Comme nous le rappelions dans les articles consacrés à ses sœurs Malvina et Léonie, lorsque, le 4 octobre 1858, Hippolyte Escalle [56] meurt à La Motte-en-Champsaur, à l'âge de cinquante-quatre ans, il laisse une veuve, Mélanie Robert, âgée de quarante-trois ans et quatre enfants, l'aîné et unique fils, Hippolyte [28], vingt ans, Malvina, seize ans, Léonie, onze ans et Pauline, neuf ans. Il laisse surtout une situation patrimoniale dégradée sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir. Dès le mois de mars 1859, la fille aînée se marie à Marseille. Sa vie se passera désormais loin de La Motte-en-Champsaur. Pauline Escalle, la cadette n'a que neuf ans. C'est son histoire et celle de sa descendance que nous allons dérouler dans cet article.
Pauline Escalle (1849-1919), ép. Bornaque et Dupré
En 1861, lors du premier recensement après le décès de son père, Pauline est une jeune bergère de douze ans, avec sa mère et son frère Hippolyte qui cultive le domaine avec un domestique. Après le mariage d'Hippolyte, en 1861, qui est devenu de ce fait le chef de famille, sa mère Mélanie Robert, veuve Escalle et ses deux sœurs Pauline et Léonie ont quitté La Motte-en-Champsaur et la maison familiale. Elles sont absentes du recensement de 1866. Sont-elles allées à Marseille rejoindre Malvina, leur fille et sœur, qui vit désormais séparée de son mari Casimir Salignon parti pour Nice ? C'est probable, même si nous n'avons aucune preuve de cela. En 1872, la mère, Mélanie Robert, veuve Escalle, est revenue à La Motte, sans sa fille Pauline. qui n'apparaîtra plus jamais au village. Peut-être celle-ci a-t-elle considéré qu'elle n'avait pas d'avenir à La Motte-en-Champsaur. Comme ses sœurs, elle ne peut guère espérer de dot, donc de partis avantageux au village ou au pays. Sa sœur Léonie a épousé en 1869 Auguste Servel qui vient occuper une partie de la maison familiale et cultiver le domaine de sa belle-mère. Pauline n'a donc pas non plus cet « atout » pour trouver un éventuel mari au pays. Puis, autour d'elle, elle voit tellement de jeunes gens et jeunes filles tenter leur chance, soit en Amérique, soit à Marseille, soit en Algérie. Peut-être se dit-elle : « Pourquoi pas moi, plutôt que de rester au village sans avenir ? »
On retrouve la trace de Pauline Escalle le 24 août 1870 à l'hôpital civil de Constantine où elle donne le jour à une petite fille, Marie Eugénie, qui est déclarée et reconnue par son père, Jean Pierre Bornaque. La mère vient d'avoir vingt-et-un ans et le père vingt-six. Ils vivent ensemble route du Bardo, à Constantine mais ne sont pas mariés. Il est marchand de chiffons, originaire de Toulouse où il est né le 25 mai 1844. Elle est domestique. Le recensement militaire de la classe 1864 nous apprend que Jean Pierre Bornaque (appelé Bournaque dans ce document) était déjà en Algérie en 1864 comme chiffonnier, à Blida. Son degré d'instruction est « 0 », ce qui signifie qu'il ne sait ni lire, ni écrire. Dans les faits, lors de la naissance de sa fille et dans les quelques actes où il apparaît, il sait au moins signer son nom, certes de façon maladroite.
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Signatures de Jean Pierre Bornaque et Pauline Escalle lors de leur mariage (1874) |
Le 11 juillet 1874, après plus de quatre années de vie commune, ce qui est très inhabituel à l'époque, Jean Pierre Bornaque et Pauline Escalle régularisent leur situation. Ils habitent désormais à Blida, une ville à une quarantaine de kilomètres au sud d'Alger, où il avait vécu jeune homme. Il est toujours marchand de chiffons, installé dans les faubourgs de la ville, hors la porte Kobourg. Quant à Pauline, elle est désormais dite sans profession. Sa mère Mélanie Robert, veuve Escalle, a donné son consentement par un acte en brevet devant Me Jouglard, à Gap, le 20 juin 1874. Le jour de leur mariage, ils légitiment leur fille Madeleine Noëli. À notre connaissance, ils n'ont pas eu d'autres enfants. Les lacunes dans l'état civil d'Algérie qui a été conservé ne permettent pas toujours d'en avoir la certitude. Il est cependant avéré que seule Madeleine a eu une descendance comme on le verra. Sa fiche matricule nous informe qu'en février 1877, Jean Pierre Bornaque change une nouvelle fois de domicile et s'installe à Médéa, puis en septembre de la même année, il revient à Alger. Le 11 mars 1881, ils se rendent chez Me Brice, notaire, à Alger, pour donner une procuration dans le cadre de la succession de la mère de Pauline, Mélanie Robert, veuve Escalle. Ils habitent alors à Alger, 45, rue de la Casbah. Il est toujours marchand de chiffons.
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L'entrée de la Casbah d'Alger, photo de Félix Jacques Antoine Moulin (1802-1879), vers 1856-1857 |
Pourtant, Jean Pierre Bornaque déclare encore un changement de domicile, en mai 1882, pour Bône. Ces fréquents déménagements en Algérie expliquent probablement que lors du règlement judiciaire de la succession de Mélanie Robert, veuve Escalle, qui débute en 1879, personne ne semble savoir où vit Pauline Escalle, ni même qu'elle est mariée. Dans tous les actes, elle est alors domiciliée à La Motte-en-Champsaur, ce qui est manifestement faux. Lorsque Me Jean André Matheron, huissier de justice à Saint-Bonnet, se rend le 23 décembre 1880 à La Motte-en-Champsaur pour lui signifier le jugement d'adjudication des biens de sa mère et lui en remettre une copie, c'est sa belle-sœur Zoé Gaignaire, veuve Escalle qui réceptionne le document qui est toujours dans les archives familiales. Visiblement, il ne lui est jamais parvenu. Ce n'est que quelques mois plus tard, en mars 1881 comme on l'a vu, qu'elle se manifeste ou qu'on la retrouve, ce qui lui permet de toucher en février 1882 la modeste somme de 1 209,83 francs, dont 430 francs de sa belle-sœur. Si on remonte dans le temps, un autre oubli s'est fait à son détriment. Lors du partage des biens indivis de son père Hippolyte et de son frère Hippolyte, en mai 1868, on lui attribue une parcelle formée par le douzième de la contenance cultivée de Sarroution, à La Motte, d'une valeur estimée de 1 061 francs qui représente sa part dans la succession de son père. En réalité, le cadastre ne prendra jamais en compte ce transfert de propriété, qui sera oublié. Lors de la succession judiciaire de sa mère, cette parcelle sera comprise dans les terres saisies et ne lui sera jamais attribuée ou restituée. Mineure, âgée de dix-neuf ans lors du partage de 1868, elle vivait soit à Marseille, soit déjà en Algérie et peut-être n'a-t-elle jamais eu connaissance de cette attribution. Et probablement que personne ne le lui a rappelé en 1879, d'autant plus qu'on ne savait pas (ou on ne voulait pas savoir), où elle se trouvait. En définitive, les 1 200 francs et quelques qu'elle touche en février 1882 représentent tout ce qu'elle reçoit en héritage de ses parents, alors que la valeur de leurs biens à La Motte-en-Champsaur avait été estimée à 19 000 francs en 1868.
Entre 1882 et 1899, nous perdons la trace de Jean-Pierre Bornaque et Pauline Escalle. À une date inconnue, ils se séparent sans que, manifestement, ils le formalisent par un divorce, pourtant autorisé depuis 1884. La complexité et le coût de la procédure étaient tels que de nombreux couples préféraient vivre chacun de leur côté, plutôt que d'officialiser une séparation, surtout lorsqu'il n'y avait aucun bien à se partager, ce qui était leur cas. En 1899, Jean-Pierre Bornaque habite de nouveau à Blida, comme journalier. Le 26 octobre, il se rend devant l'officier public de l'état civil pour donner son consentement au mariage de sa fille. Visiblement, il ne souhaite pas être présent à la cérémonie ou on ne souhaite pas sa présence, car, en dépit des quinze kilomètres qui séparent les deux communes, il n'a pas fait le déplacement à Boufarik le jour des noces, le 9 décembre 1899. Ensuite, on perd totalement sa trace. On sait seulement qu'il est décédé avant 1912. Au même moment, Pauline Escalle habite avec sa fille unique à Boufarik. Le jour du mariage, parmi les témoins, on relève le nom d'Henri Dupré, âgé de trente-neuf ans, horticulteur à Boufarik. Avant de poursuivre notre récit, revenons sur cet homme dont le destin a été intimement lié à celui de Pauline Escalle et de sa famille pendant quelques décennies.
Henri Dupré (1861-1932), horticulteur-pépiniériste à Boufarik
Henri Dupré est né à Aumale le 28 mars 1861. Sa mère est originaire de Toulouse, son père, Élie Cyrille Dupré, originaire de Valloire en Savoie, est d'abord employé des subsistances militaires, à Aumale (1850-1853), puis, après un court séjour en France, à Toulouse (1854-1855), puis Bordeaux (1857), il revient s'installer à Aumale vers 1860 où il gère un hôtel tout en étant pâtissier. Une lettre écrite au journal Akhbar, le 20 octobre 1867, montre un bon niveau d'instruction et d'éducation et un esprit entreprenant et plein d'initiative (cliquez-ici). On retrouvera ces traits de caractère chez ses enfants Henri et Baptistine.
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Akhbar, journal de l'Algérie, du 26 juin 1864 |
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Akhbar, journal de l'Algérie, du 27 décembre 1867 |
Henri Dupré perd son père en 1869, puis sa mère en 1874. Orphelin à l'âge de treize ans, on ne sait rien de sa vie jusqu'en 1895. Si ses frères Léon et Joseph sont devenus horlogers après le décès de leurs parents, lui devient horticulteur. Il est déjà membre de la Société d’Horticulture d’Alger en 1895, alors qu'il travaille chez Émile Vuillard, à Boufarik. Dès 1898, il semble être désormais son propre patron, toujours à Boufarik. Depuis cette date jusqu'en 1928, son nom apparaît régulièrement dans la presse coloniale, que ce soit pour des annonces commerciales, que pour les prix et récompenses qu'il reçoit comme une médaille d'or en 1898, lors du concours agricole de Boufarik.
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La Dépêche algérienne, du 2 novembre 1908 |
En avril 1909, il devient président de « La Lyre Boufarikoise », une société chorale fondée en 1907 pour propager le goût de la musique vocale. Comme le rapporte La Dépêche algérienne, du 18 juillet 1909 : « Jeudi soir, M. Dupré Henri, président de la « Lyre Boufarikoise », en l’honneur de la remise du drapeau et de la St-Henri, sa fête, offrait, dans le grand hall de son établissement horticole, un lunch aux sociétaires de la « Lyre » et au « Club Gymnastique ». […] Pendant toute la soirée, la plus franche gaîté n’a cessé de régner et chansonnettes, monologues, etc., se succédaient sans interruption et salués de salves d’applaudissements. […] La soirée s’est terminée par le chœur « Ruisseau et Berger », chanté admirablement par la « Lyre », qui a été très applaudie. » À cette occasion, il offre une baguette en ébène et argent au chef de la chorale, M. Gérin. Cette anecdote montre qu'il était une personnalité reconnue et appréciée de la communauté boufarikoise.
Quelles étaient les relations entre Henri Dupré et Pauline Escalle, épouse Bornaque, en 1899 ? Nul ne le sait, mais il est fort probable qu'ils sont déjà proches, voire qu'ils vivent maritalement ensemble, rue Kléber, qui sera l'adresse de la famille durant toutes ces années.
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Boufarik, rue Kléber (aujourd'hui, rue Cherchali Boualem) |
C'est aussi à Boufarik que certains des neveux et nièces de Pauline Escalle, enfants de sa sœur Léonie Escalle, épouse Servel, décédée en 1883, viennent vivre comme nous l'avons vu. De façon certaine, c'est Ernest Servel, jardinier, qui réside en Algérie dès 1894, puis, qui, après son service militaire, est domicilié à Boufarik, rue Kléber, où il travaille probablement pour Henri Dupré. Il fera presque partie de la famille jusqu'à son départ pour les États-Unis en 1904. Son nom sera régulièrement cité dans les avis de décès jusqu'à celui de son oncle par alliance Henri Dupré, en 1932. Ses deux autres frères, Arthur et Léon Servel, habitent aussi à Boufarik, le premier en 1897, comme jardinier et cocher, et le second, en 1900, comme forgeron. Ils partiront aussi aux États-Unis. Les trois sœurs Servel, Léonie, Adrienne et Marie, toutes les trois entrées en religion à Nîmes, respectivement sous les noms de sœur Fabia, sœur Auréa et sœur Saint-Yves, ont gardé des liens avec leur famille de Boufarik. Elles seront aussi régulièrement citées dans les avis de décès jusqu'en 1932, comme leur frère Ernest.
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Généalogie simplifiée de Pauline Escalle et de sa descendance |
Maurice Fenet (1871-1920) et Madeleine Bornaque (1871-1912)
À une date inconnue après le décès de Jean Pierre Bornaque, Pauline Escalle se marie avec Henri Dupré, comme le prouve son avis de décès. Mais avant cela, revenons à Madeleine Bornaque, la fille unique de Jean Pierre Bornaque et Pauline Escalle. Elle se marie donc le 9 décembre 1899, à Boufarik, avec Ernest Maurice Fenet, dont le prénom d'usage est Maurice. Elle a déjà vingt-sept ans, presque vingt-huit. Il a quelques mois de plus, car il vient de fêter ses vingt-huit ans. Il appartient à une famille de colons cultivateurs installée à Mahelma, une commune à une quinzaine de kilomètres au nord de Boufarik, en direction d'Alger. Après son mariage, il vient s'installer dans la famille de son épouse, rue Kléber, où ils vivent lors de la naissance de leurs trois filles. Une première enfant leur naît, en 1901, qu'ils prénomment Élise Henriette. Il est probable que le second prénom est un hommage à Henri Dupré, peut-être le parrain de cette fille. Elle décède à l'âge d'un an, le 21 septembre 1901. Lorsque Madeleine Bornaque donne naissance à une deuxième fille, le 4 mai 1902, ils la prénomment Élise Henriette… Après quelques années, leur naît une troisième fille, Jeanne Adrienne, le 21 août 1907.
Maurice Fenet est probablement destiné à succéder à son beau-père par alliance Henri Dupré. Cette annonce de 1904 montre qu'il fait déjà commerce de plantes :
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La Dépêche algérienne, du 16 décembre 1904 |
Dans les actes d'état civil de ses filles (1901-1907), il est qualifié de cultivateur ou de jardinier. Il apparaît aussi dans différents concours comme greffeur, à Boufarik (1906, 1907, 1908). En 1912, il perd son épouse Madeleine Bornaque, qui décède le 15 novembre, à l'âge de quarante ans. Après ce décès, il reste vivre auprès de sa belle-mère et du mari de celle-ci (en 1912, Jean Pierre Bornaque étant décédé, il est probable que Pauline Escalle et Henri Dupré ont régularisé leur situation, même si l'acte n'est pas disponible dans les archives numérisées). Dès 1912 et jusqu'en 1920, Maurice Fenet est régulièrement qualifié d'horticulteur. Les décès se succèdent dans la famille, à la maison Dupré, de la rue Kléber. Sept ans après sa fille, Pauline Escalle meurt, le 15 octobre 1919, à l'âge de soixante-dix ans. Son avis de décès qui est aujourd'hui la seule preuve de son mariage avec Henri Dupré, donne un état de la famille à cette date.
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La Dépêche algérienne, du 16 octobre 1919 |
Comme il se doit, cet avis cite d'abord son mari, Henri Dupré, puis son gendre, Maurice Fenet, et ses deux petites-filles Élise et Jeanne Fenet, ses trois nièces Servel, filles de sa sœur Léonie, mais ne cite aucun des fils Servel. La liste se poursuit par son neveu par alliance, Maurice Dupré (1894-?) et la mère de celui-ci, donc la belle-sœur de Pauline Escalle, Jeanne Alzina (1871-1948), veuve de Joseph Dupré (1863-?), frère d'Henri. La liste se poursuit par plusieurs membres de la famille Fenet, qui, a priori, n'ont pas de liens de parenté ni avec les Dupré, ni avec Pauline Escalle. Cette proximité entre les familles Dupré et Fenet explique peut-être le mariage de Madeleine Bornaque avec Maurice Fenet. Enfin, la dernière famille citée, les Kremmer, là-aussi sans lien de parenté avéré, doit être suffisamment proche car Georges Kremmer, employé au chemin de fer, à Mustapha a été le témoin de Madeleine Bornaque lors de son mariage en 1899.
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La Dépêche algérienne, du 25 novembre 1919 |
La vie de Pauline Escalle peut se résumer en trois grandes périodes. La première, courte, est sa vie à La Motte-en-Champsaur comme fille de cultivatrice et bergère, qui se termine vers 1864-1864. Ensuite vient la période qui débute par son départ de La Motte et son installation en Algérie. Durant ces années, sa relation puis son mariage avec Jean Pierre Bornaque, les nombreux changements de domicile, probablement une situation financière assez précaire, peut-être un mari que l'on pressent instable, ont fait de cette période de sa vie une des plus mouvementées. Ensuite, probablement dans le courant des années 1890, elle se fixe à Boufarik, se marie à nouveau avec un homme dont la situation est plus stable et plus prospère, elle peut offrir une situation à sa fille. Son avis de décès et l'avis de remerciement dans leur formalisme un peu convenu, illustrent une fin de vie plus apaisée et rangée.
Son gendre Maurice Fenet ne lui survit guère car il décède à son tour le 13 décembre 1920, à Douéra, à l'âge de quarante-neuf ans. Son avis de décès paru dans la presse le qualifie bien d'horticulteur. Mais avant de détailler ce document, il faut revenir à Henri Dupré. En effet, quelques mois après le décès de son épouse Pauline Escalle, il se remarie à Boufarik le 10 juillet 1920 avec Victorine Chapelet et reconnaît le fils qu'elle a eu à l'âge de dix-sept ans, Maurice Chapelet, qui devient donc Maurice Dupré. Ce dernier aurait pour père biologique un certain lieutenant Petreau (ou Pedreau, l'orthographe n'est pas certaine) selon un de ses petits-fils. Pourquoi Henri Dupré, alors âgé de cinquante-neuf ans, épouse une fille-mère de vingt-trois ans dont il reconnaît le fils qui n'est pas de lui ? Mystère. Il s'allie ainsi avec une famille Farcetti, de Douéra qui comptera dans la suite de l'histoire de la descendance de Pauline Escalle. En effet, la mère de Victorine Chapelet, Thérèse Chapelet, a épousé à une date inconnue François Farcetti, un colon d'origine italienne dont elle a eu quatre enfants : Joseph, dit Albert, né en 1899, Odile (ou Odyle), Norbert et Marceau. Là-aussi, la vie de Thérèse Chapelet n'est pas exempte d'irrégularités. Mariée en 1891 à vingt-et-un ans à un meunier de L'Arba, Henri Rideler, elle se retrouve veuve deux ans plus tard en novembre 1893. Elle donne naissance à sa fille Victorine en février 1897, puis se met en ménage avec un mineur ou carrier italien illettré François Farcetti. L'acte de naissance d'Odile, le 19 septembre 1902, à Douéra, précise qu'ils ne sont pas mariés. Dans celui de Norbert, le 21 décembre 1904, à Draria, ils semblent être mariés. Pourtant, lors de la naissance de son petit-fils Maurice à Blida en 1914, fils naturel de sa fille Victorine, elle est appelée et elle signe veuve Rideler. En 1920, lors du décès de Maurice Fenet, François Farcetti et Thérèse Chapelet sont néanmoins présentés comme un couple légitime. Ce n'est peut-être qu'une impression, mais, par comparaison avec les situations vécues dans les villages d'origine, je pense évidemment à La Motte-en-Champsaur, ces vies heurtées semblent avoir été plus courantes dans les colonies, peut-être parce que l'encadrement, en particulier religieux et familial, et la pression sociale étaient moindres qu'en métropole.
Revenons à l'avis de décès de Maurice Fenet :
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La Dépêche algérienne, du 15 décembre 1920 |
Comme on le constate, après ses deux filles et son frère Xavier et sa famille, viennent la famille Dupré (son beau-père par alliance), puis ses cousins germains par alliance, les Servel, les trois sœurs en religion à Nîmes, et Léon Servel, de Riverside (Californie). Enfin, après la famille de son oncle Édouard Fenet, est citée la famille Farcetti qui lui est liée par l'entremise d'Henri Dupré. Ce lien qui n'existe alors que par un jeu d'alliances devient plus fort par le mariage de sa fille aînée, Élise, désormais orpheline de père et de mère, avec le fils aîné de François Farcetti et Thérèse Chapelet, Joseph Forcetti (autrement connu sous les prénom et nom d'Albert Farcetti, nous en reparlerons). Le 15 janvier 1921, un mois après le décès du père, Joseph Forcetti épouse à Boufarik Élise Fenet. Ils ont respectivement vingt-et-un et dix-huit ans. Leurs témoins sont Henri Dupré et son épouse Victorine Dupré. Henri Dupré est le grand-père par alliance d'Élise Fenet, par son mariage avec Pauline Escalle et Victorine Dupré, née Chapelet, est la demi-sœur de Joseph Forcetti. Mais on peut tout aussi bien dire qu'Henri Dupré est le beau-frère de Joseph Forcetti et Victorine Dupré est la grand-mère par alliance d'Élise Fenet.
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Lien entre Albert Farcetti (Joseph Forcetti) et Élise Fenet |
Le jour de son mariage Joseph Forcetti/Albert Farcetti est dit horticulteur à Boufarik, même s'il est domicilié de droit avec ses parents, à Douéra. Henri Dupré qui avait fait venir auprès de lui son gendre par alliance Maurice Fenet, le remplace par son petit-fils par alliance (et beau-frère) après le décès de ce dernier.
Le 28 avril 1928, Henri Dupré et son épouse Victorine Chapelet achètent un fonds de commerce de café, débit de boissons et restaurant, connu sous le nom de « Café de la Croix de Malte », à Alger, à l'angle du n° 27 de la rue d’Isly et du n° 8 de la rue Joinville. À partir de cette date, ils se sont installés à Alger, même s'ils revendent ce café, devenu la « Taverne Nicolas », dès juillet 1929. Henri Dupré décède à Alger le 16 janvier 1932 à soixante-dix ans. Il est toujours qualifié d'horticulteur-pépiniériste et est inhumé à Boufarik, là où il a passé la plus grande partie de sa vie et où il s'est consacré au métier qui l'a fait connaître. Nous n'avons pas trouvé d'information sur un éventuel successeur et d'ailleurs, les dernières mentions de son activité dans la presse correspondent à la date de sa venue à Alger.
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La Dépêche algérienne, du 17 janvier 1932 |
On notera, comme un discret rappel de ses liens avec la famille Escalle, la présence dans cet avis des sœurs Servel, de Nîmes (au singulier, comme si l'on avait oublié qu'elles étaient trois) et d'Ernest Servel, à Los Angeles, les neveux de sa première épouse.
Albert Farcetti (1899-1968) et Élise Fenet (1902-1964)
Le nom de famille de François Farcetti, le père de Joseph, devait être à l'origine Falcetti. C'est d'ailleurs sous cette orthographe qu'ont été enregistrés ses enfants Odile, en 1902, et Norbert, en 1904. Comme il ne savait pas signer, nous ne pouvons pas savoir quelle orthographe il aurait eu l'usage d'utiliser. Dans les documents que l'on retrouve comme les avis de décès ou les mentions dans la presse, la forme la plus couramment utilisée est Farcetti. En revanche, tous les enfants du fils aîné Joseph ont été enregistrés avec l'orthographe Forcetti. Il semble bien que ce soit la forme fautive utilisée dans son propre acte de naissance qui se soit imposée. Cela expliquerait que son acte de mariage ait été rédigé avec le nom de Forcetti et que sa fiche matricule militaire, initialement sous le nom de Farcetti, ait été corrigée en Forcetti au vu de son acte de naissance comme le prouve une note manuscrite. La généalogie est parfois une science compliquée. Les enfants Forcetti ont un grand-père qui s'appelle Farcetti, un père qui s'appelle Farcetti, mais qui est connu à l'état civil comme Forcetti, et une cousine germaine, fille de Norbert, Falcetti… Enfin, pour compliquer encore un peu plus, Joseph Farcetti/Forcetti avait l'habitude de se prénommer Albert, alors que seul Joseph était son prénom de naissance. Nous parlerons désormais d'Albert Farcetti et d'Élise Fenet. Mais, comme rien n'est vraiment simple, qui est la mère d'Albert Farcetti ? Lors de son mariage, il est dit de mère non dénommée. On en déduit que lors de sa naissance, seul son père l'a reconnu et qu'il n'a jamais été reconnu par sa mère. Pourtant, il devait considérer que Thérèse Chapelet était sa mère puisque son nom apparaît sur sa fiche matricule. Et dans tous les avis de décès, elle est bien considérée comme sa mère. Là encore, pourquoi ne l'a-t-elle pas reconnu à la naissance ? Mystère.
Comme pour illustrer notre propos, les avis de décès des parents d'Albert Farcetti/Joseph Forcetti utilisent exclusivement l'orthographe Farcetti.
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La Dépêche algérienne, du 23 septembre 1935 |
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La Dépêche algérienne, du 15 mars 1938 |
Comme on l'a vu, au moment de son mariage, Albert Farcetti est horticulteur à Boufarik. Il semble avoir exercé cette activité jusque vers 1926. Une annonce parue dans La Dépêche algérienne, du 18 avril 1926 propose des « pins d’Alep en pots extra-beaux à vendre » chez M. Farcetti, rue Kléber, à Boufarik. Un an plus tard, en juin 1927, il est qualifié d'entrepreneur de transports, toujours à Boufarik. Si l'on rapproche ce changement d'activité du départ d'Henri Dupré pour Alger, en 1928, lors de l'achat du café avec son épouse, on peut supposer que la maison d'horticulture d'Henri Dupré a disparu vers 1927 ou 1928.
Désormais, Albert Farcetti sera entrepreneur de transports, non sans quelques déconvenues. Le 5 septembre 1930, installé à la Pointe-Pescade (Saint-Eugène), il est déclaré en faillite. En 1933, il habite Kouba (le 23 mai 1933, il donne « un coup de volant malheureux », selon L'Écho d'Alger), en 1934, il est chauffeur au service du Comptoir nord-africain, à Alger (le 12 avril 1934, il écrase neuf moutons !). En 1934, il habite au Caroubier, à Hussein-Dey lorsqu'il est de nouveau déclaré en faillite, puis remis à la tête de ses affaires. La faillite de son entreprise de transports est pourtant confirmée le 3 avril 1936. Parmi les autres mentions, on le retrouve toujours entrepreneur de transports, à Alger, 17, rue des Villas, en 1948 et 1950.
Albert Farcetti et Élise Fenet ont eu sept enfants, Robert, Mireille (1924), Mauricette (1926), Colette (1929), Roger, Jacki (1935) et Claude (1942) qui, comme on l'a vu, se sont tous nommés Forcetti. L'aîné est décédé le 23 novembre 1929. L'avis utilise bien entendu l'orthographe en usage dans la famille :
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La Dépêche algérienne, du 24 novembre 1929 |
Au moment du rapatriement d'Algérie, la famille Farcetti/Forcetti s'est installée à Lunel, entre Montpellier et Nîmes. C'est là que sont décédés Élise Fenet et Albert Farcetti (toujours Joseph Forcetti pour l'état civil), respectivement le 8 juin 1964, à soixante-deux ans, et le 29 novembre 1968, à soixante-neuf ans. Aujourd'hui, ils sont encore représentés par une descendance nombreuse, dont une bonne partie est toujours présente à Lunel et dans la région, en particulier à Saint-Just, Buzignargues et La Grande-Motte, à l'exception d'une branche installée à Saint-Priest, près de Lyon. Fidèle à la tradition automobile et mécanique inaugurée par le grand-père Albert Farcetti, un de ses petits-fils dirige toujours un garage, à Lunel Viel, le Garage des Trois-Ponts.
Gabriel Molinas (1904-1964) et Jeanne Fenet (1907-2004)
Comme sa sœur, Jeanne Fenet, la deuxième fille de Maurice Fenet et Madeleine Bornaque est restée dans la famille d'Henri Dupré, à Boufarik, après le décès de ses parents. D'après un de leurs descendants, « après la mort de ses parents, elle et sa sœur ont été élevées par Henri Dupré, le pépiniériste. Elle était exploitée et quand elle s'en est aperçue, on lui a présenté la personne avec qui elle s'est mariée quelques mois plus tard. » Il s'agit de Gabriel Molinas, né le 15 juillet 1904, à Perrégaux, dans la province d'Oran. Au moment de son mariage, il est forgeron à Zemmora. Ils se marient à Boufarik le 19 août 1926. Il a vingt-deux ans et son épouse dix-huit ans. Les témoins sont Henri Dupré, alors qualifié de propriétaire à Boufarik, et Élise Fenet, épouse de Joseph Forcetti, sans profession, à Boufarik (elle signe Elise Farcetti). Si le jeune couple semble s'être d'abord installé à Zemmora (c'est là qu'est né leur premier fils, Gabriel, en 1927), ils se sont ensuite installés à Pointe-Pescade, à Saint-Eugène, dans la banlieue d'Alger où sont nés les cinq autres enfants : Andrée (1931), Renée (1933), un enfant mort-né (1941), Mauricette (1943) et Arlette (1946). Gabriel Molinas y est toujours forgeron (1931), puis, plus tard, il travaillera comme chef mineur, à la cimenterie Lafarge de Rivet, près d'Alger (1934).
Au moment du rapatriement, la famille Molinas s'installe au Beausset, dans le Var, près de Toulon. C'est là qu'habite Gabriel Molinas lorsqu'il décède à l'hôpital de Toulon, le 30 décembre 1964 à soixante ans. Quant à Jeanne Fenet, elle est décédée très âgée au Beausset, le 11 octobre 2004, à quatre-vingt-dix-sept ans. Leur descendance est toujours présente à Toulon et sa région, mais aussi dans la région de Blois. Un de leurs descendants a beaucoup travaillé sur l'histoire de sa famille, sous le pseudonyme de Blassiou083 dans Geneanet. Lorsque j'ai entrepris de déterminer la descendance de Pauline Escalle alors que la seule information que j'avais alors était son adresse dans la Casbah d'Alger en 1881, son arbre en ligne a été une aide précieuse pour poser les bases de cette histoire.
Bob Walter (1855-1907)
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Baptistine Dupré (1855-1907), dite Bob Walter Photo de Nadar (source : Gallica). |
En marge de l'histoire de cette branche familiale, j'ai découvert récemment que Pauline Escalle, par son mariage avec Henri Dupré, a eu une belle-sœur pour le moins étonnante. En effet, Baptistine Dupré, née à Toulouse le 29 novembre 1855, ouvre d'abord un restaurant à Alger, boulevard de la République : le Restaurant Français, qui a été brillamment inauguré le lundi 10 novembre 1884 :
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Akhbar, journal de l'Algérie, du 14 novembre 1884 (article complet : cliquez-ici). |
Après sa carrière de danseuse et chanteuse qui se termine en 1900, elle ouvre un garage automobile à Paris, en 1901, avenue de la Grande-Armée, puis avenue Malakoff. Elle défraie la chronique en aidant à l'enlèvement de fiancées, grâce à l'automobile. La notice Wikipédia qui lui est consacrée est très complète : Bob Walter.
Elle meurt à Paris le 7 février 1907, à l'âge de cinquante-et-un ans. Pauline Escalle a-t-elle rencontré son originale belle-sœur ? On ne le saura probablement jamais, mais quel rapprochement !
Lien vers la généalogie de Pauline Escalle, ép. Bornaque et Dupré et de sa descendance : cliquez-ici.
Malvina Escalle (1841-1872), épouse Casimir Salignon et sa descendance.
Léonie Escalle (1846-1886), épouse Auguste Servel et sa descendance.
Lien vers la généalogie de la famille Dupré.