samedi 4 mai 2024

Gabriel Magron (1869-1946), pharmacien à Dijon et Roubaix et Berthe Duthu (1875-1955)

Gabriel (Marie Jules Gabriel) Magron [12] est né à Prauthoy le 8 février 1869, fils de Jules Magron [24] (1818-1892) et de sa deuxième épouse, Céline Prodhon [25] (1831-1909).

Gabriel Magron (1869-1946)

Du côté de son père, la famille Magron est originaire des Vosges. Son grand-père, Barthélemy [48], est né à Vexaincourt en 1787. Il a perdu ses parents jeune. On le retrouve vers 1809 à Is-sur-Tille, une commune de la Côte-d’Or au nord de Dijon, où il est cordonnier. Comment et pourquoi est-il arrivé là ? On ne sait pas le dire. En novembre 1810, il épouse une jeune fille du bourg, Marie Mathieu [49] (1786-1847), elle-même fille de cordonnier. Après la naissance d’un premier enfant, Barthélemy Magron et Marie Mathieu s’installent à Prauthoy, un bourg au nord de Dijon, dans la Haute-Marne sur la route nationale qui mène à Langres. Il y exerce le métier de cordonnier jusqu’à son décès en 1855. Son fils Jules suit les traces de son père, mais très vite, il devient épicier et buraliste à Prauthoy. Jusqu’à son décès en 1892, il exercera cette activité qui lui a permis d’accéder à une aisance certaine.

Jules Magron s’est marié deux fois. Avec sa première épouse, Zélia Dargentolle (1820-1861), il a eu trois enfants : Louise (1851-1942), Ernest (1852-ap. 1922) qui semble avoir eu une vie aventureuse, entre Prauthoy, Reims et la Belgique (Liège, Mons) où il a fait souche et Marie (1857-1931), restée célibataire. Nous reparlerons de Louise.

Tombe de la famille Magron, à Prauthoy

Après le décès de sa femme, Jules Magron a épousé en 1866 Céline Prodhon, une demoiselle de magasin de Langres, fille aussi d’épicier, donc probablement une connaissance de Jules Magron. Toute l’ascendance de Céline Prodhon se situe à Langres et aux alentours (voir en particulier cet article sur la famille de sa mère, les Sommier).

Jules Magron et Céline Prodhon ont eu trois enfants : Gabriel, notre arrière-grand-père, Jeanne (1870-1940) qui a épousé un receveur de l’enregistrement, Lucien Depardieu, et enfin, Camille (1876-1940), qui est célèbre pour son don des langues. Traducteur-juré auprès du tribunal de Paris, il se disait capable de parler treize langues.

Annuaire du commerce Didot-Bottin, 1923

Excelsior, du 27 mars 1934

On ne sait rien de l’enfance et de l’éducation de Gabriel Magron. Dès le recensement de 1881, alors qu'il n'a que douze ans, il a déjà quitté la maison familiale de Prauthoy, probablement parce qu'il est interne dans un collège de Dijon. Peut-être est-ce Saint-François-de-Sales, une école religieuse de Dijon, comme plus tard son frère Camille, dont le nom apparaît dans les bulletins de l’école. Il n'est pas plus présent dans sa famille en 1886, mais c'est qu'alors, il s'est engagé dans un cursus de formation pour devenir pharmacien.

Pourquoi a-t-il choisi la pharmacie ? Il est probable que l’exemple de son beau-frère a pu susciter en lui cette vocation. En effet, sa sœur aînée Louise, a épousé en 1872 un pharmacien de Langres, Charles Sommelet (1843-1926), qui tenait une officine place Ziegler depuis au moins 1872.

La pharmacie Sommelet est à droite. La librairie Sommier, au milieu, était tenue par des  cousins de Céline Prodhon.

Peut-être que Charles Sommelet a pris son beau-frère, qui avait l’âge d’être son fils, en stage ? Dans tous les cas, il a aussi suscité des vocations chez ses trois fils. L’aîné, Marcel Sommelet (1877-1952), est devenu un brillant pharmacien d’hôpital et un des spécialistes français de la chimie organique. Il a donné son nom à une réaction chimique (notice sur Marcel Sommelet). 

Marcel Sommelet (1877-1952)

Les deux autres fils de Charles Sommelet et Louise Magron ont aussi suivi les traces de leur père. L’aîné, Jules (1873-1893), est décédé encore étudiant en pharmacie et le cadet, Henry (1883-1950), a tenu la pharmacie de la place Ziegler jusqu’en 1949, ce qui représente plus de soixante-quinze ans de la famille Sommelet, pharmaciens à Langres, entre le père et le fils.

Le cursus de formation pour être pharmacien se décomposait en trois ans de stage dans une officine, puis trois ans d'école (voir le détail ici). Pour s'engager dans ces études, il fallait avoir plus de seize ans et justifier soit du baccalauréat, soit d'un certificat d'études de l'enseignement secondaire spécial. Gabriel Magron a donc pu débuter son stage en juillet 1885 ou juillet 1886, peut-être chez son beau-frère, à Langres, ou, plus probablement, dans une pharmacie de Dijon. Comme on le verra, il n'avait probablement pas le baccalauréat. Le stage était validé lors d'un examen où l'on demandait à l'élève : 1° La préparation d'un médicament composé, galénique ou chimique, inscrit au codex ; 2° Une préparation magistrale ; 3° La détermination de trente plantes ou parties de plantes, appartenant à la matière médicale, et de dix médicaments composés ; 4° De questions sur diverses opérations pharmaceutiques. Il a ensuite pu intégrer en 1889 l'École préparatoire de Médecine et de Pharmacie de Dijon qui menait au diplôme de pharmacien de 2e classe. S'il avait eu le baccalauréat, il aurait pu viser le diplôme de pharmacien de 1re classe. Il obtient brillamment son diplôme à la session de novembre 1892 avec la mention "très bien" aux trois examens :

Nouvelle Bourgogne, du 26 novembre 1892

Ces trois examens sont : 
Premier examen :
     1° Epreuve pratique d'analyse chimique ;
     2° Epreuve orale sur la physique, la chimie, la toxicologie et la pharmacie.
Deuxième examen :
     1° Epreuve pratique de micrographie ;
     2° Epreuve orale sur la botanique, la zoologie, la matière médicale, l'hydrologie, la minéralogie.
Troisième examen :
     1° Epreuve orale sur les matières premières de cinq préparations chimiques et de cinq préparations de pharmacie galénique.
     2°  Préparation de cinq compositions chimiques et de cinq compositions de pharmacie galénique (Nota : La pharmacie galénique, du nom du célèbre médecin grec du IIᵉ siècle, Galien, est la science et l'art de préparer un principe actif pour le rendre administrable au patient sous une forme qualifiée de galénique. Comprimé, pilule, sachet, solution injectable, suspension, liposome sont des exemples de formes galéniques.)

C'est peu de temps avant son examen qu'il perd son père, en avril 1892. Il se rend avec son demi-frère Ernest à la mairie de Prauthoy pour déclarer le décès. Très logiquement, il est qualifié d'étudiant en pharmacie à Dijon. Nous savons qu'il habitait alors à Dijon, 52, rue des Forges. C'est aussi comme cela qu'il est qualifié lors du recensement des jeunes gens pour la conscription militaire, en 1889. Il est d’ailleurs réformé pour une « pointe de hernie à gauche ». Sa fiche matricule nous le décrit ainsi : cheveux et sourcils blonds, yeux bleus, front rond, nez droit, bouche petite, menton rond et visage ovale. Il mesure 1,67 m.

Muni de son diplôme, Gabriel Magron travaille probablement dans une des pharmacies de Dijon, mais ce n'est que vers 1895 ou 1896 qu'il devient propriétaire de son officine. Il rachète au pharmacien Vital Guyétand son établissement situé à Dijon, 112, rue Monge, la pharmacie de la Porte d’Ouche. Au début de 1896, il est aidé par un élève pharmacien, Ernest Baudin, qui deviendra ensuite son employé.

Dijon, 112, rue Monge (au centre de l'image)

Désormais installé, Gabriel Magron se marie le 9 avril 1896 à Beaune avec Berthe Duthu, née dans la même ville le 11 décembre 1875, fille d'Auguste Duthu (1835-1897) et Pauline Poirier (1844-1895). Auguste Duthu et son frère Jules Duthu possédaient une entreprise de transports et de déménagements dont les bureaux et les entrepôts se trouvaient à Beaune et Dijon. 

Beaune, 39, rue du Faubourg Saint-Nicolas, maison Duthu, où est née et a vécu Berthe Duthu

Berthe Duthu a vécu à Beaune jusque vers 1896, date à laquelle son père, désormais veuf, est venu s'installer avec sa famille à Dijon. En 1896, ils y sont recensés au 81, rue du Faubourg Raines, non loin de la rue Monge où, au même moment, Gabriel Magon était pharmacien. Ils étaient donc tous les deux des habitants du quartier de la Porte d'Ouche, mais, à cette époque et dans ce milieu, cela ne suffisait pour se rencontrer et se marier. Probablement grâce aux nombreux réseaux et organisations de sociabilité, les deux jeunes gens ont été mis en relation. Pour donner un exemple, l'oncle de Berthe Duthu, Jules Duthu, et Vital Guyétand, qui avait vendu sa pharmacie à Gabriel Magron, appartenaient tous deux au comité d'organisation d'une association caritative, l'« Œuvre de la bouchée de pain ».


Berthe Duthu, ép. Magron (1875-1955)

Lors du mariage, les témoins de Gabriel Magron ne sont pas ses frères, comme cela était souvent le cas, comme pour son épouse Berthe. Il s’est fait accompagner par un élève-pharmacien, Ernest Péron. Visiblement, à la suite du décès de son père, des dissensions sont apparues entre les frères et sœurs dont on ne connaît pas exactement la nature. La famille s’est dispersée, les biens à Prauthoy ont été vendus et la mère, Céline Prodhon, est allé vivre chez son beau-frère à Bourbonne-les-Bains. Cela explique probablement que Gabriel Magron n’était accompagné le jour de ses noces que par sa mère. Après le mariage, le couple continue à habiter au 112, rue Monge, au-dessus de la pharmacie. C’est là que naissent leurs trois premiers enfants : Robert, le 7 février 1897, André, notre grand-père, le 4 novembre 1899 et Berthe, « tante Nithe », le 29 novembre 1900. 

Pendant cette période, le nom de Gabriel Magon apparaît souvent dans la presse locale. En l’absence de services organisés d’urgence ou de pompiers et devant le peu de médecins disponibles, les pharmaciens faisaient souvent office de premiers secours. Notre arrière-grand-père ne dérogeait pas à la règle, comme le prouve ce fait divers, choisi parmi tous ceux où son nom est cité :

Le Progrès de la Côte-d’Or, du 22 juillet 1897

Et encore, cette blessure est bénigne. Les pharmaciens étaient sollicités pour des cas beaucoup plus graves, comme « ce pauvre militaire [qui] a eu la crâne fracassé, et pendant qu'on la transportait à la pharmacie Guyétand [le prédécesseur de Gabriel Magron], il rendait le dernier soupir » en octobre 1895. Parfois l'action du pharmacien permet de sauver des vies comme cet autre fait divers d'août 1898 où Gabriel Magron est appelé auprès d'une femme qui a tenté de se suicider au monoxyde de carbone :  « Lorsque M. Magron arriva, il crut que la mort avait fait son œuvre, tant le corps avait déjà pris l'aspect cadavérique. Il fit néanmoins les plus louables efforts pour la sauver et fut assez heureux pour voir ceux-ci couronnés de succès. Lorsqu’il quitta Ia malade, une heure après, elle était hors de danger. » Comme on le voit, le pharmacien était urgentiste, sapeur-pompier et premiers secours.

Le 13 février 1903, il vend sa pharmacie à Louis Rollet et songe à s’installer ailleurs. 

Le Progrès de la Côte-d’Or, du 17 février 1903

Pourquoi souhaite-t-il quitter Dijon ? Difficile à savoir. Gabriel Magron et Berthe Duthu n’ont, l'un et l'autre, plus de famille dans la région. Par ailleurs, la faillite du négoce de vins des frères de Berthe, Adolphe et Auguste Duthu, qui a dû léser beaucoup de producteurs et négociants locaux, a probablement rejailli sur eux. Toujours est-il qu’en mai 1904, un courrier aux services des eaux de Roubaix pour signaler un dysfonctionnement du compteur laisse penser que Gabriel Magron est désormais le successeur de la pharmacie Couvreur à Roubaix, comme l'atteste le tampon « Magron-Duthu successeur », .

La mort subite et visiblement inattendue d'Henri Couvreur, l'ancien pharmacien, à l'hôpital d'Arras le 26 mai 1904, perturbe le projet de reprise. Le 3 juin, la veuve Couvreur-Rasson est obligée de rassurer sa clientèle en passant une annonce dans les journaux : 

Journal de Roubaix, du 3 juin 1904

Autrement dit, le décès de l'ancien pharmacien ne change rien et Gabriel Magron reprendra bien la pharmacie. On peut d'ailleurs en déduire que la vente du fonds de commerce n'avait pas été finalisée, car sinon, ce décès n'aurait eu aucun impact. De fait, peut-être en attendant le règlement de la succession, Gabriel Magron a bien cherché une autre pharmacie à gérer. Le 30 mars 1906, il est recensé avec sa famille comme pharmacien à Varois-et-Chaignot, un village de moins de 300 habitants à une dizaine de kilomètres de Dijon, au nord-est. Pourtant, quelques mois plus tard, le 1er octobre 1906, il est de nouveau de retour à Roubaix où, à ce moment, il est officiellement annoncé qu’il reprend la pharmacie. Les difficultés ont alors été levées.

Le Journal de Roubaix, du 1er octobre 1906

Cet article confirme que Gabriel Magron a collaboré avec l'ancien propriétaire Henri Couvreur. On y apprend aussi qu'il a travaillé dans des pharmacies parisiennes. Ces stages n'ont pu se dérouler qu'entre 1892 et 1896 ou entre 1903 et 1906. 

Depuis le mois d'octobre 1906 jusque vers 1942 (on trouve encore une annonce de pharmacie de garde pour le 24 octobre 1942), Gabriel Magron a continûment géré cette pharmacie située à Roubaix, au n° 32, rue Neuve, devenue la rue du Maréchal-Foch, à l'angle avec la rue des Fabricants.

Roubaix, 32, rue du Maréchal-Foch [ancienne rue Neuve]

Pendant toutes ces années, la pharmacie apparaît souvent dans la presse locale pour des annonces de produits ou comme dépositaires de médicaments. Cette boîte d'une poudre contre la transpiration porte l'étiquette de la pharmacie :


La pharmacie est cité plusieurs fois dans la rubrique des faits divers. Comme à Dijon, Gabriel Maron est sollicité pour apporter les premiers soins à des blessés. Mais il est aussi victime d'accidents et de vols. En 1913, un journal belge, Het Volk rapporte que le cheval conduisant une charrette de la coopérative « Les prévoyants » est entré dans la vitrine du magasin, occasionnant 800 francs de dégâts :

Het Colk, du 21 avril 1913

Plus grave, dans la nuit du samedi 19 au dimanche 20 juillet 1930, des malfaiteurs s'introduisent dans l'officine après avoir scié un maillon de la chaîne qui ferme la porte d'entrée. Ils dérobent des ampoules d'opium, de morphine, de cocaïne et d'héroïne, pour une valeur de 200 francs. Ils ont dû être suffisamment discrets car Gabriel Magron ne s'est aperçu du vol que le lendemain matin, alors qu'ils habitaient juste au-dessus (Le Journal de Roubaix, du 21 juillet 1930). Enfin, en pleine Occupation, la vitrine est de nouveau brisée. Selon le journal, il s'agirait d'un accident (Le Réveil du Nord, du 9 février 1941).

Mais hormis cela, Gabriel Magron et son épouse ont passé une vie tranquille dans cette cité industrielle et commerçante du Nord. Ils ont eu tardivement un dernier enfant, Gabriel, né à Roubaix le 10 juin 1918.

Vers 1942 ou 1943, Gabriel Magron songe à se retirer. Il a maintenant plus de soixante-dix ans. Ses enfants sont installés et le dernier est marié. C'est alors qu'ils vont vivre avec leur fille Berthe qui est assistante sociale à l’usine Pechiney de Saint-Auban, sur la commune de Château-Arnoux, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Ils habitent dans la cité attenante à l’usine, avenue Alsace-Lorraine. Gabriel Magron y décède le premier, le 19 avril 1946, à 77 ans. Son épouse, Berthe Duthu, lui survit quelques années et décède le 20 janvier 1955, à 79 ans.

Gabriel Magron et Berthe Duthu

Ces deux photos sont extraites de ce film que j'ai composé sur la base de plusieurs films mis en ligne par un de nos cousins Magron :



Lien vers la généalogie de Gabriel Magron et Berthe Duthu : cliquez-ici.

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