assurait une rente de 2 000 francs. Les biens sont partagés conformément à son testament. Joseph Henry se trouve dans une situation gênée. Il ne possède en réalité plus rien, hormis l'usufruit des biens légués, sauf Décines, et quelques titres et obligations lui venant de sa femme. Cela explique qu'il reprenne du service comme clerc de notaire après la Première Guerre mondiale, chez Me Chardiny à Lyon, au moins jusqu'en 1936. C'est un parcours atypique d'être clerc de notaire, après avoir été soi-même notaire, en possession d'une étude. Il est décédé à son domicile – on devrait dire chez son fils Antoine qui en était propriétaire – à Décines, 274, avenue du Maréchal Pétain (aujourd'hui, avenue Jean-Jaurès), le 4 juillet 1942, à l'âge de quatre-vingt-trois ans. C'est son fils Antoine qui déclare son décès. Preuve que ses affaires ne s'étaient par rétablies, il ne laisse aucun bien. 

Antoine Henry est entré dans la Compagnie de Jésus, autrement dit est jésuite. Il a essentiellement assuré des fonctions de professeur de lettres et de langues. Au moment du recensement militaire (1913), il est étudiant en lettres, à Hastings, au Royaume-Uni. On le trouve à Jersey, à la maison Saint-Louis, en 1919, puis à Londres, en 1921. Il revient en France au début des années vingt. Il est professeur de lettres et de langues et surveillant général, au collège Notre-Dame-de-Mongré (Villefranche-sur-Saône) de 1925 à 1940, puis professeur à Lyon (2e), 10, rue Sainte-Hélène (actuellement Lycée Saint-Marc, à Lyon, ancien collège jésuite) en 1942. C'est là qu'il décède en 1954, à l'âge de soixante ans. Ces pages geneanet contiennent des photos du père et du fils : Joseph Henry et Antoine Henry. Vers 1940, il cède la propriété de Décines à des cousins, les Balp, se réservant l'usufruit, probablement pour permettre à son père de disposer d'un toit jusqu'à son décès. Après la mort de son père, il délaisse complètement cette propriété aux Balp.

Marie Gaignaire (1872-1932)

La fille cadette est devenue religieuse. Comme sa mère, elle a dû être élevée au couvent du Saint-Cœur de Gap. Elle entre ensuite dans la congrégation du Sacré-Cœur, d'abord dans le couvent de Montfleury, près de Grenoble, où elle réside lors du décès de sa mère (1902), puis à Zbylitowska Góra, en Pologne, au moins à partir de 1922,  jusqu'à son décès en 1932. Ce couvent polonais, consacré à l'enseignement des jeunes filles, a été créé en 1901 par la congrégation du Sacré-Cœur de Jésus, à partir de l'établissement de Lyon qui avait été supprimé par la loi sur les congrégations.

Couvent du Sacré-Cœur de Zbylitowska Góra, endommagé lors de la Première Guerre mondiale (1915)


Paul Gaignaire (1869-1939)

Le second fils assura la succession de son père comme notaire. Pour cela, il ne se contentera pas de la formation « sur le tas » comme clerc qui était requise pour devenir notaire, il obtiendra une licence en droit, probablement à la Faculté de Droit de Lyon. Nous savons que dès 1888, il était élève aux Chartreux, de Lyon. Encore clerc de notaire, il revient de Lyon pour s'installer à Gap dans le courant de l'année 1895 et se marie le 14 novembre avec Marie Gabrielle Jaussaud, âgée de vingt-deux ans. Il a vingt-six ans. Son père, au moment de céder son étude à Me Léon Bertrand, en 1883, avait probablement conclu un accord avec celui-ci pour que son successeur ne soit pas un de ses enfants, mais le propre fils de Paul Gaignaire lorsqu'il aurait atteint l'âge nécessaire. C'est ce qui s'est passé, car par décret du 11 janvier 1897, Paul Gaignaire fils est nommé notaire à Gap en remplacement de Léon Bertrand. Ainsi, après une parenthèse de quatorze ans due au retrait prématuré de Paul Gaignaire père, le fils prend la succession. Il a vingt-sept ans. Avec son épouse et sa fille aînée, ils réintègrent le logement de la rue de France dans lequel il avait vécu enfant et qui a été occupé entretemps par Léon Bertrand et sa famille.

Tout comme son père, Paul Gaignaire se consacrera exclusivement à son métier de notaire et ne briguera aucun mandat électif. Pendant toute sa période d'activité, il semble s'être tenu en retrait de la vie publique. Vers 1905, il acquiert un grande maison bourgeoise située sur la place Ladoucette, à Gap. Construite vers 1887 pour Catherine Merley, veuve de Victor Longrée, un entrepreneur d'origine belge, installé à Gap à l'occasion des travaux du chemin de fer dans les Hautes-Alpes, cette demeure existe encore avec son jardin. Elle est devenue un restaurant.

Maison Gaignaire, à Gap, 2, place Ladoucette
C'est aujourd'hui un restaurant : Les Boutons d'Or
(source : page Facebook du restaurant)

Cette grande maison peut désormais accueillir la famille de Paul Gaignaire. Il y est recensé avec son épouse et ses deux filles dès 1906. Seule l'étude restera au 5 (ou 3, selon les cas), rue de France. Il n'aura que la place à traverser pour se rendre à son travail.

Paul Gaignaire et Marie Jaussaud ont eu deux filles, toutes les deux nées à Gap :

  • Marie Louise, née le 16 août 1896.
  • Paule Anne Marie, née le 27 juillet 1898. Elle était parfois prénommée Paulette.

Le 1er octobre 1921, la fille cadette Paule Gaignaire épouse Pierre Chauvet, un avocat au barreau de Gap. Quelques années plus tard, il succède à son beau-père, le 19 décembre 1925. En l'absence de fils, Paul Gaignaire s'est trouvé un successeur pour la troisième génération de notaires à Gap. Lui-même se retire et se consacre désormais au Syndicat d'Initiative de Gap. En 1930 et 1934, il en est le président. Très engagé en faveur de la mise en valeur touristique de la Route Napoléon, il préside le Groupement des Syndicats d'Initiative de la Route Napoléon, lors du congrès de Cannes, en 1931. En 1935, il est président de l'Union du Syndicat d’Initiative du département. Cet engagement en faveur du tourisme sera récompensé par sa nomination au grade de chevalier de la Légion d'honneur, par décret du 8 août 1935, au titre de président du Syndicat d'initiative des Hautes-Alpes. Depuis 1896, il était aussi membre de la Société d'Études des Hautes-Alpes dont il a été le vice-président. Enfin, on voit son nom aussi bien au Club Alpin Français, dont il avait rejoint la section de Gap dès 1890, qu'il préside en 1935, qu'à la société d'Économie alpestre (1931) ou à la Société de secours aux blessés militaires dont il prend la présidence en 1938. Ce ne sont là que quelques informations glanées au gré des mentions dans les journaux ou dans les bulletins de la Société d'Études des Hautes-Alpes. Fidèle à une tradition d'engagement au service de sa cité et de son département, fidèle aussi à une forme d'engagement social qui avait été celui de sa mère, il semble avoir été très présent dans la vie de Gap et des Hautes-Alpes à partir du moment où il a cédé son étude à son gendre. En revanche, à la différence de son cousin germain Hippolyte Escalle, il s'est tenu éloigné de la vie politique.

Paul Gaignaire est décédé le 29 décembre 1939 à Gap, 11, boulevard Lamartine [boulevard du Général-de-Gaulle], à soixante-dix ans. Son épouse lui survivra plus de vingt ans. Elle est morte à Gap le 5 décembre 1961, à quatre-vingt-huit ans.

Marie Gaignaire (1896-1977), épouse Georges Garnier (1885-1966)

Comme il se doit, c'est la fille aînée de Paul Gaignaire et Marie Jaussaud qui se marie la première. Un mois avant ses dix-huit ans, elle épouse un professeur du lycée de Gap, Georges Garnier. Il a dix ans de plus qu'elle. Hasard de l'histoire, le mariage a lieu à Gap, le 25 juillet 1914, quelques jours seulement avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Par cette union, l'histoire de cette branche familiale devient parisienne. En effet, Georges Garnier est né à Boulogne, près de Paris, le 4 novembre 1888. Il est le fils d'Édouard Garnier qui était alors sous-commissaire des expositions des Beaux-Arts. Plus tard, il sera conservateur du musée et des collections à la Manufacture nationale de Sèvres. Il est l'auteur de très nombreux ouvrages, dont, en 1889, une étude sur la Porcelaine tendre de Sèvres. Son fils Georges s'est orienté vers l'enseignement des langues vivantes. Grâce à une livre de Jérémie Dubois, L'enseignement de l'italien en France (1880-1940). Une discipline au cœur des relations franco-italiennes (Grenoble, UGA Éditions, 2015), nous en savons plus sur son cursus : « la mise en place de l’Institut français de Florence par l’université de Grenoble représente un défi. Celui-ci exerce sur les étudiants parisiens une attraction puissante. […] Peu après, un mécanisme similaire s’observe avec Georges Garnier. Il effectua ses études à la Sorbonne, où il obtient en 1907 un DES d’italien [Diplôme d'Études supérieures, nécessaire pour se présenter à l'agrégation]. Sa réussite à l’agrégation d’italien en 1912 n’est pourtant pas portée au crédit de l’université de Paris. Après deux candidatures vaines, il fut nommé boursier d’agrégation à l’université de Grenoble en 1911-1912, pour séjourner à l’institut : il en dépend lors de sa réussite [à l'agrégation]. » Après ce séjour comme boursier de l’Institut français de Florence et avoir obtenu l'agrégation, Georges Garnier accède directement à un poste de professeur d’italien au lycée de Gap, en 1912. C'est comme cela qu'il rencontre Marie Gaignaire avec qui il se marie. Nous avons pu reconstituer sa carrière qui le ramènera rapidement à Paris et culminera comme professeur d'italien dans le prestigieux lycée Louis-le-Grand, du Quartier Latin :

  • DES (Diplôme d'Études Supérieures) d'Italien, à la Sorbonne : 1907.
  • Boursier d'agrégation à l'université de Grenoble et séjour à l'Institut français de Florence : 1911-1912.
  • Agrégation d'italien : 1912.
  • Professeur au lycée de Gap : 1912-1916. Pendant la guerre, il sera mobilisé comme officier interprète.
  • Professeur à Clermont-Ferrand : 1919.
  • Professeur au lycée Hoche, à Versailles : 1921-1926.
  • Professeur au lycée Louis-le-Grand, à Paris : 1929-1948.

Les différents domiciles connus sont :

  • Paris (17e), 99, rue de Tocqueville : 1926, 1931.
  • Paris (5e), 31, rue Saint-Jacques : 1933-1948.
  • « La Borderie », à Pléneuf-Val-André où il est décédé le 21 janvier 1966, à quatre-vingts ans.

En 1929, il est l'auteur anonyme du fascicule consacré à l'Italie, dans l'Encyclopédie par l'image,  collection « Géographie », publié par la Librairie Hachette :


Son épouse est décédée à l'âge de quatre-vingt-un ans à l'hôpital Ambroise-Paré, de Boulogne-Billancourt. Elle habitait alors à Paris (14e), 274, boulevard Raspail.

Georges Garnier et Marie Gaignaire ont eu trois enfants :

Charles, né à Neuilly-sur-Seine le 30 juillet 1915. Il a suivi les traces de son père. Élève de l'École normale supérieure, il est agrégé de Lettres en 1938. Mobilisé lors de la Seconde Guerre mondiale, il est mort pour la France à Pasly, dans l'Aisne, le 8 juin 1940. De son mariage avec Élisabeth Adrien (1916-2017), fille d'un lieutenant de vaisseau de Toulon, il a eu une fille et une descendance à Lyon.

Marcel, né à Gap le 22 octobre 1916. Élève de l'École navale, sa carrière l'a conduit jusqu'au grade de capitaine de Vaisseau. Son parcours militaire est décrit sur le site des anciens de l'École : Marcel Garnier.

Marcel Garnier

Des trois enfants du couple, il est le seul qui est revenu vivre à Gap, après sa carrière. Il y est décédé le 5 avril 1996 à quatre-vingt-un ans. De son mariage avec Monique Soubigou (1918-1983), il a eu six enfants, dont la descendance n'est connu que partiellement.

Suzanne, née à Gap le 1er novembre 1919. Elle a aussi suivi les traces de son père en devenant agrégée d'anglais, en 1943. En khâgne, à Louis-le-Grand, elle rencontre Michel Herr (1919-2006) avec lequel elle se marie à Gap le 21 septembre 1939 (ils divorcent en 1946). Il est le fils d'un célèbre intellectuel, bibliothécaire de l'École Normale supérieure, Lucien Herr (1864-1926) (notice Wikipédia). Lui-même, qui a eu une vie riche, a sa notice dans le Maitron, le dictionnaire du mouvement ouvrier et social : Michel Herr

Michel Herr (1919-2006)

Parmi leurs quatre enfants, Isabelle Herr, épouse Renouard, a été la première femme à devenir directrice d’une administration centrale. Sa brillante carrière est résumée dans sa notice Wikipédia : Isabelle Renouard. Une autre des filles, aujourd'hui décédée, a été l'épouse de l'écrivain Louis Gardel, bien connu pour son roman Fort-Saganne (1980). En définitive, de ce premier mariage, il y a une descendance nombreuse dans laquelle on trouve une productrice de cinéma, un conseiller de Nicolas Sarkozy, à l'Élysée, un diplomate, un général de brigade, une religieuse de l'Assomption, ancienne élève de l’Essec et docteure en philosophie, etc.

Suzanne Garnier s'est remariée le 3 septembre 1948 avec Alain Dutheillet de Lamothe (1919-1972), docteur en droit, énarque, conseiller d'État, avocat général à la Cour de justice des Communautés européennes (notice sur le site de la Cour de justice européenne). Leur fils, Olivier Dutheillet de Lamothe, né en 1949, conseiller d'État, a été membre du Conseil constitutionnel (2001-2010). La trajectoire qui va, en six générations, de Paul Gaignaire, modeste cabaretier à La Motte-en-Champsaur, jusqu'à ces hauts fonctionnaires illustre les stratégies d'ascension sociale à l'œuvre aux XIXe et XXe siècles. L'étape franchie par Paul Gaignaire, le fils, comme notaire à Gap, a été déterminante dans cette trajectoire car elle a apporté l'assise sociale, le patrimoine et, plus tard, le capital social et culturel. 

Paule Gaignaire (1898-1969), épouse Pierre Chauvet (1895-1992)

Si l'histoire familiale de la fille aînée des Gaignaire est surtout parisienne, celle de la fille cadette est restée gapençaise jusqu'à aujourd'hui. Le 1er octobre 1921, elle épouse Pierre Chauvet, né à Ribiers le 20 août 1895. Appartenant à une famille bourgeoise du sud des Hautes-Alpes  par sa mère, il descend de l'historien de Sisteron, Édouard de Laplane (1774-1870)  il a passé les premières années de sa vie à Grenoble où son père était avocat (voir la notice nécrologique qui lui est consacrée : Joseph Chauvet). Lui-même, après des études de droit dans cette ville, devient avocat d'abord à Grenoble, puis, au moment de son mariage, à Gap. Dès 1925, il succède à son beau-père Paul Gaignaire, comme notaire à Gap (décret du 19 décembre 1925). Il dirige cette étude jusqu'en 1955, date à laquelle son fils Paul lui succède, devenant ainsi la quatrième génération de notaires à Gap, depuis son arrière-grand-père Paul Gaignaire père. Il a aussi succédé à ses beaux-parents dans la maison de la place Ladoucette, à Gap, où il a vécu avec sa famille jusqu'à son décès. Pierre Chauvet a toujours été très engagé dans les activités de la Société d'Études des Hautes-Alpes, comme son père Joseph qui en avait été président de 1917 à 1920. Pierre Chauvet a contribué par un article en 1976 : « La retraite épique des protestants de Sisteron - septembre 1562 » et la nécrologie de Georges Wilhelm. Il a aussi traduit de l'anglais l'ouvrage de Sir Gavin deBeer, Alps and elephants. Hannibl'march, paru en français sous le titre de Route Annibal, en 1962. Cet ouvrage intéresse l'histoire des Hautes-Alpes car il défend l'hypothèse d'un passage du général carthaginois et de ses éléphants par le col de la Traversette, près du Viso.  Après son décès en 1992, la notice nécrologique que lui a consacré Paul Pons reste la meilleure source d'information sur sa vie et ses travaux (notice dans le bulletin de la Société d'Études des Hautes-Alpes : Pierre Chauvet). 

Pierre Chauvet (1895-1992)

Pierre Chauvet et Paule Gagnaire ont eu cinq enfants : Françoise Chauvet (1922-1990), professeure d'anglais, décédée accidentellement en Argentine, Paul Chauvet (1923-2017), notaire à Gap, Jacques Chauvet, directeur du personnel en région parisienne, Marijo Chauvet, aussi professeure d'anglais, épouse d'Antoine Thivel, professeur de Lettres classiques, à la bibliographie impressionnante (voir cette notice) et Élisabeth Chauvet. Comme toutes les familles ont leurs secrets, celle-ci n'échappe pas à la règle. Elle n'échappe pas non plus à l'esprit du temps qui est de partager ces secrets. Caroline Thivel, dans un ouvrage paru en 2024, La Fille de l'autre, raconte sa découverte et sa quête sur son vrai père.

Tombe des familles Gaignaire, Garnier et Chauvet, au cimetière de Gap

Lien vers la généalogie de Paul Gaignaire, notaire et de sa descendance : cliquez-ici.

Article sur les parents de Paul Gaignaire : Paul Gaignaire [58] (1796-1870) et son épouse Rosalie Gentillon [59] (1807-1868).