vendredi 7 novembre 2025

Hippolyte Escalle [56] et Mélanie Robert [57], de La Motte-en-Champsaur

Hippolyte Escalle est né le 11 ventôse an XII [2 mars 1804], au domicile de ses parents Joseph Escalle et Rose Gauthier, propriétaires cultivateurs, à la Motte-en-Champsaur. Il est le sixième enfant de la fratrie et le quatrième enfant survivant. Avant lui, sont nés Rose (1794), Jean Joseph (1797), Mamert (1800). Après lui, viendront Auguste (1806), Virginie (1808) et Félix (1809). De ses cinq frères, il est le seul qui est resté à la Motte-en-Champsaur.

Comme souvent, nous ne savons rien de ses premières années. Comme ses frères et sœurs, il a appris à lire et écrire. Le 2 mai 1825, il est appelé devant le conseil de révision de la classe 1824 du canton de Saint-Bonnet-en-Champsaur. Il est alors qualifié de cultivateur, à la Motte-en-Champsaur. Il est bon pour le service, mais comme il a tiré un numéro élevé, il est libéré du service militaire. On voit parfois sa signature comme témoin lors de mariages, comme celui de Paul Gaignaire et Rosalie Gentillon, à Bénévent-et-Charbillac, le 14 juillet 1831 où il accompagne le futur époux comme ami. Comme on le verra, ce lien amical entre les deux hommes se traduira près de trente ans plus tard par le mariage de leurs enfants Hippolyte Escalle fils et Zoé Gaignaire. Dans tous ces actes, il est toujours qualifié de cultivateur. Vivant chez ses parents, il exploite le domaine important de son père Joseph et de son oncle Pierre qui, lors de l'établissement du cadastre en 1837, possèdent à eux deux la surface, considérable pour la Motte-en-Champsaur, de 25,3 hectares. Ils sont les plus gros propriétaires du village, devançant de peu un autre Joseph Escalle, des Héritières, qui possède 23,6 hectares. Celui-ci est le cousin germain de Joseph et Pierre Escalle. Hippolyte Escalle lui-même a commencé à se créer un patrimoine personnel. En 1837, il possède une terre labourable et un taillis de 56 ares.

Hippolyte Escalle et la famille Robert, de l'Aulagnier, à Saint-Bonnet-en-Champsaur

Le 19 octobre 1835, son frère cadet Auguste, notaire à la Motte-en-Champsaur, se marie à Marseille avec Marie Joséphine Désirée Adèle Achard, qui appartient à une famille champsaurine de négociants, installée dans la cité phocéenne. Surtout, quelques jours auparavant, les parents d'Auguste lui donnent un quart de tous leurs biens, par contrat de mariage. Cet avantage accordé à un fils cadet, qui déroge par rapport aux règles en usage de favoriser le fils aîné, sera lourd de conséquence pour Hippolyte Escalle. Il est probable que la préférence donnée à ce fils, quatrième dans l'ordre de la fratrie, est ancienne. Ses parents et son oncle ont visiblement misé sur lui pour assurer la renommée du nom Escalle. Il a pu être notaire, faire un beau mariage et, maintenant, se retrouver favorisé dans les successions à venir. Pour Hippolyte Escalle, il est devenu clair qu'il n'aura qu'une faible part des biens considérables que possèdent ses parents et son oncle Pierre. Rappelons que ce dernier est un ancien prêtre, retiré à la Motte auprès de son frère Joseph, et resté célibataire. Si l'on applique les règles de partage égal entre frères et sœurs après avoir retiré le quart donné à Auguste, Hippolyte ne peut espérer qu'un peu plus de 3 hectares de terre, ce qui le situerait un peu en-dessous de la surface moyenne des propriétaires à la Motte (3,5 hectares). Comme souvent dans ces cas-là, les possibilités qui s'offrent à lui se restreignent. Soit il émigre comme son frère aîné parti s'installer à Lons-le-Saunier où il est allé rejoindre comme libraire ses cousins Gauthier, imprimeurs et libraires dans cette ville. Ce sera aussi le choix du cadet, Félix, qui s'installe à Marseille, d'où il partira vers 1850 pour San Francisco où il est décédé. Une autre possibilité est d'entrer dans les ordres, comme son frère Mamert. C'est une des voies classiques offertes aux cadets de fratrie. Mais, dans les années 1830, ce choix qui doit être fait dès l'enfance n'est plus envisageable. Il ne lui reste alors qu'une alternative : rester célibataire au service de son frère ou trouver une héritière et une famille dans laquelle il puisse entrer en gendre.

Vue générale de l'Aulagnier (Saint-Bonnet-en-Champsaur)

Le 7 décembre 1836, à trente-deux ans, Hippolyte Escalle épouse Mélanie Robert. Née au hameau de l'Aulagnier, à Saint-Bonnet-en-Champsaur, le 16 novembre 1814, elle est la fille unique de Joseph Robert et Anne Clavel. Elle a eu une sœur et un frère qui n'ont pas vécu. Sa mère est morte en 1820, alors qu'elle n'avait pas six ans. En 1836, elle habite avec son père à l'Aulagnier. Joseph Robert, parfois surnommé Pallon, appartient à une famille installée de longue date dans ce hameau. Il s'est partagé la maison familiale avec son frère Ferréol et il possède 8 hectares de terres autour du hameau. Au moment du mariage, lors du contrat passé devant Me Joubert, notaire au Noyer, un lointain cousin du marié par sa mère Rose Gauthier, les parents d'Hippolyte lui donnent 8 000 francs. Pour donner un ordre de grandeur de cette somme, à cette époque, le salaire annuel d'un instituteur était de 600 francs et celui d'un professeur, 1 400 francs. On constate donc que, malgré l'avantage accordé à son frère Auguste, les parents veillent à ce que leur fils, et plus généralement leurs enfants car ils auront la même somme, ne débute pas dans la vie sans un bon capital de départ. Quant à Joseph Robert, il donne le quart de ses biens à sa fille et elle-même se constitue en dot tous les biens mobiliers et immobiliers issus de la succession de sa mère. De fait, Mélanie Robert est assurée d'hériter de tous les biens de son père. Comme il sera dit plusieurs fois dans des actes notariés postérieurs, Hippolyte Escalle s'est affilié dans la maison Robert par son mariage. Il faut entendre le mot « maison » dans un sens beaucoup plus large que celui de bâtiment à usage d'habitation. Il s'agit presque d'un synonyme de lignée. On peut aussi l'envisager comme une maison commerciale dans le sens où Joseph Robert avec tous ses biens serait comme une entreprise à laquelle se serait associé Hippolyte Escalle en y apportant sa force de travail et du capital.

Le jeune couple a un premier enfant le 5 mars 1838. C'est un garçon. On lui donne comme premier prénom celui de son père, Hippolyte, et en second prénom, celui plus inhabituel de Séraphin, alors peu courant dans cette région. Quand il va à la mairie de Saint-Bonnet déclarer la naissance, le père est accompagné du grand-père, Joseph Robert, et d'un cousin Alexandre Clavel. Le rédacteur de l'acte, peu au fait de l'orthographe de ce second prénom, inscrit Céraphin.

Trois mois après la naissance de leur premier fils Hippolyte, le hameau de l’Aulagnier est détruit par un incendie. Le 4 mai 1838, à six heures du soir, « des étincelles échappées d’une cheminée où l’on faisait la lessive » tombent sur le toit de chaume d’une maison voisine qui s’embrase. En quelques heures, « les flammes, poussées par le vent du nord qui soufflait avec violence, se sont propagées avec la rapidité de l’éclair et n’ont pas donné le temps aux infortunés incendiés de rien leur soustraire. Provisions de tout genre, mobilier, outils aratoires, tout a été consumé. Plusieurs bestiaux n’ont pas pu même être sortis de l’étable et ont également péri. » Heureusement, il n’y a pas eu de victimes, mais trente-six des quarante-trois maisons du hameau ont brûlé.

Rapidement, dès le 18 mai, une aide de 4 000 francs est accordée par le ministère des Travaux publics, de l’Agriculture et du Commerce. À cette somme, s’ajoutent 350 francs qui résultent d’une quête faite par le vicaire de la commune, à Gap. Une commission est nommée à Saint-Bonnet, composée du maire Ollivier, du curé, de trois répartiteurs et de deux « notables » de l’Aulagnier. Elle établit une première liste de bénéficiaires, soumise à l’approbation du préfet le 4 juin et approuvée par lui le 15. Elle ne concerne que la moitié de la somme, soit 2 175 francs, qui ne doit être répartie qu’entre les « incendiés » qui ne sont ni assurés, ni « aisés », selon les instructions du préfet. En définitive, dix-neuf personnes se partagent cette somme. La liste est classé par ordre décroissant des montants des contributions (on dirait aujourd’hui des impôts). Hippolyte Escalle est le seizième de la liste, pour une perte évaluée à 875 francs (le montant moyen des pertes est de 1 575 francs). La commission lui attribue 50 francs.

Quelque mois plus tard, une deuxième liste est établie pour la seconde moitié de la somme. Cette fois-ci, seuls les propriétaires qui se sont engagés à recouvrir totalement leurs maisons soit en tuiles, soit en ardoises, sont éligibles à ce secours. En effet, avant l’incendie, comme dans tous les villages du Champsaur, les toits des maisons étaient en chaume. L’administration, consciente que c’est une des causes des incendies et de la rapide propagation des flammes, profite de l’occasion pour promouvoir des toitures moins inflammables. Afin d’être sûre que les propriétaires respectent leur engagement, la commission attend le 30 octobre, soit près de six mois après l’incendie, pour proposer cette liste au préfet qui l’approuve le 2 novembre. Cette fois-ci, la somme de 2 175 francs est partagée entre douze propriétaires. Hippolyte Escalle obtient un secours de 140 francs, soit, au total, 190 francs. Cette somme est très inférieure à celle de 486,50 francs obtenue par Joseph Boyer, pour une perte de 980 francs qui est proche de celle d’Hippolyte Escalle. La raison avancée par la commission est que, malgré un montant de contributions faible, celui-ci peut être assimilé à la catégorie des « aisés » en tant que gendre de Joseph Robert qui en fait partie.

Un secours supplémentaire de 300 francs est accordé sur les fonds de la préfecture pour les propriétaires assurés ou aisés qui recouvrent leurs maisons « en matière dure ». Une troisième liste de neuf noms est établie. Joseph Robert, qui n’apparaît pas dans les deux premières listes, n’est pas non plus bénéficiaire de cette aide spéciale. C’est que, probablement, il a jugé plus judicieux de mettre en avant son gendre Hippolyte Escalle, car celui-ci,  grâce à son faible montant de contributions, a pu bénéficier des aides des deux premières distributions. Ferréol Robert possède une maison mitoyenne à celle de son frère Joseph, probablement issue d’un partage entre eux. Il a quant à lui touché seulement 33 francs lors de la troisième distribution. Pour deux maisons similaires, les deux frères qui ont choisi d’abandonner le chaume ont reçu, l’un 33 francs, directement, l’autre 190 francs, par l’entremise de son gendre.

Le 17 novembre 1839, Hippolyte Escalle vend la seule terre qu'il possède en propre à la Motte-en-Champsaur, puis, le 19, il achète un bâtiment rural avec son jardin et deux parcelles d'un peu moins de 5 ares à l'Aulagnier. Après l'incendie de mai 1838, ce devait être une maison que le vendeur n'a pas reconstruite, ce qui explique son déclassement en bâtiment rural. En revanche, sur cette base, Hippolyte Escalle commence à se construire une maison qu'il fait recouvrir en tuiles, car il voulait sûrement en faire une habitation pour sa famille qui aurait été plus grande que la demi-maison possédée par son beau-père.

Emplacement des maisons Robert et Escalle, à l'Aulagnier

Maison Robert (au centre), à l'Aulagnier (vue actuelle)
La maison actuelle réunit les demi-maisons de Ferréol et Joseph Robert

Vue de l'arrière de la maison Escalle, à l'Aulagnier (vue actuelle)

Vue générale de l'Aulagnier (Saint-Bonnet-en-Champsaur) (détail)
1 : maison Robert, 2 : maison Escalle

Le retour à la Motte-en-Champsaur

Au vu de ces acquisitions, en cette fin d'année 1839, il est indubitable que l'intention d'Hippolyte Escalle est de faire désormais sa vie à l'Aulagnier, dans sa belle-famille. Pourtant, un événement que nous ne connaissons pas le fait changer d'orientation dans le courant de l'année 1840. Le 7 novembre 1840, lorsque leur naît un deuxième enfant, encore un garçon, prénommé Achille, Hippolyte Escalle et Mélanie Robert sont revenus à la Motte où il est qualifié de cultivateur et meunier. En 1841, lors du recensement quinquennal, Hippolyte Escalle, sa femme, leur fils Hippolyte et son beau-père Joseph Robert habitent désormais le moulin de la famille Escalle à la Motte-en-Champsaur. Est-ce un accord entre Hippolyte, ses parents et son frère par lequel ils s'entendent pour qu'il reprenne la gestion du moulin ? Je suis tenté de le penser, d'autant que la mort du père Joseph Escalle, en janvier 1840, a obligé à lui trouver un remplaçant et, dans la famille, seul Hippolyte est disponible pour cela. Pendant quelques années, ce retour à la Motte reste peut-être temporaire. Mais, dès 1844-1845, le tournant est pris de transformer ce provisoire en définitif. Le 2 février 1844, Joseph Robert et son gendre afferment l'ensemble des biens qu'ils possèdent à l'Aulagnier à partir de mars 1844, pour une durée de huit ans. Une des conditions du bail est le volume de semences à laisser à l'expiration des huit ans : 75 l. de blé froment, 2 hl. 75 l. de blé seigle et 5 kg de graines de trèfle. Si ces semences représentent entre 10 et 20 % de la récolte, cela donne une idée de la production attendue. Il faut aussi que 2 hectares 24 ares soient laissés moitié en pré nouveau, moitié en pré vieux, ensemencés tant en luzerne qu'en sainfoin. Au début de l'année 1845, Hippolyte Escalle habite toujours au moulin, mais cette période se termine. Le 8 décembre 1845, devant le notaire de la Motte, Charles Barthélemy, Joseph Gondre lui vend une maison dans le village, avec écurie, grange et cave, le tout couvert en chaume, avec une basse-cour, un jardin, un verger et un pré. Le même acte contient la cession de douze parcelles, essentiellement des labours, sur le territoire de la commune. Le prix convenu est de 3 000 francs. En cette fin d'année 1845, Hippolyte Escalle possède désormais presque 2 hectares et demi. Avec les terres de l'Aulagnier, la « maison » Robert-Escalle est à la tête d'un joli domaine de plus de 10 hectares, une maison à la Motte et deux maisons à L'Aulagnier, une partie étant exploitée directement par Joseph Robert et Hippolyte Escalle, une partie étant affermée.

Le moulin Escalle (au premier plan), dans lequel a vécu et travaillé Hippolyte Escalle entre 1840 et 1846

Quelques mois plus tard, lors du recensement de 1846, Hippolyte Escalle est qualifié pour la dernière fois de meunier. Ensuite, puisqu'il est propriétaire de sa maison et de ses terres, il se consacre uniquement à l'agriculture et à l'élevage et sera désormais uniquement qualifié de cultivateur ou de propriétaire cultivateur. Comme tous les cultivateurs du Champsaur à cette époque, Hippolyte Escalle pratique une polyculture vivrière, c’est-à-dire qu’il cultive d’abord pour assurer la consommation de sa famille, mais aussi pour dégager du surplus qu’il peut vendre lors des foires de Saint-Bonnet et probablement de Gap. Les grains trouvés lors de son inventaire après décès indiquent le type de culture céréalière qu’il pratique : avoine, seigle et blé méteil (mélange de blés dont du seigle et du froment et peut-être de l’orge). À côté de cela, l’autre activité est l’élevage de vaches et de moutons, sans que l’on en sache plus sur l’importance de son troupeau.  C’est d’ailleurs surtout cette deuxième activité qui fait l’objet de commerce. Les céréales, comme les produits du jardin et du verger, servent essentiellement à l’alimentation de la famille. Les qualifications des parcelles possédées sur le territoire de la Motte reflètent cette polyculture puisqu’on y trouve des labours, des terres arrosables, des prés et des pâtures, un jardin et un verger. L’importance de l’élevage se retrouve dans la taille des écuries qui représentent une part importante du volume de la maison. C’est aussi une des tâches des enfants de garder le troupeau familial. En 1851, dans le recensement, Malvina, âgée de dix ans, est qualifiée de bergère. Cette même année, le troupeau doit être important car la famille héberge en plus un berger de cinquante-huit ans, Jacques Gonsolin. En 1861, c’est une autre fille de la famille, Pauline, âgée de douze ans, qui est bergère alors que son frère, devenu chef de famille, est cultivateur. En 1846 ou 1861, Hippolyte Escalle et Mélanie Robert emploient aussi des domestiques, respectivement Joseph Blanchard, vingt-quatre ans, et Jean Gentillon, vingt ans. Pour terminer sur les activités de la famille, notons que dans le recensement de 1851, Mélanie Robert est dite buraliste, sans que l’on en sache plus. Quant à Hippolyte Escalle, il est aussi conseiller municipal de la commune (mentions en 1849 et 1853).

Hippolyte Escalle poursuit ses acquisitions de terres à la Motte. L'acte du 29 mars 1846 devant Me Barthélemy est emblématique de la circulation de l'argent et des terres au sein du village. Marianne Blanchard et son mari Vincent Boyer-Joly sont débiteurs d'une somme de 200 francs à payer à Dominique Sauret, selon un jugement rendu par le juge de paix du canton de Saint-Bonnet le 13 décembre 1842. Ce dernier cède cette créance à Paul Gaignaire le 19 mai 1843. Pour se faire payer, celui-ci trouve un acheteur pour une des parcelles possédées par les époux Boyer-Joly. Ce 29 mars 1846, Hippolyte Escalle achète à Marianne Blanchard et son mari Vincent Boyer-Joly une terre et broussailles au quartier du Vallon, dit Lachaup, pour 260 francs qui sont payés directement à Paul Gaignaire.

Le 16 février 1842, décède Pierre Escalle, oncle d'Hippolyte et d'Auguste. C'est une nouvelle étape dans l'histoire des propriétés Escalle à la Motte-en-Champsaur. Par son testament du 6 mars 1840, rédigé quelques semaines après le décès de son frère Joseph, Pierre Escalle nomme Auguste Escalle, son héritier universel, confortant la volonté exprimée par Joseph Escalle dans le contrat de mariage de 1835. Auguste Escalle devient le porteur du nom et l'enfant privilégié. Il est désormais l'unique propriétaire des biens Escalle à la Motte dont il se dessaisira peu à peu. Il doit cependant garantir à chacun de ses frères et sœurs une somme de 8 000 francs qui, dans le cas d'Hippolyte, représente la donation faite dans son contrat de mariage mais dont seulement 1 000 francs ont été payés. 

Le 27 avril 1847, Auguste Escalle, alors notaire à Gap, vend à Hippolyte Escalle et Joseph Robert une grande terre de 3,35 hectares, au lieu-dit Sarroutieu à la sortie de la Motte-en-Champsaur, en direction de Molines, dont il est désormais propriétaire. Ils se mettent d'accord sur le prix de 11 000 francs. Après déduction de la valeur d'une presse en fer qu'Hippolyte avait achetée pour le compte de son frère et la somme de 700 francs qu'Auguste Escalle doit à son frère, il reste dû 8 800 francs par le beau-père et le gendre vis-à-vis d'Auguste Escalle. Notons au passage qu'il n'y pas de compensation entre cette somme et celle de 8 000 francs que ce dernier doit garantir à  son frère Hippolyte selon le testament de Pierre Escalle. La presse en fer dont il est question dans cet acte est probablement une machine achetée par Hippolyte Escalle pour le moulin de la famille, d'autant que l'on sait que vers 1845 une écurie attenante à ce moulin est transformée en foulon. C'est probablement Hippolyte Escalle qui a conduit les travaux de transformation, pour lui-même ou pour le compte de son frère, et qui a donc acheté cette presse en fer qu’il a payée de ses deniers. La vente de 1847 permet de règle ce compte entre les frères.

Cette année 1847 est vraiment charnière pour la famille Escalle-Robert. En effet, un mois après cette acquisition, Joseph Robert et Hippolyte Escalle commencent à se dessaisir de leurs propriétés de Saint-Bonnet-en-Champsaur. Ce ne sont pas moins de huit actes de vente et un acte d'échange qui sont passés le 17 mai devant Me Barthélemy, notaire à la Motte-en-Champsaur. Parmi ces actes, se trouve la vente de la maison familiale Robert qui est cédée par Joseph Robert à son frère Ferréol qui rassemble ainsi que les deux parties en une seule maison. De même, Hippolyte Escalle échange avec sa tante, épouse de Ferréol Robert, et son cousin Jean Ferréol Robert, « un bâtiment de maison encore en construction couvert en tuiles qu'il possède à L'Aulagnier ». C'est ce bâtiment qu'il avait acheté en 1839 lorsqu'il voulait s'installer définitivement dans le hameau. Par la cession de ces deux maisons, de façon presque symbolique, Joseph Robert, son gendre Hippolyte Escalle et leur fille et femme Mélanie Robert marquent définitivement la rupture avec l'Aulagnier et leur installation à la Motte. Les prix de vente de ces terres et maisons permettront de payer en partie l'acquisition faite auprès d'Auguste Escalle. Les dernières terres et une maison acquise lors de l'échange de 1847 seront cédées dans les années suivantes, jusqu'à la dernière vente du 27 juillet 1854, après le décès de Joseph Robert. À cette date, ils ne posséderont plus aucune propriété à Saint-Bonnet-en-Champsaur.

Dès le mois de novembre 1847, quatre des acheteurs de l'Aulagnier règlent tout ou partie de leurs acquisitions directement à Auguste Escalle en règlement de l'achat de la terre de Sarroutieu. À cette date, il reste dû, avec les intérêts, 4 706 francs sur les 11 000 francs.

Le 11 août 1851, dans la maison d'Hippolyte Escalle, devant le notaire Charles Barthélemy, Auguste Escalle règle une partie des legs que Pierre Escalle avait stipulés dans son testament. Ce jour-là, sont aussi présentes leurs deux sœurs Rose Escalle et Virginie Escalle, « assistées et autorisées », selon la formule consacrée, par leurs maris respectifs Joseph Escalle, propriétaire cultivateur, aux Héritières, et Jean Louis Gallissian, propriétaire et directeur du bureau de diligences de MM. Aubert père et fils, demeurant à Marseille. Ce jour, Auguste Escalle remet la somme de 7 000 francs à son frère Hippolyte, solde des 8 000 francs qui lui ont été donnés lors de son mariage. Comme on le détaillera plus loin, il semble qu'à ce moment-là, la situation financière d'Hippolyte Escalle et Mélanie Robert devait déjà être dégradée. Il aurait paru logique que cette somme permette de solder l'acquisition de 1847. Il n'en a rien été, probablement parce que le couple a besoin de cet argent.

Joseph Robert qui a vécu continûment auprès de sa fille et de son gendre à la Motte depuis 1840 décède le 31 mai 1852 à soixante-neuf ans.

La maison Escalle à la Motte-en-Champsaur

La maison des Escalle à la Motte, acquise en 1845, suit le plan typique des maisons de cette région. Les deux caractéristiques les plus importantes sont la stricte séparation entre la partie d'habitation et celle pour les bêtes et le développement en longueur de ces différentes parties. Cette seconde caractéristique avait l'avantage de pouvoir agrandir la maison par les deux extrémités, celle de la maison proprement dite et celle des bâtiments agricoles. Ainsi, certaines maisons du Champsaur ont jusqu'à quarante mètres de long. Celle des Escalle mesurait à peu près vingt-sept mètres de long, dont onze mètres pour la partie habitable. Nous la décrivons telle qu'elle devait être en 1845, c'est à dire avant les travaux réalisés en 1910.

Maison Escalle, à la Motte-en-Champsaur (vers 1995)

La partie habitable ne comportait alors qu'un seul étage. La porte d'entrée était entourée d'un encadrement particulièrement soigné qui représentait le seul ornement. Il s'agit d'une construction en pierre de taille qui reprend les modèles classiques avec deux fausses colonnes surmontées de chapiteaux qui soutiennent un entablement classique sur lequel a été gravée la date 1838 qui correspond aux travaux réalisés par le vendeur de la maison, Joseph Gondre. Cet encadrement de porte est typique des améliorations apportées à cette époque aux façades qui leur donnaient une apparence de maison bourgeoise.

La pièce principale est la cuisine de six mètres sur six dans laquelle on entre dès que l'on franchit la porte d'entrée. C'est la seule pièce chauffée de la maison. C'est le lieu principal de vie de la famille. Selon une tradition bien établie, le lit des parents est toujours dans un coin, avec son ciel et ses rideaux qui l'isolent. Au fond de la cuisine, une porte permet d'entrer dans la cave construite sur toute la longueur de la maison. À côté de la cuisine, se trouve une autre pièce, appelée le « Poêle », sans chauffage, où dorment les autres membres de la famille. Ainsi toute la vie de la famille se déroule dans ces cinquante-quatre mètres carrés. Nous verrons qu'il existe une autre pièce dans le grenier, sans communication avec la maison, où peuvent éventuellement dormir des enfants. Mais la vie de tous les jours se déroule dans les deux pièces du bas.

Les bâtiments agricoles (écurie et grenier) n'avaient pas de communication avec la maison, mais faisaient corps avec elle. Dans le prolongement, nous rencontrons d'abord une grande écurie, appelée écurie des vaches, d'à peu près six mètres sur dix, avec, en son centre, un pilier sur lequel s'appuie la voûte qui la couvre. C'est encore une caractéristique de beaucoup de maison du Champsaur. Au fond de cette écurie, se trouve aussi une cave qui est le prolongement de celle qui est derrière la cuisine. Enfin, au bout du bâtiment, nous trouvons une petite écurie, dite écurie des moutons. L'ensemble du bâtiment, c'est à dire la maison d'habitation et les écuries, est surmonté d'un grenier selon le terme utilisé. Il s'agit, dans une terminologie plus moderne, de la grange où l'on garde le foin. Cette grange s’ouvre par une grande porte sur la rue principale de la Motte. Au fond de la grange, au-dessus de la chambre, se trouve une pièce voûtée et basse de plafond où l'on garde le grain dans des armoires spéciales. Elle peut aussi faire office de chambre à coucher, de chambre ménagère pour les denrées plus délicates et de lieu de rangement.

Les communications entre les différentes parties de la maison se font par l'extérieur. Pour aller à l'écurie, il faut sortir de la maison, en affrontant les rigueurs du temps. Pour descendre le foin aux bêtes, il faut monter par l'escalier à double rampe qui se trouve sur la façade de la maison. Cet escalier est protégé par l'avancée du toit. Nous voyons que ces maisons, bien qu'en pays de montagne, obligeaient à sortir fréquemment par tous les temps.

Sous l'escalier, se trouve une fontaine qui sert d'alimentation en eau. Sur toute la longueur du bâtiment, il y a une cour où se trouvent la basse-cour et les lieux d'aisance. Puis en contrebas, en descendant vers la rivière, il y a d'abord un jardin potager pour la consommation de la famille, un verger et un pré. La maison tourne le dos au village puisque sa façade principale donne au sud. Sur l'arrière, passe la rue principale de la Motte. Comme le village est construit sur une pente, la partie arrière de la maison est enterrée. De la route, on ne voit qu'une façade aveugle, avec une entrée de plein pied sur la grange.

En 1910, la maison est surélevée d'un mètre pour créer un étage de plus dans la partie d'habitation. Le plan et le dessin ci-dessous sont des essais de restitution de l'aspect de la maison des Escalle avant 1910. Ils se basent sur les descriptions et sur des plans conservés dans un dossier sur les travaux de surélévation.

Jean-Hippolyte Gondre (1801-1859), fils de Joseph Gondre, est né dans cette maison que son père a vendue à Hippolyte Escalle. Connu sous le nom de frère Polycarpe, il est le second fondateur d'une congrégation éducative, les Frères du Sacré-Cœur. En 1984, il est déclaré vénérable par Jean-Paul II.

Vues de la maison Escalle, extraite d'une biographie du frère Polycarpe


Partie arrière de la maison Escalle donnant sur la rue principale de la Motte-en-Champsaur.
On distingue la plaque commémorative placée sur la maison en l'honneur du frère Polycarpe.

Décès et succession d'Hippolyte Escalle

Hippolyte Escalle et Mélanie Robert ont eu six enfants, dont quatre ont vécu. Seul l'aîné est né à l'Aulagnier. Tous les autres sont nés à la Motte-en-Champsaur :

  • Hippolyte Séraphin, né le 5 mars 1838.
  • Achille, né le 7 novembre 1840 et mort le 6 décembre 1840.
  • Marie Malvina, née le 10 novembre 1841.
  • Adrien, né le 30 septembre 1843 et mort le 12 février 1845.
  • Léonie, née le 4 décembre 1846.
  • Pauline Joséphine, né le 9 mai 1849. 

Hippolyte Escalle décède à la Motte-en-Champsaur le 4 octobre 1858, à cinquante-quatre ans. Sa femme Mélanie a alors quarante-trois ans. Il laisse quatre enfants encore jeunes : Hippolyte, vingt ans, Malvina, seize ans, Léonie, onze ans et Pauline, neuf ans. Quelques jours après le décès, le 25 octobre, Mélanie Robert réunit un conseil de famille devant le juge de paix du canton de Saint-Bonnet. Si, par le décès de son mari, elle est devenue la tutrice légale de ses enfants, il est nécessaire de nommer un subrogé tuteur. Le conseil désigne un cousin germain de leur père, Jean Escalle, propriétaire cultivateur aux Astiers, un hameau de Bénévent-et-Charbillac. Et, comme il était de coutume lorsqu'il y avait des enfants mineurs, Mélanie Robert fait inventorier les biens de son défunt mari. Le 6 novembre, Me Désiré Joubert, notaire à Saint-Bonnet, celui-là même qui avait rédigé leur contrat de mariage, vient au domicile de la famille à la Motte, accompagné de deux propriétaires, François Blanchard et Jean Gras, qui font la prisée du mobilier. Souvent, les inventaires après décès sont l'occasion d'entrer dans l'intimité d'un foyer. Dans le cas d'Hippolyte Escalle, il s'avère que la majorité des biens mobiliers du ménage appartient à Mélanie Robert. Comme il est dit dans l'acte, elle « observe que tous les objets mobiliers, outils aratoires, capitaux de bestiaux et meubles meublants qui garnissent sa maison d’habitation et qui n’ont pas été décrits lui appartiennent en propre comme dépendant de ses reprises dotales ou comme les ayant recueillis dans la succession de Joseph Robert, son père, dont elle est seule habile à se dire héritière et attendu que ledit feu Escalle, son mari, s’était affilié dans la maison Robert à L’Aulagnier et que postérieurement tout le mobilier garnissant leurs bâtiments de l’Aulagnier a été apporté à la Motte. » En définitive, les quelques meubles et objets inventoriés sont :

  • Dans la première pièce, une garde-robe [armoire] en bois de noyer à deux portes fermant à clé, une petite garde-robe en bois dur, à deux parties avec un tiroir qui les sépare, une vieille table en bois blanc, une balance et un poids, un vieux coffre en bois blanc.
  • Dans la pièce appelée « Poêle », un vase en terre de la capacité de soixante litres.
  • Au grenier, un hectolitre d’avoine, cinq hectolitres de blé méteil, cinq hectolitres de blé seigle.
  • Dans l’écurie, deux vaches hors d’âge.

Dans une des armoires, se trouvent ses habits : « vingt chemises toile de ménage, un pantalon, une veste, un gilet, un chapeau, deux paires de souliers, un bonnet et cinq mouchoirs de poche ». Comme nous l'enseignent les nombreux inventaires consultés, les garde-robes des cultivateurs des Hautes-Alpes étaient souvent très modestes. Il est probable qu'il possédait un deuxième pantalon et une deuxième veste avec lesquels il a été enterré. Ce qui nous étonne toujours est l'absence d'habits chauds, indispensables pour se couvrir en hiver. Comme se protégeaient-ils du froid ? Mystère. En définitive, ce modeste patrimoine contenu dans les deux pièces de la maison, le grenier et l'étable est estimé à 246 francs, dont 180 francs pour les deux vaches et 20 francs pour son habillement. En ce début d'hiver où les récoltes ont été engrangées quelques mois plus tôt, la famille dispose de cinq cents litres de grain pour faire la jonction avec l'année suivante. 

La déclaration de succession d'Hippolyte Escalle estime l'ensemble de ses biens à 3 000 francs, ce qui en fait un très modeste héritage. Même si cette valeur déclarée au fisc est visiblement sous-estimée (il aurait au moins fallu lui compter un tiers de la propriété de Sarroutieu), elle donne un premier aperçu de la modestie du patrimoine d'Hippolyte Escalle après une vie de labeur et ce, malgré l'association avec son beau-père Joseph Robert et le legs important de ses parents et de son oncle. Certes, Hippolyte Escalle est propriétaire de presque 7 hectares de terres et d'une maison, ce qui est une surface conséquente pour la Motte, mais il a des dettes, comme nous le verrons. En regard, la déclaration de succession de son frère Auguste, mort quelques semaines avant lui, à Gap, le 15 septembre 1858, ne fait que renforcer le sentiment d'une profonde inégalité entre les deux frères, voire d'une forme d'injustice. Les possessions d'Auguste Escalle à la Motte, qu'il a héritées de ses parents et de son oncle, représentent plus de 18 hectares de terre, avec un moulin et une maison, dont la valeur totale est estimée à plus de 30 000 francs, soit dix fois plus que son frère. Le Code Napoléon a institué la règle du partage égal entre frères et sœurs. Les stratégies mises en œuvre par les parents Joseph Escalle et Rose Gauthier et l'oncle Pierre Escalle pour contourner cette règle ont clairement fonctionné au profit d'Auguste Escalle. Elles ont d'autant mieux fonctionné qu'elles ont été acceptées par les frères et sœurs, comme si le choix des parents de favoriser le fils Auguste, aussi injuste que cela puisse paraître, ne pouvait être remis en cause, et encore moins attaqué en justice. Pourtant, du strict point de vue du droit, cela aurait été possible.

En mai 1857, Auguste Escalle renouvelle l'hypothèque sur la vente de la terre de Sarroutieu, probablement parce qu'il s'inquiète du règlement du solde de 2 160 francs, encore dû à cette date. On sait par ailleurs qu'après son décès, son fils Hippolyte règlera encore des dettes, pour un montant total de 4 280 francs, dont 2 268 francs à Pomponne de Labastie, en règlement du solde de Sarroutieu (il est probable qu'Auguste Escalle était débiteur auprès de cet ancien vice-président du tribunal de Gap).

Tous ces chiffres mettent en évidence que la situation patrimoniale et financière d'Hippolyte Escalle et de sa femme étaient fortement dégradée. Une synthèse des opérations d'achats et de ventes est la suivante :

  • Solde net de la vente du domaine de Saint-Bonnet : 12 043 francs.
  • Solde net des acquisitions à la Motte-en-Champsaur : 13 120 francs.
  • Écart : - 1 077 francs.

Cet écart aurait dû être très largement couvert par la donation de 8 000 francs qu'Hippolyte Escalle a touché en deux fois, 1 000 francs en 1836 et 7 000 francs en 1851. Malgré cela, au moment de son décès, il devait plus de 4 000 francs, comme on vient de le voir. C'est la preuve que son activité de cultivateur ne lui a non seulement pas permis de gagner de l'argent, mais s'est révélé déficitaire. Derrière la sécheresse de ces chiffres, il y a sûrement des drames humains, peut-être la maladie, la malchance, des mauvais choix, des aléas dans la gestion du domaine - mauvaises récoltes, maladies du bétail, calamités météorologiques, etc. - que nous ne connaissons pas.

Après le décès de son mari, Mélanie Robert, avec ses quatre enfants jeunes, prend en charge la gestion du domaine, avec l'aide de son fils Hippolyte, malgré son jeune âge. Très vite, cinq mois après le décès de son père, la fille aînée Malvina se marie à Marseille avec Casimir Salignon. Elle n'a que dix-sept ans. Comme nous le détaillons dans l'article qui lui est consacré (cliquez-ici), ce mariage rapide et loin de la Motte s'explique sûrement par la situation difficile de la jeune veuve. En effet, au vu de sa situation financière, Mélanie Robert ne peut pas marier sa fille avec un dot, comme c'était alors l'usage. En 1861, lors du recensement, la maison de la Motte est habitée par Mélanie Robert, veuve Escalle, son fils Hippolyte et seulement la dernière fille, Pauline, qualifiée de bergère. Malvina est mariée à Marseille et Léonie, absente, est probablement placée. Ils sont aidés par un domestique de vingt ans, Jean Gentillon.

Hippolyte Escalle fils, vingt-trois ans, se marie le 19 juin 1861 avec Zoé Gaignaire, âgée de vingt-et-un ans. Tous les deux enfants de la Motte, leurs pères respectifs sont des amis, puisque le 14 juillet 1831, le jour où Paul Gaignaire, le père de Zoé, se marie, il est accompagné par Hippolyte Escalle père. Surtout, ce mariage permet de rétablir en partie la situation financière de la famille Escalle. À la différence de son ami Escalle, Paul Gaignaire s'est avéré un gestionnaire avisé qui a su se constituer patiemment un patrimoine conséquent. Le jour du mariage de sa fille, il est capable de lui donner 4 000 francs qui sont payés immédiatement. Quant à Mélanie Robert, en accord avec les usages du temps, elle choisit de favoriser son seul fils Hippolyte qui, par son mariage, devient le chef de famille. Elle lui donne le quart de tous ses biens par préciput (on dirait aujourd'hui hors-part-successorale). Autrement dit, sur l'ensemble des biens qu'elle laissera à son décès, un quart reviendra à son fils, avant le partage des trois autres quarts entre lui et ses sœurs. C'est une clause très traditionnelle et qui, de plus, ne nécessite pas de débourser la moindre somme d'argent, car il s'agit d'un droit à venir. Dans sa situation, Mélanie Robert ne pouvait guère faire mieux.

Comme on l'a vu, Hippolyte Escalle se charge de solder certaines dettes de son père, en utilisant en partie l'argent de la dot. Dès le 21 juillet 1861, il rembourse une première dette de 716 francs à son cousin germain Félix Escalle. Le 13 novembre, il paye une somme 2 268 francs à M. de Labastie, de Gap. En définitive, entre juillet 1861 et octobre 1866, il règlera 4 280 francs de dettes laissées par son père à son décès. Il engage aussi quelques travaux à la maison dont on a gardé la trace :

  • Mur de devant de l’écurie, en 1859 : 140 francs.
  • Loge à cochon, en 1860 : 30 francs.
  • Mur de la basse-cour, en 1861 : 60 francs.
  • Crépissage des écuries : 10 francs.
  • Porte de la grange (non valorisée).

Lors du recensement de 1866, la maison familiale de la Motte n'abrite qu'Hippolyte Escalle, sa femme Zoé, leurs trois premiers enfants, Hippolyte, Léonie et Auguste et un jeune domestique de seize ans. Où se trouve Mélanie Robert ? On peut penser qu'elle est partie du village avec sa fille cadette Pauline, pour rejoindre sa fille aînée Malvina, séparée de son mari, qui vivait alors à Marseille. Ce n'est qu'une hypothèse.

Le 3 mai 1868, Hippolyte Escalle fils meurt à l'âge de trente ans. Selon ce que m'a rapporté ma grand-mère, il a voulu rattraper un cheval qui s'était emballé et a été entraîné dans un canal de la Motte, d'où il en est résulté un « chaud et froid » dont il est mort. Très rapidement, la famille décide de procéder au règlement des successions d'Hippolyte Escalle père et fils. Il est fort probable que Zoé Gaignaire, conseillée et aidée par son frère Paul Gaignaire, notaire à Gap, n'a pas voulu rester dans une situation d'indivision qui aurait pu nuire aux intérêts de ses enfants. De la même manière que le père de Zoé, deux ans plus tard, veillera à ce que ses biens soient équitablement répartis entre ses enfants dans un testament très précis, Zoé Gaignaire, veuve Escalle, a voulu que la situation soit la plus claire possible. Peut-être y avait-il de sa part une certaine défiance vis-à-vis de sa belle-mère. Sur ce point, l'avenir lui donnera raison. Sa dot a servi à payer les dettes, et donc à préserver le patrimoine foncier de la famille Escalle qui, sans cela, aurait pu être saisi. En demandant le règlement des successions, Zoé Gaignaire s'assure ainsi que sa dot - ou plutôt sa valeur en biens fonciers - sera préservée et ne risquera pas d'être « mangée » par de nouvelles dettes. À l'occasion de ce partage, il est d'ailleurs noté que « les biens ont été administrés soit par la veuve soit par Hypolite [sic] Escalle, fils aîné, en bon père de famille et de ce chef les parties n'ont aucune réclamation à se faire. »

Avec l'aide de deux amis, Isidore Pascal et Joseph Escalle, propriétaires à la Motte, ils arrivent à un accord entre eux. La masse totale des biens qui est essentiellement constituée de terres et de la maison de la Motte est estimée à 19 325 francs. En surface, cela représente 6 ha. 81 a. 10 ca. Dans cette somme et ces propriétés, il y a aussi bien la part d'Hippolyte Escalle père que celle de Mélanie Robert qu'elle a héritée de son père Joseph Robert. La difficulté de ce partage est d'estimer la part venant de ce dernier puisque, à un moment donné, les patrimoines du beau-père et du gendre ont fini par se confondre. En définitive, les parties se mettent d'accord pour que la part de Mélanie Robert soit évaluée à 10 000 francs, ce qui est cohérent avec le chiffre de 12 043 francs correspondant au total des prix de vente du domaine de Saint-Bonnet qui appartenait en propre à Joseph Robert. Il résulte de cela que la masse à partager entre les quatre enfants est de 9 325 francs. C'est à ce moment-là qu'interviennent les dettes payées par Hippolyte Escalle fils auxquelles sont ajoutés les montants de travaux et d'autres sommes payées par lui en particulier pour l'augmentation du cheptel. En définitive, 5 080 francs doivent être restitués aux enfants d'Hippolyte Escalle fils. Il reste alors 4 245 francs à partager entre les quatre enfants d'Hippolyte Escalle et Mélanie Robert, soit 1 061 francs par enfant. Comme il faut aussi ajouter la donation du quart des biens de Mélanie Robert à son fils par son contrat de mariage, il résulte de tout cela que le partage doit être :

  • Mélanie Robert : 7 500 francs (10 000 francs moins un quart donné à son fils).
  • Les enfants d'Hippolyte Escalle fils, représentés par leur mère Zoé Gaignaire : 8 641 francs (1 061 + 5 080 + 2 500 francs).
  • Malvina, Léonie et Pauline Escalle : 1 061 francs chacune.

Comme on le constate, Zoé Gaignaire, visiblement aussi avisée que son père et son frère, a su défendre les intérêts de ses enfants lors de ce partage. Son frère Paul l'a bien aidée, comme le prouve une note de sa main dans laquelle il détaille les contenus et les attributions de chacun des lots (voir ci-dessous). 

Il est donc fait deux lots de l'ensemble des biens qui sont ensuite tirés au sort. Sur ces lots, doivent être distraites des parcelles qui permettent de constituer les parts des trois filles. Selon un usage constant, même si cela peut paraître surprenant, la maison est coupée en deux parties, pour chacun des lots. Nous l'avons déjà vu lors du partage de la maison Robert de l'Aulagnier entre les deux frères Joseph et Ferréol où chacun avait la moitié de la maison. La première partie de la maison est constituée de « la pièce appelée Le Poêle, la cuisine avec la plus grande partie de la cave au fond et la moitié de l'écurie des vaches séparée du restant par un mur mitoyen établi à frais communs sur le pilier du milieu, lequel mur prolongé au nord séparera les caves, prolongé au midi séparera les cours, et élevé dans le grenier en le surmontant d'une cloison en planches séparera les deux greniers à foin. » La seconde partie de la maison comprend « la moitié de l'écurie des vaches, l'écurie des moutons avec la partie correspondante de la cour, de la cave et du grenier. » Dans le prolongement, le jardin et le verger qui se trouvent en-dessous de la maison sont aussi partagés en deux. Dans le tirage au sort, c'est Zoé Gaignaire, pour ses enfants, qui reçoit la première partie et Mélanie Robert la seconde. Ensuite, il est prévu qu'il sera fait « deux lots égaux des capitaux, outils aratoires et autres immeubles par destination ». Malheureusement nous aurions aimé connaître le détail du cheptel, mais l'acte n'entre pas dans ces détails. Enfin, Zoé Gaignaire garde son mobilier et sa belle-mère lui donne quelques meubles pour lui tenir lieu de la part lui revenant dans la succession du père Escalle : 

  • 1° un lit en bois blanc garni de deux paillasses, deux draps de lit, un traversin, et une couverture en Indienne piquée.
  • 2° un placard en noyer à deux portes et un tiroir.
  • 3° quatre autres draps de lit.
  • 4° le petit chaudron de lessive.
  • 5° un pétrin avec son couvercle qui sera désigné par les experts et divers objets de cuisine qui seront désignés par les experts.

Ainsi, trois mois après le décès de son mari, Zoé Gaignaire s'est assurée pour ses enfants la propriété d'un petit domaine de 3 ha. à la Motte et d'une maison. Dans les 8 641 francs qui représentent la valeur de cette propriété, elle retrouve la part de sa dot qui a servi à payer les dettes. En digne fille de son père, elle n'aura de cesse d'agrandir peu à peu ce domaine pour constituer, au fils qui prendra la suite, une surface suffisante pour pouvoir vivre.

Décès de Mélanie Robert

En juin 1868, Mélanie Robert se retrouve ainsi seule à la tête d'un petit domaine et d'une moitié de maison. Elle peut alors envisager de marier sa deuxième fille à un homme qui, à défaut de toucher une dot, pourra disposer d'un domaine à cultiver. C'est ainsi que, un an plus tard, le 16 juin 1869, Léonie Escalle, âgée de vingt-deux ans épouse à la Motte Auguste Servel, âgé de vingt-neuf ans, originaire de Lallée, à Saint-Jacques-en-Valgaudemar. Fils cadet d'un cultivateur, il est bien venu pour lui de trouver une situation alors que, selon les usages de l'époque, c'est son frère aîné, Joseph, qui assure la succession du père dans le domaine familial de Lallée. Au moment de son mariage, Auguste Servel arrive sans aucun bien à la Motte. Il assure l'exploitation des terres de sa belle-mère qui comprennent aussi les lots échus lors du partage à sa femme Léonie et à ses deux sœurs Malvina et Pauline, soit 3 ha. 65 a. au total. C'est ainsi qu'en 1872, lors du recensement, les deux ménages, celui de Zoé Gaignaire, veuve Escalle et ses quatre enfants, et celui d'Auguste Servel, sa femme, ses enfants et sa belle-mère sont recensés dans leurs maisons respectives qui se font suite. 

Cette situation ne durera pas. La part de maison échue à Mélanie Robert risque vite de devenir trop petite, d'autant que les enfants se succèdent rapidement dans le ménage d'Auguste Servel et Léonie Escalle. En 1876, ils ont déjà six enfants lorsqu'ils achètent une autre maison à la Motte où ils s'installent rapidement et où ils seront recensés dès l'automne de cette année-là.

Le 2 octobre 1876, Mélanie Robert, veuve Escalle, décède à la Motte-en-Champsaur, à l'âge de soixante-et-un ans. C'est son gendre chez qui elle doit désormais habiter, qui va déclarer le décès. Une semaine auparavant, le 25 septembre, elle était chez Me Désiré Joubert, notaire à Saint-Bonnet, pour signer une obligation de 800 francs auprès d'un de ses voisins de la Motte-en-Champsaur, Joseph Eymard-Dauphin. Elle s'engage à le rembourser dans le délai d'un an et, comme garantie, elle hypothèque tous ses biens. Son décès ne lui permet pas d'honorer son engagement et aucun de ses héritiers ne semble disposer à le faire. Le 22 novembre 1879, un huissier se présente à la Motte et un autre à Nice pour notifier cette obligation. Comme cette notification n'a aucun effet, les biens de Mélanie Robert font l'objet d'une saisie immobilière et par un jugement rendu par le tribunal de première instance de Gap le 7 avril 1880, l'adjudication est fixée au 12 mai 1880. La situation familiale en 1879 explique que chacun des héritiers ait jugé plus pertinent de laisser faire la justice plutôt que de régler cette dette. Dans une certaine mesure, cette saisie est l'occasion de procéder au partage de la succession, à défaut de pouvoir le faire de façon amiable entre les héritiers. Ce qui était possible en 1868, ne l'est plus en 1879. En effet, la situation de la famille est la suivante :

  • Zoé Gaignaire, veuve Escalle, habite alors à Gap avec ses quatre enfants.
  • Malvina Escalle est décédée depuis 1873. Elle est représentée par sa fille Marie Salignon, âgée de dix-huit ans, qui est sous la tutelle de son père Casimir Salignon qui tient une brasserie à Nice. La question du partage de quelques parcelles et d'une dette à payer doit être loin des préoccupations du père et de la fille, d'autant que les enjeux financiers sont faibles.
  • Léonie Escalle, épouse Servel, est la seule à être restée à la Motte. Elle est probablement la plus intéressée à un règlement d'autant qu'avec son mari, ils continuent à cultiver le domaine de Mélanie Robert, même s'ils sont aussi aubergistes. Malheureusement, leur situation financière semble difficile.
  • Pauline Escalle, épouse Bornaque, vit alors à Alger. On semble ne plus avoir de contact avec elle depuis longtemps. Dans tous les actes, elles est dite domiciliée à la Motte-en-Champsaur, alors que cela fait plus de dix ans qu'elle en est partie. Dans ces conditions, il est difficile de régler une succession, en plus grevée d'une lourde dette, avec une héritière disparue.

L'ensemble des biens de Mélanie Robert est donc mis aux enchères le 12 mai 1880 en six lots. Zoé Gaignaire, par son avoué Me Clément Faure, se porte acquéreur de quatre lots, dont le sixième qui contient la seconde partie de la maison. Elle profite de cette vente pour réunir les deux parties de la maison, du jardin et du verger, scindées depuis 1868. Le quatrième lot, une pâture de 36 ares, lui est adjugé pour 300 francs. Son beau-frère Auguste Servel fait une surenchère quelques jours plus tard. Lors de l'adjudication sur surenchère du 9 juin 1880, elle persiste dans son souhait de l'acquérir et monte jusqu'à 450 francs, en ne laissant aucune chance à son beau-frère. Au total, après surenchère, le total des lots est adjugé pour 6 705 francs, dont 2 255 francs pour Zoé Gaignaire.

Affiche d'annonce de la vente sur saisie immobilière du 12 mai 1880

Les sommes résultant des adjudications permettent de règle l'obligation auprès de Joseph Eymard-Dauphin, ainsi que d'autres dettes, plus minimes, contractées auprès de Paul Gaignaire, frère de Zoé Gaignaire, le 29 juin 1869, et François Eyraud, le 29 septembre 1872. On comprend mieux les précautions prises par Zoé Gaignaire en 1868. En veillant à ce que les biens soient partagés à ce moment-là, elle se prémunissait contre le risque de saisie sur les biens indivis avec sa belle-mère et ses belles-sœurs, à cause de ces dettes récurrentes. En définitive, après règlement des créanciers, chacun des héritiers de Mélanie Robert reçoit 1 210 francs. C'est d'ailleurs à ce moment-là, au début de l'année 1881 que le contact est renoué avec Pauline Escalle, épouse Bornaque qui vit alors dans la Casbah d'Alger.

Généalogie synthétique de la famille Escalle-Robert

Cette généalogie synthétique permet de constater que, déjà du vivant de Mélanie Robert, veuve Escalle, deux des filles ont quitté la Motte-en-Champsaur de façon définitive avec des descendances à Vichy, pour Malvina, et l'Algérie, pour Pauline. La fille Léonie, épouse Servel, est restée à la Motte-en-Champsaur, mais dès la génération suivante, dans les années 1890-1900, huit de leurs neuf enfants sont partis, soit à Nîmes, pour les trois filles, soit en Californie, pour les cinq garçons. En 1900, seule leur fille aînée, Sylvie Servel, épouse Pérénon vit encore à la Motte, mais, après son décès en 1905, son fils unique quitte définitivement le village entre 1911 et 1915. En définitive, c'est la famille du fils aîné et unique, Hippolyte, qui est restée le plus longtemps au village, avec deux de ses enfants, Auguste, qui poursuit l'exploitation du domaine Escalle, et Léonie. Après le décès d'Auguste en 1915, puis le décès de Zoé Gaignaire, veuve d'Hippolyte Escalle, en 1918, seule Léonie reste au village, dans la maison Escalle, jusqu'à son décès en 1950. Après cette date, il n'y a plus de descendants d'Hippolyte Escalle et Mélanie Robert à la Motte-en-Champsaur et plus généralement dans le Champsaur.

Liens vers les articles consacrés à chacun des enfants d'Hippolyte Escalle et Mélanie Robert et leurs descendances :

Lien vers la généalogie d'Hippolyte Escalle et Mélanie Robert et de leur descendance : cliquez-ici.

Vue de la Motte-en-Champsaur. La maison Escalle est la dernière sur la gauche.
Autres photos de la Motte-en-Champsaur : Mémoire du Champsaur

Histoires des propriétés d'Hippolyte Escalle et Joseph Robert

Document à télécharger : Histoire des propriétés de Joseph Robert, à l'Aulagnier (Saint-Bonnet-en-Champsaur).

Ce premier document concerne les propriétés de Joseph Robert, à l'Aulagnier, à Saint-Bonnet-en-Champsaur. La base de départ est l'ensemble des biens qu'il possède lors de l'établissement du cadastre en 1837 (folio 520 de la matrice cadastrale). Le seul mouvement en entrée est l'achat par Hippolyte Escalle (mis sous la cote de Joseph Robert) d'un bâtiment rural et de trois parcelles en novembre 1839. Ensuite, pour chacune des parcelles/bâtiments, le document donne la référence de l'acte par lequel Joseph Robert, Hippolyte Escalle ou les deux solidairement se sont dessaisis de ces biens.

En synthèse, Joseph Robert possède, au moment de l’établissement du cadastre, des propriétés d'une surface totale de 8 ha. 00 a. 30 ca. Après l’acquisition du 19 novembre 1839, la surface maximale possédée par Joseph Robert et son gendre Hippolyte Escalle est de 8 ha. 07 a. 35 ca.

Document à télécharger : Histoire des propriétés d'Hippolyte Escalle, à la Motte-en-Champsaur

Ce document contient d'abord l'historique du seul bien possédé par Hippolyte Escalle au moment de l'établissement du cadastre de la Motte-en-Champsaur (1837) avec la référence de l'acte par lequel il s'en est dessaisi.

Le deuxième tableau contient l'ensemble des biens acquis soit par Hippolyte Escalle seul, soit solidairement avec son beau-père Joseph Robert, entre 1844 et 1857 avec les références des actes d'acquisition. Lors du partage de 1868, les documents précis conservés permettent d'identifier les destinataires de chaque bien : Mélanie Robert, Vve Escalle, les enfants d'Hippolyte Escalle, représentés par leur mère et tutrice Zoé Gaignaire, Vve Escalle, Malvina, Léonie et Pauline Escalle. Une note manuscrite conservée dans les papiers de famille détaille ces attributions :

Note signée P.G. [Paul Gaignaire], du 9 juin 1876 :
« Se servir de cette note pour rectifier les erreurs de mutation au passage du contrôleur »

Comme l'indique la note manuscrite, les cotes cadastrales ne reflètent pas les clauses du partage. Seules deux cotes, au lieu de cinq, sont créées en 1868 : Mélanie Robert, veuve Hippolyte Escalle (folio 336) et Zoé Gaignaire, veuve Hippolyte Escalle (folio 332). Les parcelles attribuées aux trois filles se retrouvent sous la cote de leur mère. En 1873, Auguste Servel fait le nécessaire pour qu'une cote soit créée en son nom et que les parcelles attribuées en 1868 à son épouse lui soient désormais affectées. Enfin, après le règlement judiciaire de la dette de Mélanie Robert, en 1880, les biens sous son nom sont transférés soit aux acheteurs lors de l'adjudication, soit aux attributaires du partage de 1868 lorsque cela n'avait pas été fait ou que des erreurs s'étaient glissées. En définitive, dans le document, la colonne « Attribution effective » contient le propriétaire effectif de la parcelle tel que l'on peut les identifier à la suite du partage de 1868, de l'adjudication de 1880 et des transferts sur les différentes cotes cadastrales au moment de l'adjudication. Cela permet de constater que Léone Escalle se retrouve avec des parcelles supplémentaires, comme Zoé Gaignaire pour elle-même et ses enfants. La cote cadastrale de Marie Salignon, a une parcelle près, reflète le partage. Ce sont les biens qu'elle vendra en 1891. En revanche, Pauline Escalle ne sera jamais mise en possession de la partie de parcelle du domaine de Sarroutieu à laquelle elle avait droit, ce qui représente un préjudice de 1 060 francs, dont elle semble n'avoir jamais eu connaissance.

En synthèse, Hippolyte Escalle possède à son décès, en 1858 : 6 ha. 81 a. 10 ca.

Après le partage, chacun des copartageants possède effectivement :

  • Les enfants d’Hippolyte Escalle : 3 ha. 15 a. 49 ca. et la moitié de la maison.
  • Mélanie Robert, Vve Escalle : 1 ha. 80 a. 55 ca. et l'autre moitié de la maison.
  • Léonie Escalle : 1 ha. 09 a.
  • Malvina Escalle et ensuite sa fille Marie Salignon : 76 a. 06 ca.

Comme on l'a vu, les biens de Mélanie Robert et de ses filles ont été exploités par son gendre Auguste Servel qui, avant l'adjudication de 1880, dispose donc de 3 ha. 65 a. 61 ca.

Lors de l'adjudication judiciaire des biens de Mélanie Robert, en 1880, puis de l'adjudication volontaire des biens de Marie Salignon, en 1891, Zoé Gaignaire achète plusieurs lots. Avec ce que possèdent déjà ses enfants, elle dispose donc de 4 ha. 57 a. 85 ca. de l'ancien domaine de son beau-père Hippolyte Escalle et de la maison en totalité.

mercredi 3 septembre 2025

Pauline Escalle (1849-1919), ép. Jean Pierre Bornaque et Henri Dupré, et sa descendance

Le 4 octobre 1858, Hippolyte Escalle [56] meurt à La Motte-en-Champsaur, à l'âge de cinquante-quatre ans. Il laisse une veuve, Mélanie Robert, âgée de quarante-trois ans et quatre enfants, l'aîné et unique fils, Hippolyte [28], vingt ans, Malvina, seize ans, Léonie, onze ans et Pauline, neuf ans. Il laisse surtout une situation patrimoniale dégradée (voir l'article). Dès le mois de mars 1859, la fille aînée se marie à Marseille. Sa vie se passera désormais loin de La Motte-en-Champsaur. Pauline Escalle, la cadette n'a que neuf ans. C'est son histoire et celle de sa descendance que nous allons dérouler dans cet article.

Pauline Escalle (1849-1919), ép. Bornaque et Dupré

En 1861, lors du premier recensement après le décès de son père, Pauline est une jeune bergère de douze ans, avec sa mère et son frère Hippolyte qui cultive le domaine avec un domestique. Après le mariage d'Hippolyte, en 1861, qui est devenu de ce fait le chef de famille, sa mère Mélanie Robert, veuve Escalle et ses deux sœurs Pauline et Léonie ont quitté La Motte-en-Champsaur et la maison familiale. Elles sont absentes du recensement de 1866. Sont-elles allées à Marseille rejoindre Malvina, leur fille et sœur, qui vit désormais séparée de son mari Casimir Salignon parti pour Nice ? C'est probable, même si nous n'avons aucune preuve de cela. En 1872, la mère, Mélanie Robert, veuve Escalle, est revenue à La Motte, sans sa fille Pauline. qui n'apparaîtra plus jamais au village. Peut-être celle-ci a-t-elle considéré qu'elle n'avait pas d'avenir à La Motte-en-Champsaur. Comme ses sœurs, elle ne peut guère espérer de dot, donc de partis avantageux au village ou au pays. Sa sœur Léonie a épousé en 1869 Auguste Servel qui vient occuper une partie de la maison familiale et cultiver le domaine de sa belle-mère. Pauline n'a donc pas non plus cet « atout » pour trouver un éventuel mari au pays. Puis, autour d'elle, elle voit tellement de jeunes gens et jeunes filles tenter leur chance, soit en Amérique, soit à Marseille, soit en Algérie. Peut-être se dit-elle : « Pourquoi pas moi, plutôt que de rester au village sans avenir ? »

On retrouve la trace de Pauline Escalle le 24 août 1870 à l'hôpital civil de Constantine où elle donne le jour à une petite fille, Marie Eugénie, qui est déclarée et reconnue par son père, Jean Pierre Bornaque. La mère vient d'avoir vingt-et-un ans et le père vingt-six. Ils vivent ensemble route du Bardo, à Constantine mais ne sont pas mariés. Il est marchand de chiffons, originaire de Toulouse où il est né le 25 mai 1844. Elle est domestique. Le recensement militaire de la classe 1864 nous apprend que Jean Pierre Bornaque (appelé Bournaque dans ce document) était déjà en Algérie en 1864 comme chiffonnier, à Blida. Son degré d'instruction est « 0 », ce qui signifie qu'il ne sait ni lire, ni écrire. Dans les faits, lors de la naissance de sa fille et dans les quelques actes où il apparaît, il sait au moins signer son nom, certes de façon maladroite.

Signatures de Jean Pierre Bornaque et Pauline Escalle
lors de leur mariage (1874)


Quant à Pauline Escalle, on peut penser qu'elle a rejoint l'Algérie depuis Marseille, peut-être en même temps et conjointement avec sa sœur Malvina, vers 1868 ou 1869. Cette première enfant meurt quelques mois plus tard, à Philippeville, le 2 mai 1871, à l'âge de huit mois. Aujourd'hui Skikda, Philippeville est une ville côtière, à une petite centaine de kilomètres au nord de Constantine. Peut-être que le métier de marchand de Jean Pierre Bornaque le conduit à souvent changer de domicile. En effet, en décembre 1871, ils habitent désormais à Alger, à plus de quatre cents kilomètres à l'est de Philippeville. C'est là que Pauline Escalle donne naissance à sa seconde fille, Madeleine Noëli (sans « e », dans l'acte de naissance), le 20 décembre 1871, au domicile du couple, 4, rue des Mulets, à Alger. Ils ne sont toujours pas mariés, mais Jean Pierre Bornaque reconnaît cette enfant. Il est désormais papetier et elle couturière.

Le 11 juillet 1874, après plus de quatre années de vie commune, ce qui est très inhabituel à l'époque, Jean Pierre Bornaque et Pauline Escalle régularisent leur situation. Ils habitent désormais à Blida, une ville à une quarantaine de kilomètres au sud d'Alger, où il avait vécu jeune homme. Il est toujours marchand de chiffons, installé dans les faubourgs de la ville, hors la porte Kobourg. Quant à Pauline, elle est désormais dite sans profession. Sa mère Mélanie Robert, veuve Escalle, a donné son consentement par un acte en brevet devant Me Jouglard, à Gap, le 20 juin 1874. Le jour de leur mariage, ils légitiment leur fille Madeleine Noëli. À notre connaissance, ils n'ont pas eu d'autres enfants. Les lacunes dans l'état civil d'Algérie qui a été conservé ne permettent pas toujours d'en avoir la certitude. Il est cependant avéré que seule Madeleine a eu une descendance comme on le verra. Sa fiche matricule nous informe qu'en février 1877, Jean Pierre Bornaque change une nouvelle fois de domicile et s'installe à  Médéa, puis en septembre de la même année, il revient à Alger. Le 11 mars 1881, ils se rendent chez Me Brice, notaire, à Alger, pour donner une procuration dans le cadre de la succession de la mère de Pauline, Mélanie Robert, veuve Escalle. Ils habitent alors à Alger, 45, rue de la Casbah. Il est toujours marchand de chiffons.

L'entrée de la Casbah d'Alger, photo de Félix Jacques Antoine Moulin (1802-1879), vers 1856-1857

Pourtant, Jean Pierre Bornaque déclare encore un changement de domicile, en mai 1882, pour Bône. Ces fréquents déménagements en Algérie expliquent probablement que lors du règlement judiciaire de la succession de Mélanie Robert, veuve Escalle, qui débute en 1879, personne ne semble savoir où vit Pauline Escalle, ni même qu'elle est mariée. Dans tous les actes, elle est alors domiciliée à La Motte-en-Champsaur, ce qui est manifestement faux. Lorsque Me Jean André Matheron, huissier de justice à Saint-Bonnet, se rend le 23 décembre 1880 à La Motte-en-Champsaur pour lui signifier le jugement d'adjudication des biens de sa mère et lui en remettre une copie, c'est sa belle-sœur Zoé Gaignaire, veuve Escalle qui réceptionne le document qui est toujours dans les archives familiales. Visiblement, il ne lui est jamais parvenu. 

Signification du jugement d'adjudication, du 23 décembre 1880, par l'huissier Jean André Matheron,
à destination de Pauline Escalle, mais réceptionnée et conservée par sa belle-sœur Zoé Gaignaire

Ce n'est que quelques mois plus tard, en mars 1881 comme on l'a vu, qu'elle se manifeste ou qu'on la retrouve, ce qui lui permet de toucher en février 1882 la modeste somme de 1 209,83 francs, dont 430 francs de sa belle-sœur. Si on remonte dans le temps, un autre oubli s'est fait à son détriment. Lors du partage des biens indivis de son père Hippolyte et de son frère Hippolyte, en mai 1868, on lui attribue une parcelle formée par le douzième de la contenance cultivée de Sarroutieu, à La Motte, d'une valeur estimée de 1 061 francs qui représente sa part dans la succession de son père. En réalité, le cadastre ne prendra jamais en compte ce transfert de propriété, qui sera oublié. Lors de la succession judiciaire de sa mère, cette parcelle sera comprise dans les terres saisies et ne lui sera jamais attribuée ou restituée. Mineure, âgée de dix-neuf ans lors du partage de 1868, elle vivait soit à Marseille, soit déjà en Algérie et peut-être n'a-t-elle jamais eu connaissance de cette attribution. Et probablement que personne ne le lui a rappelé en 1879, d'autant plus qu'on ne savait pas (ou on ne voulait pas savoir), où elle se trouvait. En définitive, les 1 200 francs et quelques qu'elle touche en février 1882 représentent tout ce qu'elle reçoit en héritage de ses parents, alors que la valeur de leurs biens à La Motte-en-Champsaur avait été estimée à 19 000 francs en 1868.

Sur cette carte de l'Algérie, ont été reportés les principales villes habitées par Jean Pierre Bornaque et Pauline Escalle depuis le début de leur vie commune, faisant ainsi apparaître une certaine instabilité jusqu'à leur installation à Blida et sa région probablement dans les années 1890

Entre 1882 et 1899, nous perdons la trace de Jean-Pierre Bornaque et Pauline Escalle. À une date inconnue, ils se séparent sans que, manifestement, ils le formalisent par un divorce, pourtant autorisé depuis 1884. La complexité et le coût de la procédure étaient tels que de nombreux couples préféraient vivre chacun de leur côté, plutôt que d'officialiser une séparation, surtout lorsqu'il n'y avait aucun bien à se partager, ce qui était leur cas. En 1899, Jean-Pierre Bornaque habite de nouveau à Blida, comme journalier. Le 26 octobre, il se rend devant l'officier public de l'état civil pour donner son consentement au mariage de sa fille. Visiblement, il ne souhaite pas être présent à la cérémonie ou on ne souhaite pas sa présence, car, en dépit des quinze kilomètres qui séparent les deux communes, il n'a pas fait le déplacement à Boufarik le jour des noces, le 9 décembre 1899. Ensuite, on perd totalement sa trace. On sait seulement qu'il est décédé avant 1912. Au même moment, Pauline Escalle habite avec sa fille unique à Boufarik. Le jour du mariage, parmi les témoins, on relève le nom d'Henri Dupré, âgé de trente-neuf ans, horticulteur à Boufarik. Avant de poursuivre notre récit, revenons sur cet homme dont le destin a été intimement lié à celui de Pauline Escalle et de sa famille pendant quelques décennies.

Henri Dupré (1861-1932), horticulteur-pépiniériste à Boufarik

Henri Dupré est né à Aumale le 28 mars 1861. Sa mère est originaire de Toulouse, son père, Élie Cyrille Dupré, originaire de Valloire en Savoie, est d'abord employé des subsistances militaires, à Aumale (1850-1853), puis, après un court séjour en France, à Toulouse (1854-1855), puis Bordeaux (1857), il revient s'installer à Aumale vers 1860 où il gère un hôtel tout en étant pâtissier. Une lettre écrite au journal Akhbar, le 20 octobre 1867, montre un bon niveau d'instruction et d'éducation et un esprit entreprenant et plein d'initiative (cliquez-ici). On retrouvera ces traits de caractère chez ses enfants Henri et Baptistine.

Akhbar, journal de l'Algérie, du 26 juin 1864

Akhbar, journal de l'Algérie, du 27 décembre 1867

Henri Dupré perd son père en 1869, puis sa mère en 1874. Orphelin à l'âge de treize ans, on ne sait rien de sa vie jusqu'en 1895. Si ses frères Léon et Joseph sont devenus horlogers après le décès de leurs parents, lui devient horticulteur. Il est déjà membre de la Société d’Horticulture d’Alger en 1895, alors qu'il travaille chez Émile Vuillard, à Boufarik. Dès 1898, il semble être désormais son propre patron, toujours à Boufarik. Depuis cette date jusqu'en 1928, son nom apparaît régulièrement dans la presse coloniale, que ce soit pour des annonces commerciales, que pour les prix et récompenses qu'il reçoit comme une médaille d'or en 1898, lors du concours agricole de Boufarik.

La Dépêche algérienne, du 2 novembre 1908

En avril 1909, il devient président de « La Lyre Boufarikoise », une société chorale fondée en 1907 pour propager le goût de la musique vocale. Comme le rapporte La Dépêche algérienne, du 18 juillet 1909 : « Jeudi soir, M. Dupré Henri, président de la « Lyre Boufarikoise », en l’honneur de la remise du drapeau et de la St-Henri, sa fête, offrait, dans le grand hall de son établissement horticole, un lunch aux sociétaires de la « Lyre » et au « Club Gymnastique ». […] Pendant toute la soirée, la plus franche gaîté n’a cessé de régner et chansonnettes, monologues, etc., se succédaient sans interruption et salués de salves d’applaudissements. […] La soirée s’est terminée par le chœur « Ruisseau et Berger », chanté admirablement par la « Lyre », qui a été très applaudie. » À cette occasion, il offre une baguette en ébène et argent au chef de la chorale, M. Gérin. Cette anecdote montre qu'il était une personnalité reconnue et appréciée de la communauté boufarikoise.

Quelles étaient les relations entre Henri Dupré et Pauline Escalle, épouse Bornaque, en 1899 ? Nul ne le sait, mais il est fort probable qu'ils sont déjà proches, voire qu'ils vivent maritalement ensemble, rue Kléber, qui sera l'adresse de la famille durant toutes ces années. 

Boufarik, rue Kléber (aujourd'hui, rue Cherchali Boualem)

C'est aussi à Boufarik que certains des neveux et nièces de Pauline Escalle, enfants de sa sœur Léonie Escalle, épouse Servel, décédée en 1883, viennent vivre comme nous l'avons vu. De façon certaine, c'est Ernest Servel, jardinier, qui réside en Algérie dès 1894, puis, qui, après son service militaire, est domicilié à Boufarik, rue Kléber, où il travaille probablement pour Henri Dupré. Il fera presque partie de la famille jusqu'à son départ pour les États-Unis en 1904. Son nom sera régulièrement cité dans les avis de décès jusqu'à celui de son oncle par alliance Henri Dupré, en 1932. Ses deux autres frères, Arthur et Léon Servel, habitent aussi à Boufarik, le premier en 1897, comme jardinier et cocher, et le second, en 1900, comme forgeron. Ils partiront aussi aux États-Unis. Les trois sœurs Servel, Léonie, Adrienne et Marie, toutes les trois entrées en religion à Nîmes, respectivement sous les noms de sœur Fabia, sœur Auréa et sœur Saint-Yves, ont gardé des liens avec leur famille de Boufarik. Elles seront aussi régulièrement citées dans les avis de décès jusqu'en 1932, comme leur frère Ernest.

Généalogie simplifiée de Pauline Escalle et de sa descendance

Maurice Fenet (1871-1920) et Madeleine Bornaque (1871-1912)

À une date inconnue après le décès de Jean Pierre Bornaque, Pauline Escalle se marie avec Henri Dupré, comme le prouve son avis de décès. Mais avant cela, revenons à Madeleine Bornaque, la fille unique de Jean Pierre Bornaque et Pauline Escalle. Elle se marie donc le 9 décembre 1899, à Boufarik, avec Ernest Maurice Fenet, dont le prénom d'usage est Maurice. Elle a déjà vingt-sept ans, presque vingt-huit. Il a quelques mois de plus, car il vient de fêter ses vingt-huit ans. Il appartient à une famille de colons cultivateurs installée à Mahelma, une commune à une quinzaine de kilomètres au nord de Boufarik, en direction d'Alger. Après son mariage, il vient s'installer dans la famille de son épouse, rue Kléber, où ils vivent lors de la naissance de leurs trois filles. Une première enfant leur naît, en 1901, qu'ils prénomment Élise Henriette. Il est probable que le second prénom est un hommage à Henri Dupré, peut-être le parrain de cette fille. Elle décède à l'âge d'un an, le 21 septembre 1901. Lorsque Madeleine Bornaque donne naissance à une deuxième fille, le 4 mai 1902, ils la prénomment Élise Henriette… Après quelques années, leur naît une troisième fille, Jeanne Adrienne, le 21 août 1907.

Maurice Fenet est probablement destiné à succéder à son beau-père par alliance Henri Dupré. Cette annonce de 1904 montre qu'il fait déjà commerce de plantes :

La Dépêche algérienne, du 16 décembre 1904

Dans les actes d'état civil de ses filles (1901-1907), il est qualifié de cultivateur ou de jardinier. Il apparaît aussi dans différents concours comme greffeur, à Boufarik (1906, 1907, 1908). En 1912, il perd son épouse Madeleine Bornaque, qui décède le 15 novembre, à l'âge de quarante ans. Après ce décès, il reste vivre auprès de sa belle-mère et du mari de celle-ci (en 1912, Jean Pierre Bornaque étant décédé, il est probable que Pauline Escalle et Henri Dupré ont régularisé leur situation, même si l'acte n'est pas disponible dans les archives numérisées). Dès 1912 et jusqu'en 1920, Maurice Fenet est régulièrement qualifié d'horticulteur. Les décès se succèdent dans la famille, à la maison Dupré, de la rue Kléber. Sept ans après sa fille, Pauline Escalle meurt, le 15 octobre 1919, à l'âge de soixante-dix ans. Son avis de décès qui est aujourd'hui la seule preuve de son mariage avec Henri Dupré, donne un état de la famille à cette date. 

La Dépêche algérienne, du 16 octobre 1919

Comme il se doit, cet avis cite d'abord son mari, Henri Dupré, puis son gendre, Maurice Fenet, et ses deux petites-filles Élise et Jeanne Fenet, ses trois nièces Servel, filles de sa sœur Léonie, mais ne cite aucun des fils Servel. La liste se poursuit par son neveu par alliance, Maurice Dupré (1894-?) et la mère de celui-ci, donc la belle-sœur de Pauline Escalle, Jeanne Alzina (1871-1948), veuve de Joseph Dupré (1863-?), frère d'Henri. La liste se poursuit par plusieurs membres de la famille Fenet, qui, a priori, n'ont pas de liens de parenté ni avec les Dupré, ni avec Pauline Escalle. Cette proximité entre les familles Dupré et Fenet explique peut-être le mariage de Madeleine Bornaque avec Maurice Fenet. Enfin, la dernière famille citée, les Kremmer, là-aussi sans lien de parenté avéré, doit être suffisamment proche car Georges Kremmer, employé au chemin de fer, à Mustapha a été le témoin de Madeleine Bornaque lors de son mariage en 1899.

La Dépêche algérienne, du 25 novembre 1919

La vie de Pauline Escalle peut se résumer en trois grandes périodes. La première, courte, est sa vie à La Motte-en-Champsaur comme fille de cultivatrice et bergère, qui se termine vers 1864-1864. Ensuite vient la période qui débute par son départ de La Motte et son installation en Algérie. Durant ces années, sa relation puis son mariage avec Jean Pierre Bornaque, les nombreux changements de domicile, probablement une situation financière assez précaire, peut-être un mari que l'on pressent instable, ont fait de cette période de sa vie une des plus mouvementées. Ensuite, probablement dans le courant des années 1890, elle se fixe à Boufarik, se marie à nouveau avec un homme dont la situation est plus stable et plus prospère, elle peut offrir une situation à sa fille. Son avis de décès et l'avis de remerciement dans leur formalisme un peu convenu, illustrent une fin de vie plus apaisée et rangée.

Carte d'Alger et de Blida où ont été reportées les communes habitées par Henri Dupré, Pauline Escalle, leurs familles et leurs descendances à partir des années 1890 jusqu'à la fin de l'Algérie française. Pour donner l'échelle, la distance entre Blida et Alger est d'une quarantaine de kilomètres

Son gendre Maurice Fenet ne lui survit guère car il décède à son tour le 13 décembre 1920, à Douéra, à l'âge de quarante-neuf ans. Son avis de décès paru dans la presse le qualifie bien d'horticulteur. Mais avant de détailler ce document, il faut revenir à Henri Dupré. En effet, quelques mois après le décès de son épouse Pauline Escalle, il se remarie à Boufarik le 10 juillet 1920 avec Victorine Chapelet et reconnaît le fils qu'elle a eu à l'âge de dix-sept ans, Maurice Chapelet, qui devient donc Maurice Dupré. Ce dernier aurait pour père biologique un certain lieutenant Petreau (ou Pedreau, l'orthographe n'est pas certaine) selon un de ses petits-fils. Pourquoi Henri Dupré, alors âgé de cinquante-neuf ans, épouse une fille-mère de vingt-trois ans dont il reconnaît le fils qui n'est pas de lui ? Mystère. Il s'allie ainsi avec une famille Farcetti, de Douéra qui comptera dans la suite de l'histoire de la descendance de Pauline Escalle. En effet, la mère de Victorine Chapelet, Thérèse Chapelet, a épousé à une date inconnue François Farcetti, un colon d'origine italienne dont elle a eu quatre enfants : Joseph, dit Albert, né en 1899, Odile (ou Odyle), Norbert et Marceau. Là-aussi, la vie de Thérèse Chapelet n'est pas exempte d'irrégularités. Mariée en 1891 à vingt-et-un ans à un meunier de L'Arba, Henri Rideler, elle se retrouve veuve deux ans plus tard en novembre 1893. Elle donne naissance à sa fille Victorine en février 1897, puis se met en ménage avec un mineur ou carrier italien illettré François Farcetti. L'acte de naissance d'Odile, le 19 septembre 1902, à Douéra, précise qu'ils ne sont pas mariés. Dans celui de Norbert, le 21 décembre 1904, à Draria, ils semblent être mariés. Pourtant, lors de la naissance de son petit-fils Maurice à Blida en 1914, fils naturel de sa fille Victorine, elle est appelée et elle signe veuve Rideler. En 1920, lors du décès de Maurice Fenet, François Farcetti et Thérèse Chapelet sont néanmoins présentés comme un couple légitime. Ce n'est peut-être qu'une impression, mais, par comparaison avec les situations vécues dans les villages d'origine, je pense évidemment à La Motte-en-Champsaur, ces vies heurtées semblent avoir été plus courantes dans les colonies, peut-être parce que l'encadrement, en particulier religieux et familial, et la pression sociale étaient moindres qu'en métropole.

Revenons à l'avis de décès de Maurice Fenet :

La Dépêche algérienne, du 15 décembre 1920

Comme on le constate, après ses deux filles et son frère Xavier et sa famille, viennent la famille Dupré (son beau-père par alliance), puis ses cousins germains par alliance, les Servel, les trois sœurs en religion à Nîmes, et Léon Servel, de Riverside (Californie). Enfin, après la famille de son oncle Édouard Fenet, est citée la famille Farcetti qui lui est liée par l'entremise d'Henri Dupré. Ce lien qui n'existe alors que par un jeu d'alliances devient plus fort par le mariage de sa fille aînée, Élise, désormais orpheline de père et de mère, avec le fils aîné de François Farcetti et Thérèse Chapelet, Joseph Forcetti (autrement connu sous les prénom et nom d'Albert Farcetti, nous en reparlerons). Le 15 janvier 1921, un mois après le décès du père, Joseph Forcetti  épouse à Boufarik Élise Fenet. Ils ont respectivement vingt-et-un et dix-huit ans. Leurs témoins sont Henri Dupré et son épouse Victorine Dupré. Henri Dupré est le grand-père par alliance d'Élise Fenet, par son mariage avec Pauline Escalle et Victorine Dupré, née Chapelet, est la demi-sœur de Joseph Forcetti. Mais on peut tout aussi bien dire qu'Henri Dupré est le beau-frère de Joseph Forcetti et Victorine Dupré est la grand-mère par alliance d'Élise Fenet.

Lien entre Albert Farcetti (Joseph Forcetti) et Élise Fenet

Le jour de son mariage Joseph Forcetti/Albert Farcetti est dit horticulteur à Boufarik, même s'il est domicilié de droit avec ses parents, à Douéra. Henri Dupré qui avait fait venir auprès de lui son gendre par alliance Maurice Fenet, le remplace par son petit-fils par alliance (et beau-frère) après le décès de ce dernier.

Le 28 avril 1928, Henri Dupré et son épouse Victorine Chapelet achètent un fonds de commerce de café, débit de boissons et restaurant, connu sous le nom de « Café de la Croix de Malte », à Alger, à l'angle du n° 27 de la rue d’Isly et du n° 8 de la rue Joinville. À partir de cette date, ils se sont installés à Alger, même s'ils revendent ce café, devenu la « Taverne Nicolas », dès juillet 1929. Henri Dupré décède à Alger le 16 janvier 1932 à soixante-dix ans. Il est toujours qualifié d'horticulteur-pépiniériste et est inhumé à Boufarik, là où il a passé la plus grande partie de sa vie et où il s'est consacré au métier qui l'a fait connaître. Nous n'avons pas trouvé d'information sur un éventuel successeur et d'ailleurs, les dernières mentions de son activité dans la presse correspondent à la date de sa venue à Alger.

La Dépêche algérienne, du 17 janvier 1932

On notera, comme un discret rappel de ses liens avec la famille Escalle, la présence dans cet avis des sœurs Servel, de Nîmes (au singulier, comme si l'on avait oublié qu'elles étaient trois) et d'Ernest Servel, à Los Angeles, les neveux de sa première épouse.

Albert Farcetti (1899-1968) et Élise Fenet (1902-1964)

Le nom de famille de François Farcetti, le père de Joseph, devait être à l'origine Falcetti. C'est d'ailleurs sous cette orthographe qu'ont été enregistrés ses enfants Odile, en 1902, et Norbert, en 1904. Comme il ne savait pas signer, nous ne pouvons pas savoir quelle orthographe il aurait eu l'usage d'utiliser.  Dans les documents que l'on retrouve comme les avis de décès ou les mentions dans la presse, la forme la plus couramment utilisée est Farcetti. En revanche, tous les enfants du fils aîné Joseph ont été enregistrés avec l'orthographe Forcetti. Il semble bien que ce soit la forme fautive utilisée dans son propre acte de naissance qui se soit imposée. Cela expliquerait que son acte de mariage ait été rédigé avec le nom de Forcetti et que sa fiche matricule militaire, initialement sous le nom de Farcetti, ait été corrigée en Forcetti au vu de son acte de naissance comme le prouve une note manuscrite. La généalogie est parfois une science compliquée. Les enfants Forcetti ont un grand-père qui s'appelle Farcetti, un père qui s'appelle Farcetti, mais qui est connu à l'état civil comme Forcetti, et une cousine germaine, fille de Norbert, Falcetti… Enfin, pour compliquer encore un peu plus, Joseph Farcetti/Forcetti avait l'habitude de se prénommer Albert, alors que seul Joseph était son prénom de naissance. Nous parlerons désormais d'Albert Farcetti et d'Élise Fenet. Mais, comme rien n'est vraiment simple, qui est la mère d'Albert Farcetti ? Lors de son mariage, il est dit de mère non dénommée. On en déduit que lors de sa naissance, seul son père l'a reconnu et qu'il n'a jamais été reconnu par sa mère. Pourtant, il devait considérer que Thérèse Chapelet était sa mère puisque son nom apparaît sur sa fiche matricule. Et dans tous les avis de décès, elle est bien considérée comme sa mère. Là encore, pourquoi ne l'a-t-elle pas reconnu à la naissance ? Mystère.

Comme pour illustrer notre propos, les avis de décès des parents d'Albert Farcetti/Joseph Forcetti utilisent exclusivement l'orthographe Farcetti.

La Dépêche algérienne, du 23 septembre 1935


La Dépêche algérienne, du 15 mars 1938

Comme on l'a vu, au moment de son mariage, Albert Farcetti est horticulteur à Boufarik. Il semble avoir exercé cette activité jusque vers 1926. Une annonce parue dans La Dépêche algérienne, du 18 avril 1926 propose des « pins d’Alep en pots extra-beaux à vendre » chez M. Farcetti, rue Kléber, à Boufarik. Un an plus tard, en juin 1927, il est qualifié d'entrepreneur de transports, toujours à Boufarik. Si l'on rapproche ce changement d'activité du départ d'Henri Dupré pour Alger, en 1928, lors de l'achat du café avec son épouse, on peut supposer que la maison d'horticulture d'Henri Dupré a disparu vers 1927 ou 1928.

Désormais, Albert Farcetti sera entrepreneur de transports, non sans quelques déconvenues. Le 5 septembre 1930, installé à la Pointe-Pescade (Saint-Eugène), il est déclaré en faillite. En 1933, il habite Kouba (le 23 mai 1933, il donne « un coup de volant malheureux », selon L'Écho d'Alger), en 1934, il est chauffeur au service du Comptoir nord-africain, à Alger (le 12 avril 1934, il écrase neuf moutons !). En 1934, il habite au Caroubier, à Hussein-Dey lorsqu'il est de nouveau déclaré en faillite, puis remis à la tête de ses affaires. La faillite de son entreprise de transports est pourtant confirmée le 3 avril 1936. Parmi les autres mentions, on le retrouve toujours entrepreneur de transports, à Alger, 17, rue des Villas, en 1948 et 1950.

Albert Farcetti et Élise Fenet ont eu sept enfants, Robert, Mireille (1924), Mauricette (1926), Colette (1929), Roger, Jacki (1935) et Claude (1942) qui, comme on l'a vu, se sont tous nommés Forcetti. L'aîné est décédé le 23 novembre 1929. L'avis utilise bien entendu l'orthographe en usage dans la famille : 

La Dépêche algérienne, du 24 novembre 1929

On notera que si les cousins Servel sont bien cités, leur nom est malencontreusement orthographié Cervelle !

Au moment du rapatriement d'Algérie, la famille Farcetti/Forcetti s'est installée à Lunel, entre Montpellier et Nîmes. C'est là que sont décédés Élise Fenet et Albert Farcetti (toujours Joseph Forcetti pour l'état civil), respectivement le 8 juin 1964, à soixante-deux ans, et le 29 novembre 1968, à soixante-neuf ans. Aujourd'hui, ils sont encore représentés par une descendance nombreuse, dont une bonne partie est toujours présente à Lunel et dans la région, en particulier à Saint-Just, Buzignargues et La Grande-Motte, à l'exception d'une branche installée à Saint-Priest, près de Lyon. Fidèle à la tradition automobile et mécanique inaugurée par le grand-père Albert Farcetti, un de ses petits-fils dirige toujours un garage, à Lunel Viel, le Garage des Trois-Ponts.

Gabriel Molinas (1904-1964) et Jeanne Fenet (1907-2004)

Comme sa sœur, Jeanne Fenet, la deuxième fille de Maurice Fenet et Madeleine Bornaque est restée dans la famille d'Henri Dupré, à Boufarik, après le décès de ses parents. D'après un de leurs descendants, « après la mort de ses parents, elle et sa sœur ont été élevées par Henri Dupré, le pépiniériste. Elle était exploitée et quand elle s'en est aperçue, on lui a présenté la personne avec qui elle s'est mariée quelques mois plus tard. » Il s'agit de Gabriel Molinas, né le 15 juillet 1904, à Perrégaux, dans la province d'Oran. Au moment de son mariage, il est forgeron à Zemmora. Ils se marient à Boufarik le 19 août 1926. Il a vingt-deux ans et son épouse dix-huit ans. Les témoins sont Henri Dupré, alors qualifié de propriétaire à Boufarik, et  Élise Fenet, épouse de Joseph Forcetti, sans profession, à Boufarik (elle signe Elise Farcetti). Si le jeune couple semble s'être d'abord installé à Zemmora (c'est là qu'est né leur premier fils, Gabriel, en 1927), ils se sont ensuite installés à Pointe-Pescade, à Saint-Eugène, dans la banlieue d'Alger où sont nés les cinq autres enfants : Andrée (1931), Renée (1933), un enfant mort-né (1941), Mauricette (1943) et Arlette (1946). Gabriel Molinas y est toujours forgeron (1931), puis, plus tard, il travaillera comme chef mineur, à la cimenterie Lafarge de Rivet, près d'Alger (1934).

Au moment du rapatriement, la famille Molinas s'installe au Beausset, dans le Var, près de Toulon. C'est là qu'habite Gabriel Molinas lorsqu'il décède à l'hôpital de Toulon, le 30 décembre 1964 à soixante ans. Quant à Jeanne Fenet, elle est décédée très âgée au Beausset, le 11 octobre 2004, à quatre-vingt-dix-sept ans. Leur descendance est toujours présente à Toulon et sa région, mais aussi dans la région de Blois. Un de leurs descendants a beaucoup travaillé sur l'histoire de sa famille, sous le pseudonyme de Blassiou083 dans Geneanet. Lorsque j'ai entrepris de déterminer la descendance de Pauline Escalle alors que la seule information que j'avais alors était son adresse dans la Casbah d'Alger en 1881, son arbre en ligne a été une aide précieuse pour poser les bases de cette histoire.

Bob Walter (1855-1907)

Baptistine Dupré (1855-1907), dite Bob Walter
Photo de Nadar (source : Gallica).

En marge de l'histoire de cette branche familiale, j'ai découvert récemment que Pauline Escalle, par son mariage avec Henri Dupré, a eu une belle-sœur pour le moins étonnante. En effet, Baptistine Dupré, née à Toulouse le 29 novembre 1855, ouvre d'abord un restaurant à Alger, boulevard de la République : le Restaurant Français, qui a été brillamment inauguré le lundi 10 novembre 1884 :

Akhbar, journal de l'Algérie, du 14 novembre 1884
(article complet : cliquez-ici).

Elle fait rapidement faillite, dès le 14 janvier 1885. Elle se fait ensuite connaître à Paris sous le nom de Bob Walter, où elle se produit d'abord au Moulin-Rouge (1892), puis se lance, à la suite de Loïe Fuller, dans les danses serpentines, dont ce film de 1897 nous donne un aperçu :


Après sa carrière de danseuse et chanteuse qui se termine en 1900, elle ouvre un garage automobile à Paris, en 1901, avenue de la Grande-Armée, puis avenue Malakoff. Elle défraie la chronique en aidant à l'enlèvement de fiancées, grâce à l'automobile. La notice Wikipédia qui lui est consacrée est très complète : Bob Walter.


Elle meurt à Paris le 7 février 1907, à l'âge de cinquante-et-un ans. Pauline Escalle a-t-elle rencontré son originale belle-sœur ? On ne le saura probablement jamais, mais quel rapprochement !

Lien vers la généalogie de Pauline Escalle, ép. Bornaque et Dupré et de sa descendance : cliquez-ici.

Lien vers l'article consacré aux parents de Pauline : Hippolyte Escalle [56] et Mélanie Robert [57], de La Motte-en-Champsaur.

Liens vers les articles consacrés à ses frère et sœurs et leurs descendances :

Lien vers la généalogie de la famille Dupré.