mardi 15 avril 2025

Paul Gaignaire (1835-1883), notaire à Gap, et sa descendance

Le notaire Paul Gaignaire (1835-1883) de Gap est représentatif des ascensions sociales telles que les permettait le XIXe siècle. Fils d'un modeste cabaretier et propriétaire cultivateur de La Motte-en-Champsaur, il a réussi à se constituer un patrimoine conséquent et une position de notabilité à Gap en un quart de siècle, posant ainsi les bases d'une descendance qui alliera bourgeoisie de province et bourgeoisie parisienne.

Paul Gaignaire est l'unique fils survivant de Paul Gaignaire [58] (1796-1870) et de son épouse Rosalie Gentillon [59] (1807-1868). Il est né à La Motte-en-Champsaur le 4 janvier 1835. Comme le voulait la tradition, il aurait dû succéder à son père dans l'exploitation du domaine familial. Pourtant, il s'est très vite orienté dans une autre voie, le notariat. Une première raison pourrait être qu'il était estropié de la jambe droite, ce qui lui provoquait une claudication qui sera suffisante pour l'exempter du service militaire (c'est comme cela que nous le savons). Il était fréquent de souffrir de telles infirmités. Il suffisait d'une fracture mal réduite pour rester handicapé toute sa vie. Cela pouvait être un obstacle pour devenir cultivateur et donc amenait les parents à envisager un autre avenir pour leur fils. Une autre raison est que ses parents étaient probablement conscients de ses capacités intellectuelles. L'orienter vers le notariat était conforme à leur volonté d'ascension sociale pour leur descendance, volonté très perceptible dans la manière dont Paul Gaignaire père a conduit sa vie. Il n'existait alors guère que quelques professions pour permettre une telle ascension. Certaines demandaient un effort important d'éducation pour les parents (prêtre, médecin, etc.). D'autres, comme le notariat, s'apprenaient par la pratique sans nécessiter de diplôme. Aussi surprenant que cela puisse nous paraître aujourd'hui, c'est comme cela que l'on pouvait devenir notaire. Il fallait rejoindre une étude qui acceptait de faire faire un stage de six ans comme clerc au terme duquel la chambre des notaires évaluait la compétence et les connaissances acquises de l'aspirant-notaire et, après cet examen, lui délivrait un certificat de capacité.

En 1770, la mère du botaniste Dominique Villars place son fils chez un notaire de Saint-Bonnet-en-Champsaur : « À 15 ans, ma mère prit le parti de me placer comme petit clerc chez M. Morel notaire & procureur, receveur au contrôle. C'était pour apprendre un peu à connaître les affaires, soit pour prendre la place de greffier qu'occupait mon père, soit pour défendre l'héritage de la famille qu'il m'avait donné. » C'est probablement le même raisonnement qui a conduit les parents Gaignaire à placer leur fils chez Me Désiré Joubert, notaire à Saint-Bonnet-en-Champsaur vers 1850. En plus du prestige social de cette profession, très fort dans ces pays de droit écrit, il paraissait sûrement très pertinent à Paul Gaignaire père d'avoir un notaire dans la famille qui puisse poursuivre la stratégie patrimoniale qu'il avait engagée, comme nous l'avons vu dans l'article qui lui est consacré. Et ce raisonnement s'est avéré gagnant car Paul Gagnaire fils, au-delà sa propre réussite, est le premier d'un réseau familial de notaires qui en comptera au total neuf.

En 1851, le recensement nous permet de savoir que Paul Gaignaire a quitté la maison familiale de La Motte. Il est recensé dans le ménage de Me Désiré Joubert, comme clerc, où il vient de commencer son stage. Il y  apprend la pratique, tout en vivant auprès d'eux, comme un membre de la famille, en même temps que l'autre clerc, Eugène Davin, âgé de quarante ans. Ce premier apprentissage ne présumait pas d'une éventuelle succession, puisque Désiré Joubert avait lui-même un fils Ernest qui prendra sa suite comme notaire à Saint-Bonnet. Très vite, Paul Gaignaire part pour Gap où il rejoint l'étude de Me Jules Augier. Deux raisons peuvent expliquer cela. Une étude de chef-lieu de département, comme Gap, permet d'enrichir sa connaissance du métier, par une diversité de cas et de situations que l'on ne trouvait guère dans un chef-lieu de canton comme Saint-Bonnet-en-Champsaur. L'autre raison est probablement que le fils Paul Gaignaire, probablement lui-même mu par une ambition personnelle dont il avait hérité de ses parents, envisageait déjà de prendre la succession de Jules Augier, qui, sans enfant, était un bon parti, si j'ose dire, pour un jeune clerc et aspirant-notaire qui se cherchait une étude à reprendre.

En 1856 et 1861, il habite à Gap, seul, d'abord rue du Centre, puis rue de France, à quelques maisons de l'étude de Jules Augier. En 1861, âgé de vingt-six ans, il a atteint le rang de premier clerc qui était nécessaire pour accéder au notariat. Enfin, il est nommé notaire à Gap par décret du 9 mai 1863, en remplacement de Me Jules Augier, décédé le 26 mars 1863. À vingt-huit ans, il accède enfin à cette position tant convoitée. Après avoir consolidé sa situation, il est donc temps de songer au mariage. On imagine la recherche du parti idéal qui doit répondre à un subtil équilibre entre notabilité de la famille, dot et espérance de la jeune fille, bonne éducation et, peut-être, mais ce n'est pas le plus important, charme et beauté de la promise. Louis Carle devait répondre à ces critères.

Louise Victorine Carle était la fille de Louis Carle et Victorine Lambert, née à Gap le 16 septembre 1845. Son père, d'abord commis-greffier, à Gap, a ensuite été pendant trente-cinq ans juge de paix du canton de Tallard. Devenu veuf à l'âge de trente-deux ans, il ne s'est pas remarié et s'est consacré à l'éducation de ses deux filles. Louise Carle a donc été élevée au couvent du Saint-Cœur, de Gap, comme beaucoup de jeunes filles de la bonne société gapençaise. Sa notice nécrologique dans le Bulletin de la Société d'Études des Hautes-Alpes, en 1902, résume sa vie, presque comme un modèle de ce devait être la vie des épouses de l'époque :

Les femmes vertueuses n'ont pas d'histoire ! Pour se résumer en quelques mots : vertu, piété, dévouement, charité discrète et inépuisable, l'existence de Madame Gaignaire n'en fut pas moins des plus et des mieux remplies. 

L'accomplissement rigoureux de tous ses devoirs et les œuvres de bienfaisance n'absorbèrent pas entièrement son activité. Elle avait, comme son père, le goût très vif des choses de l'esprit. Elle s'intéressa toujours aux travaux de notre Société dans les rangs de laquelle elle succéda à son mari qui avait été un de nos associés de la première heure. 

Paul Gaignaire et Louise Carle se sont mariés à Tallard le 16 janvier 1867. L'époux venait d'avoir trente-deux ans et l'épouse vingt-et-un ans. Ce jour-là, Paul Gaignaire est accompagné par ses deux témoins, Clément Amat, avocat, à Gap, et Etienne Victor Soubra, notaire, à Tallard, qui a aussi reçu leur contrat de mariage le même jour. En revanche, ses parents n'ont pas fait le déplacement depuis La Motte-en-Champsaur. En 1867, en plein hiver, les trente-cinq kilomètres qui séparent les deux communes étaient une véritable expédition, même pour l'ancien muletier et voiturier Paul Gaignaire père qui en avait probablement vu d'autres.

En succédant à Jules Augier, Paul Gaignaire lui a aussi succédé dans le petit immeuble du 5, rue de France, à Gap, qui abritait l'étude et le domicile de la famille. C'est la qu'il a vécu avec son épouse et ses enfants jusqu'à son décès. Il s'est entièrement consacré à son travail de notaire. Il n'a jamais cherché à s'investir dans la vie publique de Gap, en particulier dans la vie politique. Il n'a brigué aucun mandat. Une seule fois, son nom apparaît comme signataire d'une lettre-circulaire parue dans l'Annonciateur du département des Hautes-Alpes, le 7 octobre 1871, en faveur de la candidature d'Eugène Bontoux, au Conseil général, pour le canton de Gap, au nom d'un Comité de l'Union. Ce brillant ingénieur originaire d'Embrun sera élu et siégera jusqu'en 1880. En prenant parti pour lui, Paul Gaignaire se situe très clairement du côté des partis conservateurs et cléricaux, voire monarchistes, au moment où la lutte fait rage en France, mais aussi dans les Hautes-Alpes, entre les Républicains et les milieux conservateurs après la chute de l'Empire. Lorsque, en 1878, Eugène Bontoux fonde l'Union générale, une banque à capitaux catholiques qui voulait concurrencer les grandes banques de l’époque à capitaux juifs ou protestants, Paul Gaignaire sera un des déposants (peut-être un des actionnaires). Malheureusement pour lui, la banque fait une faillite retentissante, ce que l'on appelle le krach de l'Union générale, en 1882. Dans cette affaire, il perdra 128 250 francs, somme considérable pour l'époque (voir les notices Wikipédia d'Eugène Bontoux et du Krach boursier de 1882). Parmi ses engagements publics, il est nommé membre de la Commission d’enquête d’utilité publique du chemin de fer de Gap à Briançon, en 1874, probablement à cause de son expertise juridique sur les questions de propriété et d'expropriation.

Visiblement malade, il cède son étude à Me Léon Bertrand qui est nommé à sa place le 13 janvier 1883. Lors de l'annonce de cette succession, l'Annonciateur du département des Hautes-Alpes ajoute ce commentaire plus personnel :

L'Annonciateur du département des Hautes-Alpes,
du 27 janvier 1883

Malheureusement, les vœux de ce journal ne se sont pas réalisés. Paul Gaignaire décède le 16 août 1883, à l'âge de quarante-huit ans, dans sa propriété de Charance, dont nous reparlerons. Il laisse une jeune veuve de trente-sept ans et quatre enfants dont le plus âgé a quinze ans et la cadette onze ans.

Nous avons la chance de posséder un exemplaire de son faire-part de décès :

Parti dans la vie avec son seul talent et l'appui probablement plus moral que financier de ses parents, Paul Gaignaire n'aura de cesse de se créer un patrimoine, comme l'avaient fait ses parents auparavant, mais à une échelle supérieure. C'était aussi une manière de garantir l'avenir et ses vieux jours, ce dont il n'a pu profiter, mais aussi transmettre à ses enfants un patrimoine en plus de l'éducation qu'il leur a fournie.

Vers 1867, probablement peu de temps après son mariage, il acquiert un grand domaine dans la campagne autour de Gap, à Charance, un lieu de villégiature toujours prisé des Gapençais aisés, au pied du château de Charance qui avait été la résidence d'été des évêques de Gap avant la Révolution. Constitué de vingt parcelles et une maison, ce domaine de 8 ha. 28 a. avait appartenu au chef de bataillon Jean-Stanislas Vivien, ancien soldat des guerres de la Révolution et de l'Empire, mort à Gap en 1850. Paul Gaignaire poursuivra méthodiquement ses acquisitions jusqu'à son décès, en particulier en achetant un autre domaine dans la périphérie de Gap, à Saint-Jean, mais aussi d'autres parcelles dispersées. À son décès, il possédait près de 17 ha. de terres autour de Gap, et deux maisons, une à Charance et l'autre à Saint-Jean. C'est en réalité la maison de Charance qui était devenue véritablement le deuxième domicile de la famille et, en quelque sorte, leur maison de campagne. Il l'agrandit une première fois vers 1873. À ce moment-là, elle passe de douze à vingt ouvertures, comme l'indique le cadastre. En effet, à cette époque, l'impôt dit des portes et fenêtres se basait sur le nombre d'ouvertures pour définir l'assiette fiscale d'un bien. C'est dans cette maison qu'il est décédé en août 1883, probablement pour fuir la touffeur bien connue de la ville de Gap en été et l'étroitesse de leur logis de la rue de France.

Situation de la maison Gaignaire, à Charance

Après le décès de son mari, en 1883, Louise Carle, veuve Gaignaire, a dû quitter le logement de la rue de France qui est désormais occupé par Léon Bertrand et sa famille qui a succédé à Paul Gaignaire non seulement dans son étude, mais aussi dans son habitation. On retrouve là cet usage ancien qui ne distinguait pas le lieu d'habitation du lieu de travail. En 1886, elle habite à Charance avec sa fille cadette. Elle a poursuivi la politique d'acquisition et de construction de son mari, probablement avec l'aide de son fils Paul. Vers 1883, une nouvelle maison est construite à Charance, en complément de celle existante, avec vingt-trois ouvertures, puis, enfin, vers 1887, une troisième maison, plus probablement un troisième corps de bâtiment, vient compléter l'ensemble, avec sept ouvertures. Cette maison n'est malheureusement pas visible depuis le chemin de la Clairière où elle se trouve, ce qui ne permet pas d'en avoir une vue dans sa forme actuelle, ni ancienne.

Les autres acquisitions sont des investissements, que ce soit un ensemble de magasin, entrepôt et bureau au quartier de Camargue, proche du centre-ville, en 1890, puis un autre domaine aux Serrigues, sur le territoire de Gap, en 1892, après s'être dessaisi du domaine de Saint-Jean, en 1890, et, enfin, dans la ville, deux immeubles de rapport boulevard de la Liberté (boulevard Lamartine, puis boulevard du Général-de-Gaulle), en 1894. C'est d'ailleurs dans un de ces immeubles que Louise Carle habitait seule en 1896, avec une domestique. Elle devait partager sa vie entre cet appartement de centre-ville, en hiver, et la maison de Charance, en été. Comme son époux, c'est là qu'elle est décédée le 12 août 1902, à l'âge de cinquante-six ans. Pour elle aussi, nous possédons son faire-part de décès :


Alors que le faire-part de son mari citait les différentes branches de sa famille du côté de sa mère, née Gentillon, celui de son épouse se limite aux familles de ses belles-sœurs, les Escalle, Barthélemy, Aubert, Pourroy, Pascal et Grimaud. À un degré de parenté plus éloigné, seules sont citées les familles Arnaud, Davin et Marchand qui ne représentent qu'une partie de la très nombreuse famille du côté Gentillon. Comme pour son mari, aucune famille de la parenté Gaignaire n'est mentionnée.

Louise Carle était une des rares femmes membres de la Société d'Études des Hautes-Alpes. Elle avait succédé à son mari qui en faisait partie depuis l'origine, en 1882. C'est à ce titre qu'une notice nécrologique lui a été consacrée dans le bulletin de 1902, dont nous avons donné un extrait ci-dessus. La notice complète est accessible en suivant ce lien : cliquez-ici. Le 16 août 1902, l'Annonciateur du département des Hautes-Alpes lui consacre aussi une courte notice biographique. Après avoir rappelé qu'elle est décédée « à la suite d’une douloureuse maladie », le journal rappelle : « Les malheureux auxquels elle venait généreusement. et discrètement en aide ressentiront aussi douloureusement cette perte. » 

Paul Gaignaire et Louise Carle ont eu quatre enfants, tous nés à Gap :

  • Paul Louis Joseph Adrien, né le 12 mars 1868.
  • Paul Marie Dosité, né le 11 juillet 1869.
  • Marie Françoise Adrienne, née le 4 octobre 1870.
  • Marie Zoé Victorine, née le 8 juin 1872.

Nous allons consacrer une notice à chacun des enfants, en suivant l'ordre chronologique, sauf pour Paul que nous traiterons en dernier. Il est le seul à avoir eu une descendance.

Généalogie simplifiée de la famille Paul Gaignaire, notaire

Louis Gaignaire (1868-1922)

La vie du fils aîné Louis Gaignaire reste assez mystérieuse. Les quelques éléments que nous possédons sont maigres. Lors des opérations de recensement militaire de la classe 1888 à laquelle il appartenait, il est qualifié d'étudiant à Gap, mais il semble qu'il vivait alors à Paris. Il est exempté pour gibbosité, autrement dit, en termes plus familiers, il était bossu. En 1901, il est recensé avec sa mère, à Charance comme rentier. En 1902 ou en 1918, dans les faire-part de décès de sa mère et de sa sœur Adrienne, il est cité sans mention d'une qualification ou d'un domicile, à la différence de son frère et de ses sœurs. On perd sa trace jusqu'à son décès, le 31 décembre 1922, à l'âge de cinquante-quatre ans. Le lieu de son décès peut nous donner une piste sur les raisons de cette vie discrète et sans traces. À ce moment-là, bien que domicilié à Gap, il résidait à Lyon, 71, chemin des Grandes Terres [rue Benoist-Mary]. C'était alors une maison de santé appelée Champvert qui, selon les informations que l'on possède, pouvait être assimilée à un asile d'aliénés privé ou, selon la terminologie actuelle, à une clinique psychiatrique. Cette notice sur le site du Patrimoine de la région Auvergne-Rhône-Alpes contient de nombreuses informations : cliquez-ici. Évidemment, cela n'est pas suffisant pour déterminer de quoi souffrait exactement Louis Gaignaire, mais cela devait être suffisamment grave pour que sa famille juge nécessaire de le faire interner dans cette structure privée dont le coût d'hébergement devait être élevé.

Maison de santé [clinique de Champvert]
 Vue actuelle et partielle du bâtiment des hommes (aile est, partie nord)
Source : site du Patrimoine de la région Auvergne-Rhône-Alpes

Adrienne Gaignaire (1870-1918)

Par son mariage le 12 février 1896, Adrienne Gaignaire fait entrer un nouveau notaire dans la famille. Fille, sœur, cousine germaine de notaires, elle devient épouse de notaire ! Son mari, Joseph Henry, sensiblement plus âgé qu'elle, puisqu'il est né dans l'Ain en 1858, est titulaire d'un office à Vienne (Isère), depuis juin 1892. Après cette installation, il s'est rapidement marié avec Marie Rambaud, d'Orliénas, dans le Rhône, qui lui donne un fils, Antoine, né en 1893. Sa première épouse décède quelques mois plus tard à Genève et, probablement pour trouver une épouse qui puisse être aussi une mère pour son fils, il se remarie avec Adrienne Gaignaire. Ce second mariage sera stérile. Antoine Henry fera partie de la famille Gaignaire comme s'il était un fils d'Adrienne. Son nom apparaît dans les différents faire-part de décès au même titre que les filles de Paul, le frère d'Adrienne. En décembre 1902, Joseph Henry cède son étude du cours Romestang à Vienne, à Me Francisque Tarlet et la famille part s'installer à Lyon, au 274, avenue de Saxe, dans le 7e arrondissement. Cette partie de l'avenue est renommée Jean-Jaurès, en 1914, puis renumérotée. Le n° 274 devient l'actuel n° 8 de l'avenue Jean-Jaurès. C'est à son domicile qu'Adrienne Gaignaire décède le 17 décembre 1918, à l'âge de quarante-huit ans.

Avis de décès d'Adrienne Gaignaire, ép. Henry

La mention d'une séparation de biens judiciaire entre les époux Joseph Henry et Adrienne Gaignaire devant le tribunal civil de Lyon le 18 novembre 1903 peut laisser penser que la situation financière et patrimoniale de Joseph Henry n'était pas excellente après avoir délaissé son étude de Vienne. Certes il a pu acquérir une propriété, la « Villa Bellevue » à Décines, vers 1904. Il devra pourtant reprendre du service comme clerc de notaire après la Première Guerre mondiale, chez Me Chardiny à Lyon, au moins jusqu'en 1936. C'est un parcours atypique d'être clerc de notaire, après avoir été soi-même notaire, en possession d'une étude. Il est décédé dans son domicile à Décines, 274, avenue du Maréchal Pétain (aujourd'hui, avenue Jean-Jaurès), le 4 juillet 1942, à l'âge de quatre-vingt-trois ans. Preuve que ses affaires n'étaient pas florissantes, il ne laisse aucun bien à son décès. C'est son fils Antoine qui déclare son décès. Celui-ci était entré dans la Compagnie de Jésus, autrement dit était jésuite. Il a essentiellement assuré des fonctions de professeur de lettres et de langues. Au moment du recensement militaire (1913), il est étudiant en lettres, à Hastings, au Royaume-Uni. On le trouve à Jersey, à la maison Saint-Louis, en 1919, puis à Londres, en 1921. Il revient en France au début des années vingt. Il est professeur de lettres et de langues et surveillant général, au collège Notre-Dame-de-Mongré (Villefranche-sur-Saône) de 1925 à 1940, puis professeur à Lyon (2e), 10, rue Sainte-Hélène (actuellement Lycée Saint-Marc, à Lyon, ancien collège jésuite) en 1942. C'est là qu'il décède en 1954, à l'âge de soixante ans. Ces pages geneanet contiennent des photos du père et du fils : Joseph Henry et Antoine Henry.

Marie Gaignaire (1872-1932)

La fille cadette est devenue religieuse. Comme sa mère, elle a dû être élevée au couvent du Saint-Cœur de Gap. Elle entre ensuite dans la congrégation du Sacré-Cœur, d'abord dans le couvent de Montfleury, près de Grenoble, où elle réside lors du décès de sa mère (1902), puis à Zbylitowska Góra, en Pologne, au moins à partir de 1922,  jusqu'à son décès en 1932. Ce couvent polonais, consacré à l'enseignement des jeunes filles, a été créé en 1901 par la congrégation du Sacré-Cœur de Jésus, à partir de l'établissement de Lyon qui avait été supprimé par la loi sur les congrégations.

Couvent du Sacré-Cœur de Zbylitowska Góra, endommagé lors de la Première Guerre mondiale (1915)


Paul Gaignaire (1869-1939)

Le second fils assura la succession de son père comme notaire. Pour cela, il ne se contentera pas de la formation « sur le tas » comme clerc qui était requise pour devenir notaire, il obtiendra une licence en droit, probablement à la Faculté de Droit de Lyon. Nous savons que dès 1888, il était élève aux Chartreux, de Lyon. Encore clerc de notaire, il revient de Lyon pour s'installer à Gap dans le courant de l'année 1895 et se marie le 14 novembre avec Marie Gabrielle Jaussaud, âgée de vingt-deux ans. Il a vingt-six ans. Son père, au moment de céder son étude à Me Léon Bertrand, en 1883, avait probablement conclu un accord avec celui-ci pour que son successeur ne soit pas un de ses enfants, mais le propre fils de Paul Gaignaire lorsqu'il aurait atteint l'âge nécessaire. C'est ce qui s'est passé, car par décret du 11 janvier 1897, Paul Gaignaire fils est nommé notaire à Gap en remplacement de Léon Bertrand. Ainsi, après une parenthèse de quatorze ans due au retrait prématuré de Paul Gaignaire père, le fils prend la succession. Il a vingt-sept ans. Avec son épouse et sa fille aînée, ils réintègrent le logement de la rue de France dans lequel il avait vécu enfant et qui a été occupé entretemps par Léon Bertrand et sa famille.

Tout comme son père, Paul Gaignaire se consacrera exclusivement à son métier de notaire et ne briguera aucun mandat électif. Pendant toute sa période d'activité, il semble s'être tenu en retrait de la vie publique. Vers 1905, il acquiert un grande maison bourgeoise située sur la place Ladoucette, à Gap. Construite vers 1887 pour Catherine Merley, veuve de Victor Longrée, un entrepreneur d'origine belge, installé à Gap à l'occasion des travaux du chemin de fer dans les Hautes-Alpes, cette demeure existe encore avec son jardin. Elle est devenue un restaurant.

Maison Gaignaire, à Gap, 2, place Ladoucette
C'est aujourd'hui un restaurant : Les Boutons d'Or
(source : page Facebook du restaurant)

Cette grande maison peut désormais accueillir la famille de Paul Gaignaire. Il y est recensé avec son épouse et ses deux filles dès 1906. Seule l'étude restera au 5 (ou 3, selon les cas), rue de France. Il n'aura que la place à traverser pour se rendre à son travail.

Paul Gaignaire et Marie Jaussaud ont eu deux filles, toutes les deux nées à Gap :

  • Marie Louise, née le 16 août 1896.
  • Paule Anne Marie, née le 27 juillet 1898. Elle était parfois prénommée Paulette.

Le 1er octobre 1921, la fille cadette Paule Gaignaire épouse Pierre Chauvet, un avocat au barreau de Gap. Quelques années plus tard, il succède à son beau-père, le 19 décembre 1925. En l'absence de fils, Paul Gaignaire s'est trouvé un successeur pour la troisième génération de notaires à Gap. Lui-même se retire et se consacre désormais au Syndicat d'Initiative de Gap. En 1930 et 1934, il en est le président. Très engagé en faveur de la mise en valeur touristique de la Route Napoléon, il préside le Groupement des Syndicats d'Initiative de la Route Napoléon, lors du congrès de Cannes, en 1931. En 1935, il est président de l'Union du Syndicat d’Initiative du département. Cet engagement en faveur du tourisme sera récompensé par sa nomination au grade de chevalier de la Légion d'honneur, par décret du 8 août 1935, au titre de président du Syndicat d'initiative des Hautes-Alpes. Depuis 1896, il était aussi membre de la Société d'Études des Hautes-Alpes dont il a été le vice-président. Enfin, on voit son nom aussi bien au Club Alpin Français, dont il avait rejoint la section de Gap dès 1890, qu'il préside en 1935, qu'à la société d'Économie alpestre (1931) ou à la Société de secours aux blessés militaires dont il prend la présidence en 1938. Ce ne sont là que quelques informations glanées au gré des mentions dans les journaux ou dans les bulletins de la Société d'Études des Hautes-Alpes. Fidèle à une tradition d'engagement au service de sa cité et de son département, fidèle aussi à une forme d'engagement social qui avait été celui de sa mère, il semble avoir été très présent dans la vie de Gap et des Hautes-Alpes à partir du moment où il a cédé son étude à son gendre. En revanche, à la différence de son cousin germain Hippolyte Escalle, il s'est tenu éloigné de la vie politique.

Paul Gaignaire est décédé le 29 décembre 1939 à Gap, 11, boulevard Lamartine [boulevard du Général-de-Gaulle], à soixante-dix ans. Son épouse lui survivra plus de vingt ans. Elle est morte à Gap le 5 décembre 1961, à quatre-vingt-huit ans.

Marie Gaignaire (1896-1977), épouse Georges Garnier (1885-1966)

Comme il se doit, c'est la fille aînée de Paul Gaignaire et Marie Jaussaud qui se marie la première. Un mois avant ses dix-huit ans, elle épouse un professeur du lycée de Gap, Georges Garnier. Il a dix ans de plus qu'elle. Hasard de l'histoire, le mariage a lieu à Gap, le 25 juillet 1914, quelques jours seulement avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Par cette union, l'histoire de cette branche familiale devient parisienne. En effet, Georges Garnier est né à Boulogne, près de Paris, le 4 novembre 1888. Il est le fils d'Édouard Garnier qui était alors sous-commissaire des expositions des Beaux-Arts. Plus tard, il sera conservateur du musée et des collections à la Manufacture nationale de Sèvres. Il est l'auteur de très nombreux ouvrages, dont, en 1889, une étude sur la Porcelaine tendre de Sèvres. Son fils Georges s'est orienté vers l'enseignement des langues vivantes. Grâce à une livre de Jérémie Dubois, L'enseignement de l'italien en France (1880-1940). Une discipline au cœur des relations franco-italiennes (Grenoble, UGA Éditions, 2015), nous en savons plus sur son cursus : « la mise en place de l’Institut français de Florence par l’université de Grenoble représente un défi. Celui-ci exerce sur les étudiants parisiens une attraction puissante. […] Peu après, un mécanisme similaire s’observe avec Georges Garnier. Il effectua ses études à la Sorbonne, où il obtient en 1907 un DES d’italien [Diplôme d'Études supérieures, nécessaire pour se présenter à l'agrégation]. Sa réussite à l’agrégation d’italien en 1912 n’est pourtant pas portée au crédit de l’université de Paris. Après deux candidatures vaines, il fut nommé boursier d’agrégation à l’université de Grenoble en 1911-1912, pour séjourner à l’institut : il en dépend lors de sa réussite [à l'agrégation]. » Après ce séjour comme boursier de l’Institut français de Florence et avoir obtenu l'agrégation, Georges Garnier accède directement à un poste de professeur d’italien au lycée de Gap, en 1912. C'est comme cela qu'il rencontre Marie Gaignaire avec qui il se marie. Nous avons pu reconstituer sa carrière qui le ramènera rapidement à Paris et culminera comme professeur d'italien dans le prestigieux lycée Louis-le-Grand, du Quartier Latin :

  • DES (Diplôme d'Études Supérieures) d'Italien, à la Sorbonne : 1907.
  • Boursier d'agrégation à l'université de Grenoble et séjour à l'Institut français de Florence : 1911-1912.
  • Agrégation d'italien : 1912.
  • Professeur au lycée de Gap : 1912-1916. Pendant la guerre, il sera mobilisé comme officier interprète.
  • Professeur à Clermont-Ferrand : 1919.
  • Professeur au lycée Hoche, à Versailles : 1921-1926.
  • Professeur au lycée Louis-le-Grand, à Paris : 1929-1948.

Les différents domiciles connus sont :

  • Paris (17e), 99, rue de Tocqueville : 1926, 1931.
  • Paris (5e), 31, rue Saint-Jacques : 1933-1948.
  • « La Borderie », à Pléneuf-Val-André où il est décédé le 21 janvier 1966, à quatre-vingts ans.

En 1929, il est l'auteur anonyme du fascicule consacré à l'Italie, dans l'Encyclopédie par l'image,  collection « Géographie », publié par la Librairie Hachette :


Son épouse est décédée à l'âge de quatre-vingt-un ans à l'hôpital Ambroise-Paré, de Boulogne-Billancourt. Elle habitait alors à Paris (14e), 274, boulevard Raspail.

Georges Garnier et Marie Gaignaire ont eu trois enfants :

Charles, né à Neuilly-sur-Seine le 30 juillet 1915. Il a suivi les traces de son père. Élève de l'École normale supérieure, il est agrégé de Lettres en 1938. Mobilisé lors de la Seconde Guerre mondiale, il est mort pour la France à Pasly, dans l'Aisne, le 8 juin 1940. De son mariage avec Élisabeth Adrien (1916-2017), fille d'un lieutenant de vaisseau de Toulon, il a eu une fille et une descendance à Lyon.

Marcel, né à Gap le 22 octobre 1916. Élève de l'École navale, sa carrière l'a conduit jusqu'au grade de capitaine de Vaisseau. Son parcours militaire est décrit sur le site des anciens de l'École : Marcel Garnier.

Marcel Garnier

Des trois enfants du couple, il est le seul qui est revenu vivre à Gap, après sa carrière. Il y est décédé le 5 avril 1996 à quatre-vingt-un ans. De son mariage avec Monique Soubigou (1918-1983), il a eu six enfants, dont la descendance n'est connu que partiellement.

Suzanne, née à Gap le 1er novembre 1919. Elle a aussi suivi les traces de son père en devenant agrégée d'anglais, en 1943. En khâgne, à Louis-le-Grand, elle rencontre Michel Herr (1919-2006) avec lequel elle se marie à Gap le 21 septembre 1939 (ils divorcent en 1946). Il est le fils d'un célèbre intellectuel, bibliothécaire de l'École Normale supérieure, Lucien Herr (1864-1926) (notice Wikipédia). Lui-même, qui a eu une vie riche, a sa notice dans le Maitron, le dictionnaire du mouvement ouvrier et social : Michel Herr

Michel Herr (1919-2006)

Parmi leurs quatre enfants, Isabelle Herr, épouse Renouard, a été la première femme à devenir directrice d’une administration centrale. Sa brillante carrière est résumée dans sa notice Wikipédia : Isabelle Renouard. Une autre des filles, aujourd'hui décédée, a été l'épouse de l'écrivain Louis Gardel, bien connu pour son roman Fort-Saganne (1980). En définitive, de ce premier mariage, il y a une descendance nombreuse dans laquelle on trouve une productrice de cinéma, un conseiller de Nicolas Sarkozy, à l'Élysée, un diplomate, un général de brigade, une religieuse de l'Assomption, ancienne élève de l’Essec et docteure en philosophie, etc.

Suzanne Garnier s'est remariée le 3 septembre 1948 avec Alain Dutheillet de Lamothe (1919-1972), docteur en droit, énarque, conseiller d'État, avocat général à la Cour de justice des Communautés européennes (notice sur le site de la Cour de justice européenne). Leur fils, Olivier Dutheillet de Lamothe, né en 1949, conseiller d'État, a été membre du Conseil constitutionnel (2001-2010). La trajectoire qui va, en six générations, de Paul Gaignaire, modeste cabaretier à La Motte-en-Champsaur, jusqu'à ces hauts fonctionnaires illustre les stratégies d'ascension sociale à l'œuvre aux XIXe et XXe siècles. L'étape franchie par Paul Gaignaire, le fils, comme notaire à Gap, a été déterminante dans cette trajectoire car elle a apporté l'assise sociale, le patrimoine et, plus tard, le capital social et culturel. 

Paule Gaignaire (1898-1969), épouse Pierre Chauvet (1895-1992)

Si l'histoire familiale de la fille aînée des Gaignaire est surtout parisienne, celle de la fille cadette est restée gapençaise jusqu'à aujourd'hui. Le 1er octobre 1921, elle épouse Pierre Chauvet, né à Ribiers le 20 août 1895. Appartenant à une famille bourgeoise du sud des Hautes-Alpes  par sa mère, il descend de l'historien de Sisteron, Édouard de Laplane (1774-1870)  il a passé les premières années de sa vie à Grenoble où son père était avocat (voir la notice nécrologique qui lui est consacrée : Joseph Chauvet). Lui-même, après des études de droit dans cette ville, devient avocat d'abord à Grenoble, puis, au moment de son mariage, à Gap. Dès 1925, il succède à son beau-père Paul Gaignaire, comme notaire à Gap (décret du 19 décembre 1925). Il dirige cette étude jusqu'en 1955, date à laquelle son fils Paul lui succède, devenant ainsi la quatrième génération de notaires à Gap, depuis son arrière-grand-père Paul Gaignaire père. Il a aussi succédé à ses beaux-parents dans la maison de la place Ladoucette, à Gap, où il a vécu avec sa famille jusqu'à son décès. Pierre Chauvet a toujours été très engagé dans les activités de la Société d'Études des Hautes-Alpes, comme son père Joseph qui en avait été président de 1917 à 1920. Pierre Chauvet a contribué par un article en 1976 : « La retraite épique des protestants de Sisteron - septembre 1562 » et la nécrologie de Georges Wilhelm. Il a aussi traduit de l'anglais l'ouvrage de Sir Gavin deBeer, Alps and elephants. Hannibl'march, paru en français sous le titre de Route Annibal, en 1962. Cet ouvrage intéresse l'histoire des Hautes-Alpes car il défend l'hypothèse d'un passage du général carthaginois et de ses éléphants par le col de la Traversette, près du Viso.  Après son décès en 1992, la notice nécrologique que lui a consacré Paul Pons reste la meilleure source d'information sur sa vie et ses travaux (notice dans le bulletin de la Société d'Études des Hautes-Alpes : Pierre Chauvet). 

Pierre Chauvet (1895-1992)

Pierre Chauvet et Paule Gagnaire ont eu cinq enfants : Françoise Chauvet (1922-1990), professeure d'anglais, décédée accidentellement en Argentine, Paul Chauvet (1923-2017), notaire à Gap, Jacques Chauvet, directeur du personnel en région parisienne, Marijo Chauvet, aussi professeure d'anglais, épouse d'Antoine Thivel, professeur de Lettres classiques, à la bibliographie impressionnante (voir cette notice) et Élisabeth Chauvet. Comme toutes les familles ont leurs secrets, celle-ci n'échappe pas à la règle. Elle n'échappe pas non plus à l'esprit du temps qui est de partager ces secrets. Caroline Thivel, dans un ouvrage paru en 2024, La Fille de l'autre, raconte sa découverte et sa quête sur son vrai père.

Tombe des familles Gaignaire, Garnier et Chauvet, au cimetière de Gap

Lien vers la généalogie de Paul Gaignaire, notaire et de sa descendance : cliquez-ici.