dimanche 27 juillet 2025

Léonie Escalle (1846-1886), épouse Auguste Servel et sa descendance

Comme nous le rappelions dans l'article consacré à sa sœur Malvina Escalle, lorsque, le 4 octobre 1858, Hippolyte Escalle [56] meurt à La Motte-en-Champsaur, à l'âge de cinquante-quatre ans, il laisse une veuve, Mélanie Robert, âgée de quarante-trois ans et quatre enfants, l'aîné et unique fils, Hippolyte [28], vingt ans, Malvina, seize ans, Léonie, onze ans et Pauline, neuf ans. Il laisse surtout une situation patrimoniale dégradée sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir. Dès le mois de mars 1859, la fille aînée se marie à Marseille. Sa vie se passera désormais loin de La Motte-en-Champsaur. Léonie, la seconde fille n'a que onze ans. C'est son histoire  et celle de sa descendance que nous allons dérouler dans cet article.

Léonie Escalle (1846-1886), ép. Auguste Servel (1839-1889)

En 1861, lors du premier recensement de La Motte-en-Champsaur après le décès du père, Léonie Escalle n'habite plus chez sa mère. Âgée de quatorze ans, elle est probablement placée. Après le mariage de son frère Hippolyte, en 1862, devenu le chef de famille, Mélanie Robert, veuve Escalle et ses deux filles Pauline et Léonie ont quitté La Motte-en-Champsaur et la maison familiale. Elles sont absentes du recensement de 1866. Sont-elles allées à Marseille rejoindre Malvina, leur fille et sœur, qui vit désormais séparée de son mari Casimir Salignon parti pour Nice ? C'est probable, même si nous n'avons aucune preuve de cela. Deux ans plus tard, un événement va venir bouleverser ces arrangements familiaux, la mort du fils et frère Hippolyte Escalle le 3 mai 1868. Dès le mois de juin 1868, les deux veuves Escalle se partagent le domaine familial et même la maison de La Motte. Mélanie Robert, veuve Escalle se retrouve à la tête d'un petit domaine de 3 hectares 30 ares, tout juste suffisant pour vivre. Elle a récupéré une partie de la maison, comprenant la moitié de l'écurie des vaches, l'écurie des moutons avec la partie correspondante de la cour, de la cave et du grenier. Elle peut alors envisager de marier sa deuxième fille à un homme qui, à défaut de toucher une dot, pourra disposer d'un petit domaine à cultiver. C'est ainsi que, un an plus tard, le 16 juin 1869, Léonie Escalle, âgée de vingt-deux ans épouse à La Motte Auguste Servel, âgé de vingt-neuf ans, originaire de Lallée, à Saint-Jacques-en-Valgaudemar. Fils cadet d'un cultivateur, il est bien venu pour lui de trouver une situation alors que, selon les usages de l'époque, c'est son frère aîné, Joseph, qui assure la succession du père dans le domaine familial de Lallée. Auguste Servel portait le surnom familial de Turenne, probablement pour différencier les nombreuses familles Servel. Certains de ses fils seront recensés lors du service militaire avec ce surnom.

Au moment de son mariage, Auguste Servel arrive sans aucun bien à La Motte. Il assure l'exploitation des terres de sa belle-mère qui comprennent aussi les lots échus lors du partage à sa femme et à ses deux sœurs Malvina et Pauline, soit, comme on l'a dit, 3 hectares 30 ares. Il acquiert pour lui-même d'abord une parcelle de 16 ares en juillet 1871. En septembre 1876, il achète à Pierre Espitallier un domaine comprenant des terres (sept parcelles totalisant 45 ares) et une maison qui avait appartenu à Joseph Gaignaire. Elle forme la deuxième partie de l'ensemble partagé entre les héritiers Gaignaire comme nous l'avons expliqué dans l'article sur l'histoire de Paul Gaignaire

La maison de Joseph Gaignaire, avec le 1er étage de la maison partagée
avec Paul Gaignaire, est celle que Pierre Espitallier neveu par alliance
de Joseph Gaignaire et son héritier, a vendu à Auguste Servel en 1876.

Elle comprend une partie principale, construite sur une surface de 190 m2, pour le bâtiment et la cour devant, et un étage, encastré dans la maison voisine, dont le niveau inférieur, une cave, appartient à Paul Gaignaire. La surface au sol du bâtiment est de l'ordre d'une centaine de mètres carrés.

La maison Servel, au centre de l'image, est en retrait,
en partie cachée. On distingue à droite la maison Paul Gaignaire.

L'achat de cette maison devenait d'autant plus nécessaire que la maison Escalle se révélait trop petite pour les deux ménages formés par Auguste Servel et Léonie Escalle avec leurs six enfants, Zoé Gaignaire, veuve Escalle, avec ses quatre enfants, et la belle-mère, Mélanie Robert, veuve Escalle, qui habite avec sa fille et son gendre. Lors du recensement de 1876, c'est désormais dans cette maison récemment acquise qu'ils habitent alors que Zoé Gaignaire et ses enfants sont restés dans la maison familiale Escalle. Après le décès de Mélanie Robert, veuve Escalle, le 2 octobre 1876, les héritiers, dispersés, ne veulent pas payer ses dettes. L'ensemble des biens est alors saisi et vendu aux enchères en mai 1880. Les terres de la grand-mère Escalle, qui étaient alors exploitées par les époux Servel, avec la moitié de maison, sont rachetés par Zoé Gaignaire, veuve Escalle et deux autres acheteurs. Auguste Servel a bien tenté de se rendre acquéreur d'une pâture de 36 ares en surenchérissant sur sa belle-sœur, mais elle ne s'est pas laissée faire et en est restée adjudicatrice. La seule part qu'ils reçoivent à la suite de ce partage forcé est la somme de 1 210 francs qui leur est attribuée après paiement de tous les créanciers. En définitive, cette vente sur saisie a encore diminué la surface disponible pour Auguste Servel et Léonie Escalle. Désormais, il ne leur reste plus que les terrains attribués à Léonie lors du partage de 1868, soit cinq parcelles d'une contenance de 91 ares. Au total, en cette année 1880, avec leur acquisition de 1876, ils disposent de 1 hectare 38 ares et d'une maison, autrement dit une surface bien trop faible pour assurer la subsistance d'une famille qui continue de s'agrandir. On comprend mieux qu'ils aient cherché une autre activité comme source de revenus, même si tenir une auberge qui fait aussi cabaret, débit de tabacs et épicerie devait tout juste permettre à la famille de ne pas sombrer dans la grande pauvreté. 

Jusqu'en 1876, Auguste Servel et Léonie Escalle sont habituellement qualifiés de cultivateurs. C'est à partir de 1877, après l'achat de la maison Espitallier, qu'ils deviennent aubergistes à La Motte. Cela ne veut pas dire qu'ils ne gardent pas une activité de cultivateur. Lorsque Léonie Servel décède en 1886, la profession indiquée dans son acte de décès est aubergiste. Trois ans plus tard, c'est aussi la profession d'Auguste Servel au moment de son décès. Dans le recensement de 1886, il est aussi dit débitant de tabacs. Dans un acte de 1887, Léonie Escalle est qualifiée d'épicière. On trouve enfin la mention de cabaretier, mais de façon plus épisodique, comme dans le cadastre.

Auguste Servel et Léonie Escalle ont eu quatorze enfants, tous nés à La Motte-en-Champsaur, dont neuf atteindront l'âge adulte.

  • Marie Silvie, née le 17 mai 1870
  • Léonie Mélina, née le 30 août 1871
  • Joséphine Virginie, née le 22 septembre 1872, morte le 15 juin 1879
  • Auguste Hippolyte Elzéa, né le 4 novembre 1873
  • Marius Louis Ernest, né le 25 décembre 1874
  • Lucie Adrienne, née le 14 février 1876
  • Joanis Arthur Bénoni, né le 9 avril 1877
  • Élisabeth Annette, née le 18 septembre 1878, morte le 21 octobre 1878
  • Léon Joseph, né le 7 février 1880
  • Élixir Elzéa, né le 17 juillet 1881, mort le 25 juillet 1881
  • Céleste Noélie Joséphine, née le 9 mars 1883, habituellement prénommée Marie
  • Alfred Albert, né le 7 avril 1884
  • Lina Marthe, née le 19 décembre 1885, morte le 13 septembre 1886
  • Félix Noé Henri, né le 23 décembre 1886, mort le 15 mars 1887

On remarquera le très court intervalle entre chaque naissance qui est de quinze mois en moyenne. Un autre calcul montre que depuis son mariage jusqu'à son décès, soit dix-sept ans et demi, Léonie Escalle a été enceinte 126 mois, soit 60 % du temps. Probablement usée par les grossesses, Léonie Escalle décède le 28 décembre 1886, cinq jours après la naissance de son dernier fils, à quarante ans. Son mari ne lui survit que trois ans. Il décède à La Motte le 2 novembre 1889, à cinquante ans. Il laisse neuf enfants dont l'aînée, Sylvie, a dix-neuf ans et le cadet, Alfred, cinq ans.

Peut-être que ses parents envisageaient un autre avenir pour la fille aînée Sylvie. En 1886, âgée de seize ans, elle travaille pour une de ses cousines, Léonie Boyer-Joly, receveuse des Postes, à Orpierre, comme « aide ». Leurs décès prématurés en ont décidé autrement. Elle est sûrement revenue à La Motte après le décès de sa mère cette même année pour aider son père et prendre en charge le ménage et l'éducation de ses jeunes frères et sœurs. Le décès de son père trois ans plus tard l'a confirmée dans ce rôle de mère de substitution et de chef de famille. En effet, après le décès des parents, certains des enfants sont restés à La Motte, auprès de leur sœur aînée Sylvie, tandis que d'autres semblent avoir rejoint leur tante Pauline Escalle, à Boufarik en Algérie. En 1891, lors du recensement, Sylvie Servel (vingt-et-un ans), devenue chef de famille, a pris la suite d'Auguste Servel et Léonie Escalle. Elle est désormais qualifiée de cabaretière. Ernest (seize ans), Adrienne (quinze ans) et le cadet Alfred (sept ans) vivent avec elleL'aîné des garçons, Auguste (dix-sept ans), est placé comme domestique chez ses cousins Jeanselme des Héritières. Léonie (dix-neuf ans) est déjà entrée en religion, à Nîmes. On ne sait pas où sont les trois autres : Arthur (treize ans), Léon (onze ans) et Marie (huit ans). Après cette date, le destin des enfants va suivre des voies très différentes. Seule la fille aînée, Sylvie, est restée à La Motte-en-Champsaur. Les trois autres filles sont entrées en religion, toutes les trois à Nîmes. Et les cinq garçons ont émigré aux États-Unis, après un passage par l'Algérie. Le très faible patrimoine laissé par les parents est en soi une explication suffisante pour cette dispersion. Aucun des enfants n'a la possibilité matérielle de rester au village car il faut imaginer que le patrimoine extrêmement faible laissé par les parents doit ensuite être divisé entre les neuf héritiers. Autrement dit, chacun ne peut espérer qu'une parcelle ridiculement petite, presque symbolique. Seule la fille aînée continue à bénéficier de la maison paternelle, mais pour peu de temps.

Généalogie simplifiée de la famille d'Auguste Servel et Léonie Escalle

Sylvie Servel (1870-1905), épouse Scipion Pérénon (1865-1908)

Comme il a été dit, elle est la seule des enfants Servel à être restée au village. À peine âgée de vingt ans, elle donne naissance à un fils, Sylvain Stanislas, le 26 décembre 1890. C'est Stanislas Nouguier, charpentier, âgé de trente-deux ans, qui déclare la naissance. Est-il le père ? Il est vrai que le second prénom de l'enfant nous conforte dans cette supposition. En définitive, si c'est le cas, il ne reconnaîtra jamais l'enfant, ni ne régularisera la situation Il s'est marié en mars 1893 avec une jeune fille des Infournas. Quant à Sylvie, après le décès de ce premier garçon, le 21 mai 1893 à l'âge de deux ans et demi, elle épouse le 25 octobre 1893 Scipion Pérénon, un forgeron ou maréchal-ferrant de La Motte. Ensemble, ils auront cinq enfants, la fille reproduisant la fertilité de sa mère :

  • Henriette Marie Madeleine Sylvie, née le 15 janvier 1894, morte le 15 mars 1901
  • Jean Marie Henri Joseph, né le 10 décembre 1894, mort le 7 janvier 1898
  • Joseph Auguste Alfred, né le 10 décembre 1895
  • Jean Louis, né le 20 juillet 1897, mort le 21 septembre 1897
  • Marcel Octave Henri, né le 27 avril 1899, mort le 14 août 1907

Comme on le constate, elle réussit l'« exploit » d'avoir un enfant en moyenne par an entre 1894 et 1899 et surtout deux enfants en 1894, séparés de onze mois, puis un enfant en 1895, exactement un an après le précédent. Ensuite, elle a juste « soufflé » un peu car le suivant arrive dix-sept mois plus tard. On peut aussi constater qu'elle était enceinte lors de son mariage, trois mois avant la naissance de sa première fille, et que seul un garçon a survécu et atteint l'âge adulte. Enfin, après une telle fertilité jusqu'en 1899, elle n'a plus eu aucun enfant jusqu'à son décès le 20 septembre 1905 à trente-cinq ans. Son mari ne lui survit que trois ans. Il décède à l'hospice de Gap le 20 octobre 1908 à quarante-trois ans en laissant un fils unique, Joseph Pérénon, âgé de douze ans. Comme on l'a dit, Sylvie Servel a pris la suite de ses parents comme aubergiste. C'est la profession indiquée dans son acte de décès en 1905. Il est aussi fait mention de cabaretière, dans le recensement de 1891, de buraliste, dans celui de 1896, mais aussi d'épicière, dans des actes de 1895 et 1901. Quant à son mari, Scipion Pérénon, il est forgeron, métier qui était aussi celui de son père quand il s'est installé à La Motte vers 1862. La dénomination deviendra maréchal-ferrant, vers 1898, mais ce changement n'est probablement pas révélateur d'une évolution de son activité, mais plutôt d'une nouvelle manière de nommer au village l'activité de l'homme qui bat le fer et ferre les animaux.

Scipion Pérénon avait hérité d'un petit patrimoine de son père, composé d'une maison dans le village et de neuf parcelles de terre totalisant moins d'un hectare. Il ne fait pas évoluer ce patrimoine qui passe en totalité à son fils Joseph.

Maison Pérénon (au centre de l'image), dans le village de la Motte

En 1911, tant la maison Pérénon, que la maison Servel de La Motte-en-Champsaur sont désormais déclarées inhabitées. Joseph Pérénon, le seul et dernier représentant de la famille Servel à La Motte, habite alors chez son oncle et tuteur Séraphin Robin, mari de sa tante Élisa Pérénon. Il va rapidement quitter le village car lors du recensement des jeunes gens de la classe 1915 à laquelle il appartient, il est garçon d'hôtel à Nîmes. Ce domicile est probablement à mettre en relation avec la présence de ses trois tantes, religieuses dans cette ville. En effet, la congrégation à laquelle elles appartiennent, les Petites Dominicaines de l'Eucharistie, avait, entre autres missions, celle d'être une association pour le placement des domestiques. Elles se sont peut-être chargées de trouver une place à leur neveu orphelin. 

Au moment de la Première Guerre mondiale, Joseph Pérénon est ajourné pour faiblesse et ne sera incorporé que le 28 août 1916 au 159e régiment d'Infanterie, mais ne partira sur le front qu'en juin 1917, au 55e régiment d'Infanterie. Après quelques passages par des hôpitaux militaires, en particulier à Fontainebleau, puis à Romans, pour une adénite cervicale gauche, il est démobilisé 18 septembre 1919. Il semble avoir toujours eu une santé défaillante. Grâce à sa fiche matricule et aux recensements, on le suit jusqu'à son décès. On le retrouve comme garçon d'hôtel, à Aix-en-Provence, en 1921, puis à Carpentras, à l'Hôtel de l'Univers, place du Théâtre, en 1924 et enfin à Reims, d'abord 37, rue Libergier, en 1930, puis 35, rue Paul Adam, en 1933, toujours comme garçon d'hôtel. Il se fixe alors à cette dernière adresse car c'est là qu'il habite lorsqu'il décède le 12 mars 1965, à soixante-neuf ans. En 1931 et 1936, il cohabite avec une veuve et sa fille, Joséphine Marjollet, veuve Berliat (1800-1978) avec laquelle il a aussi une fille, Henriette, née à Reims en 1928. La descendance de Joseph Pérénon est aujourd'hui représentée par un petit-fils, architecte à Paris, né en 1953 et une petite-fille, née en 1964, enfants de sa fille Henriette, et, à la génération suivante, par une arrière-petite-fille et trois arrière-petits-fils.

Les sœurs Servel, religieuses à Nîmes

Les trois autres sœurs Servel, Léonie, Adrienne et Marie, sont toutes les trois entrées en religion, dans la congrégation des Petites Dominicaines de l'Eucharistie, fondée à Nîmes en 1890, par l'abbé Couran. Le siège de la congrégation se trouvait dans le centre de la ville, 7, rue Sainte-Eugénie. Cette congrégation gérait deux établissements : une clinique sous le nom de Villa Saint-Jean, chemin bas d'Avignon, dans le quartier de Grézan, et une vaste propriété agricole et vinicole, le Mas Vianès, sur la commune de Redessan, à la limite de Jonquières-Saint-Vincent où, entre autres spécialités, la congrégation produisait du vin de messe.

Nîmes, Villa Saint-Jean, chemin bas d'Avignon (Grézan)

La première des trois sœurs installées à Nîmes est Léonie, dont la présence est attestée dès 1891, peu de temps après le décès de son père. Elle a pris le nom de sœur Fabia. À des dates inconnues, elle est rejointe par ses deux autres sœurs, Adrienne, avant 1896, et Marie, avant 1901, respectivement sœur Auréa et sœur Saint-Yves, en religion. Elles sont toutes les trois décédées à Nîmes, Léonie, le 25 mai 1946, au 7, rue Sainte-Eugénie, à soixante-quatorze ans, puis Adrienne, le 1er mars 1957, à la Villa Saint-Jean, chemin bas d'Avignon, à quatre-vingt-un ans et enfin, Marie, le 26 novembre 1958, aussi 7, rue Sainte-Eugénie, à soixante-quinze ans. Les sœurs Auréa et Saint-Yves sont toutes les deux inhumées au cimetière Saint-Baudile, de Nîmes, dans la tombe de la congrégation des Petites Dominicaines. Des trois sœurs, c'est Adrienne dont nous connaissons mieux l'activité, car, à la différence de Léonie et Marie, nous pouvons la suivre dans les recensements de Redessan, au Mas Vianès, de 1896 jusqu'en 1936. Elle travaille dans cette propriété agricole, soit comme ouvrière de ferme ou journalière (1896, 1901), soit comme caviste (1921) ou enfin comme lingère (1926, 1931, 1936). Lors du décès du fondateur, le chanoine Siméon Couran, en 1900, un article nécrologique rappelait en termes dithyrambiques l'impulsion qu'il avait donnée à ce domaine agricole 

Ce fut alors qu’il fonda les Petites Dominicaines de l’Eucharistie, et qu’il entreprit l’œuvre colossale de l’exploitation agricole. Cette œuvre réussit à merveille et remit en honneur les travaux des champs, si délaissés de nos jours. La vue de ces saintes filles, se livrant à tous les travaux des champs, produisit le meilleur effet. Qu’il suffise de rappeler les lignes écrites dans le journal l'Univers, par M. l’abbé Delfour, au lendemain de la mort de M. le chanoine Couran :

« Il était autrefois… ou plutôt non, il est un monastère qui occupe tout un plateau dominant le Rhône, là même où le Rhône se divise en plusieurs branches pour entrer dans la Méditerranée. Jadis, il y a une douzaine d’années environ, ce plateau était désert, triste, desséché par le mistral. Un saint, un saint prêtre le traversa un jour et il se dit : « Je ferai fleurir cette solitude. » En effet, il revint bientôt amenant des vierges chrétiennes, croyantes comme on croyait dans les Catacombes, pures comme le lis de la Vallée, vaillantes et dures au travail comme on l’est sur les « Causses » des Cévennes. Le saint dit aux vierges : « Vous allez planter des vignes, ici même, des vignes qui produiront un doux vin blanc délicat, et ce vin blanc sera destiné au Saint Sacrifice de la messe. » Les vierges se mirent au travail : elles labourèrent ce terrain inculte, elles plantèrent des ceps ; elles greffèrent sur ces ceps des sarments souples et vigoureux, plus forts que le phylloxéra ; elles virent des vignes opulentes se dresser où jadis n’apparaissaient que de rares buissons épineux. Le désert avait fleuri. » 

Adrienne, sœur Auréa, était l'une de ces « vierges chrétiennes». À la différence de leur sœur aînée et de leurs frères, les trois sœurs avaient gardé des liens avec la famille de leur tante Pauline Escalle, en Algérie. Elles sont citées dans son faire-part de décès, en 1919, et dans ceux de leur cousin germain par alliance, Ernest Maurice Fenet, en 1920 et de leur oncle par alliance, Henri Dupré, en 1932 :

Faire-part de décès de Pauline Escalle, ép. Dupré, La Dépêche algérienne, du 16 octobre 1919

Les frères Servel en Californie

Les cinq frères Servel, Auguste, Ernest, Arthur, Léon et Alfred sont tous partis en Californie. En cela, ils suivaient l'exemple des quelques 8 000 Champsaurins partis aux États-Unis. Le premier d'entre eux est le fils aîné, Auguste, né en 1873. En 1891, lors du premier recensement après le décès de ses parents, il est placé comme domestique chez sa cousine issue de germaine Noélie Escalle et son mari Léon Jeanselme, cultivateurs aux Héritières, à La Motte-en-Champsaur. Lors du recensement des jeunes gens de la classe 1893, il est toujours cultivateur à La Motte-en-Champsaur. Après un court service militaire au 99e régiment d'infanterie du 13 novembre 1894 au 24 septembre 1895, il prend rapidement la décision de tenter l'aventure aux États-Unis. Parti du Havre sur La Gascogne, il arrive à New York le 15 juin 1896, avec pour destination Delano, en Californie. Sa vie sera désormais américaine. Il sera plusieurs fois déclaré insoumis par l'autorité militaire en France.

On le retrouve à Temecula, en Californie en 1903. Cette petite ville au sud-est de Los Angeles, située dans le comté de Riverside, était alors habitée par des fermiers qui cultivaient des céréales ou élevaient des bovins. Un des pionniers de cette ville, Joseph Nicolas, né à Chabottonnes, dans le Champsaur, en 1849, est arrivé vers 1867 alors que la vallée était presque déserte. Il y avait tout a faire. En 1881, il se marie avec une jeune fille du Champsaur, venue probablement pour se marier avec lui, Zemima Rambaud, née à Buissard en 1859. Arrivée à vingt-et-un ans en Amérique, peut-être que, comme sa belle-sœur Marie Jaussaud, a-t-elle débarqué à New-York avec seulement un papier accroché à sa blouse, indiquant en anglais sa destination en Californie, elle qui ne parlait alors pas un mot de cette langue. Pionniers dans cette vallées, Joseph Nicolas et Zemima Rambaud ont probablement attiré à eux d'autres Champsaurins. Nous les retrouverons bientôt liés aux Servel.

Quant à Auguste Servel, en 1903, il est qualifié de « rural mail carrier », à Temecula, autrement dit de facteur rural. En avril 1904, il achète conjointement avec Louis Escallier un hôtel à Temecula, mais revend rapidement sa part à Hippolyte Escallier, en décembre de la même année. Comme l'indique leur nom, ce sont aussi des Hauts-Alpins venus s'installer dans cette vallée. D'ailleurs, une partie de la vallée au nord de Temecula s'appelle encore aujourd'hui The French Valley. Cette région a perdu en partie sa vocation agricole, sauf pour la culture de la vigne, qui n'existait pas à l'époque dont nous parlons. Elle appartient à la limite sud de la métropole de Los Angeles, le Greater Los Angeles. Sa population dépasse aujourd'hui les 100 000 habitants.

Temecula sur une carte de la Californie, avec Murrieta et The French Valley au nord.

C'est en 1903 que les trois autres frères Servel, Arthur, Léon et Alfred, respectivement nés en 1877, 1880 et 1884 partent rejoindre leur frère Auguste à Temecula. Ils vivaient alors en Algérie, à Boufarik. En 1896, Arthur est cocher et jardinier, à Boufarik, probablement chez sa tante Pauline Escalle, comme ses sœurs et ses frères. Après son service militaire, il habite la ferme Cabot, à Bouïra, en 1902, toujours en Algérie. En 1900, Léon est forgeron, aussi à Boufarik. Ils partent tous les trois d'Algérie, passent par la France et embarquent sur le Ryndam, à Boulogne-sur-Mer le 1er février 1903 et arrivent à New-York le 12 février 1903. Arthur et Leon (en arrivant aux États-Unis, il a perdu l'accent de son prénom) sont qualifiés de « farmehand » (ouvrier agricole) et Alfred qui n'a que dix-huit ans, de « gardener » (jardinier). À l'émigration à New-York, ils indiquent leur volonté de rejoindre leur frère Auguste à Temecula. Comme leur frère aîné, Arthur, Leon et Alfred Servel seront déclarés insoumis. Au moment de la Première Guerre mondiale, ils ne retourneront pas dans leur pays d'origine pour se battre. En revanche, ils se feront enregistrer dans leur pays d'adoption, lors de la vaste campagne de recensement des hommes mise en place aux États-Unis lors de la Première Guerre mondiale (« Draft Registration Cards  for World War I »).

Temecula, vers 1924

Temecula, en 1909

En 1910, les deux frères Leon et Alfred Servel habitent ensemble à Diamond, un peu au nord de Temecula, comme « rancher », ce qui peut laisser penser qu'ils sont propriétaires de leur ranch. Le recensement précise qu'il s'agit d'une exploitation de céréales (« grain ranch »). Le 15 septembre 1914, Leon épouse Clementine C. Nicolas, sa cadette de dix ans, fille de Joseph Nicolas et Zemima Rambaud, les pionniers champsaurins de la vallée dont nous avons parlé.

Clementine Nicolas et Leon Servel

À cette première génération d'immigrés, on retrouve un usage courant, mais pas systématique, de se marier dans sa communauté. Ils ont eu deux enfants. Leon Jr. est né le 20 novembre 1916. Il est décédé au Riverside Community Hospital, des suites d'une mastoïdite le 7 mars 1928, à onze ans.

Leon Servel (1916-1928)

Ils ont eu ensuite une fille, Leona J., née à Temecula le 18 septembre 1918.

Leona Servel (1918-2010)

Cette même année 1918, Leon s'est fait recenser par l'autorité militaire américaine. Il est fermier dans sa propre exploitation, toujours à Temecula. Il a aussi obtenu la nationalité américaine en novembre 1916, en même temps que son frère Arthur. À partir de 1920, Leon Servel et Clementine Nicolas habitent à Murrieta, la commune immédiatement au nord de Temecula, toujours comme fermiers dans leur propre ranch. Ils y seront encore recensés en 1950. Clementine Nicolas, ép. Servel est morte la première, le 16 août 1971, à quatre-vingt-un ans, suivie quelques années plus tard par son mari, le 15 février 1975, à quatre-vingt-quinze ans. Ils sont décédés tous les deux à Indio, une autre commune de Californie, dans la Coachella Valley où ils ont probablement rejoint leur fille. Leona Servel a épousé un texan, Carl A. Preece, né en 1913 et mort en 1982 à Indio. On comprend de la notice nécrologique de son épouse qu'ils n'ont pas eu d'enfants. Leona Servel est décédée le 12 mars 2010, à La Quinta, en Californie : 

Leona Preece, 91 ans, est décédée le 12 mars 2010 à La Quinta, Calif. Elle est née le 18 septembre 1918 à Temecula, en Californie, de Leon et Clementine Servel. Elle était mariée à Carl Preece, qui l'a précédée dans la mort. Sa mère, son père et son frère l'ont également précédée dans la mort. Leona a passé la majeure partie de sa vie dans la Coachella Valley, où elle a travaillé comme dépositaire légal (« escrow officer ») et plus tard comme secrétaire de direction pour les magasins Safeway. Elle était dévouée à son église, Our Lady of Perpetual Help à Indio, donnant de son temps à tous ceux qui en avaient besoin. Leona était membre du Indio Women's Club et des Coachella Valley Women for Agriculture. Elle a également donné de son temps à Martha's Kitchen et à la Coachella Valley Rescue Mission. Elle sera enterrée auprès de sa famille à Temecula. (cliquez-ici)

Leona Servel, ép. Preece (1918-2010)

Il est curieux de penser que cette femme qui est née et n'a vécu qu'aux États-Unis était une « pure » champsaurine, tant par son père, né à La Motte-en-Champsaur, que par sa mère, elle-même née aux États-Unis de parents champsaurins.

Leon Servel paraît être celui des quatre frères qui a le mieux réussi. C'est pour lui que travaille son frère aîné Auguste en 1918, comme « farm laborer  ». C'est aussi chez lui que celui-ci est recensé en 1920, à Murrieta. Auguste Servel, parfois prénommé August ou Augustin décède le 16 septembre 1923 d'une indigestion aiguë, à l'âge de quarante-neuf ans.

Arthur, le troisième frère Servel, s'est aussi installé à Temecula où il habite en 1918. Il travaille alors pour Joseph Nicolas, comme « farmer ». Il a aussi obtenu la nationalité américaine en novembre 1916, en même temps que son frère Leon. En 1930, 1935 et 1940, il est recensé à Murrieta comme « farmer » (fermier). En 1940, il travaille à Murrieta Hot Springs. Il s'est marié en 1926 avec Emma Labance, originaire de Louisiane qui avait une fille d'un premier mariage. Après le décès de son épouse le 2 octobre 1942 à Arlington, il est parti s'installer à Indio où il est recensé en 1950. Il décède à San Diego le 26 mai 1950, à soixante-treize ans, sans descendance.


Enfin, le cadet des frères Servel, Alfred, arrivé aux États-Unis à dix-huit ans, a vécu avec son frère Leon à Diamond comme « rancher » où il est recensé en 1910. En avril 1909, tout juste âgé de vingt-cinq ans, il dépose une demande de brevet pour une « Adjustable, Reversible Right and Left Hand Plow » (charrue réglable et réversible pour droitier et gaucher). On peut induire de cette invention qu'il était gaucher. Cela montre aussi qu'avec son frère, il se consacrait à la culture des céréales. Il obtient un brevet en novembre 1912. Parmi ses autres talents, il avait le don des langues puisqu'à son décès, il en parlait plusieurs couramment, comme le précise une notice nécrologique. Il s'agissait bien évidemment du français, de l'anglais, du haut-alpin (mais est-ce que ce « patois » comptait ?) et probablement de l'espagnol : « Alfred Servel was quite popular hero, being a lad of about 25 years. He had traveled extensively and was an accomplished linguist, speaking several languages fluently. »

Il est mort des suites d'un accident. Il est tombé d'un chariot de grain qui lui est passé dessus. Transporté au Riverside Community Hospital, il y est décédé le lendemain. Il habitait alors Winchester, une autre commune au nord de la French Valley où il possédait un ranch. C'est son frère Leon qui est nommé administrateur de ses biens après son décès.

Les quatre frères Servel sont enterrés au cimetière de Temecula, autour d'un monument qui porte simplement le nom Servel :

Chacun des frères a une plaque à son nom :

Comme la famille de Leon Servel :

Ces quatre photos de la French Valley, contemporaines de l'installation des frères Servel dans cette région, illustrent le changement d'échelle dans l'agriculture entre ce qu'ils ont pu connaître à La Motte-en-Champsaur et ce qu'ils ont trouvé en arrivant aux États-Unis :

(source : Greater French Valley, de William J. McBurney et Marie Rice Milholland)    

Après les quatre frères Servel réunis en émigration dans la région de Temecula, le dernier des frères encore en Algérie, mais le second en rang de naissance, Ernest Servel, se décide à les rejoindre en 1904. En 1891, alors âgé de seize ans, il habite toujours avec sa sœur Sylvie à La Motte-en-Champsaur. Au moment du recensement des jeunes gens de la classe 1894, il est jardinier, en Algérie, où il a probablement rejoint certains de ses frères et sœurs, auprès de leur tante Pauline Escalle, à Boufarik. Il fait son service militaire au 75e régiment d'infanterie du 16 novembre 1895 au 17 septembre 1898, puis, à l'issue de ces trois ans, il retourne en Algérie. En octobre 1898, son adresse est celle d'Henri Dupré, horticulteur-pépiniériste, à Boufarik, rue Kleber, qui épousera Pauline Escalle. En mai 1900, il habite désormais dans un quartier d'Alger, Bouzaréah, au Frais-Vallon, puis en août 1901, dans un autre quartier d'Alger, Mustapha, rue Clauzel. Sa fiche militaire porte la mention d'un travail d'homme d'équipe à la Compagnie P.L.M, du 25 janvier 1901 au 19 juillet 1904, probablement en Algérie. En cette année 1904, qui est celle de ses trente ans, il est le dernier des Servel à être resté en Algérie. Sa sœur aînée vit toujours à La Motte, ses trois autres sœurs sont religieuses à Nîmes, ses quatre frères vivent désormais aux États-Unis, autour de Temecula. C'est alors qu'il part pour les rejoindre. Après un passage à La Motte où il est arrivé en juillet 1904, toujours selon sa fiche matricule, il embarque au Havre sur La Bretagne, le 20 août 1904. Arrivé à New York le 28 août, il annonce son intention de rejoindre son frère Arthur en Californie où il arrive le 11 septembre. Il est qualifié de « gardener » (jardinier) dans les registres de l'immigration. Cependant, à la différence de ses frères qui resteront toujours dans la région de Temecula, dans le comté de Riverside, il préfère s'installer à Los Angeles. C'est là que le 21 février 1916 il dépose une « Declaration of intention » devant la District Court de Los Angeles pour devenir citoyen américain. Il est toujours jardinier et habite Hyde Park, une ville au sud de Los Angeles à laquelle elle sera intégrée en 1923. Il obtient la nationalité américaine le 19 décembre 1918. Il est accompagné par deux témoins, Leon Escallier, « banker » (banquier) et Clovis Escallier, « farmer » (fermier), à Los Angeles. Comme l'indique leur nom, ce sont des compatriotes champsaurins. Entre temps, le 12 septembre 1918, il s'est fait enregistrer lors de la vaste campagne de recensement des hommes mise en place aux États-Unis lors de la Première Guerre mondiale (« Draft Registration Cards  for World War I »). Il habite toujours Hyde Park. En revanche il se déclare comme « silo builder » (constructeur de silos) pour le compte de la Western Cement and Silo Company, installée à Los Angeles, 47 South Central Avenue. Il doit donner le nom du plus proche parent (« Nearest relative »). Il désigne son frère Leon, à Temecula, qui, comme on l'a vu, semble avoir été le chef de famille en émigration. C'est lui aussi qui déclarera le décès d'Ernest.

En 1929, il fait un voyage en France. C'est sûrement à ce moment-là qu'il règle définitivement la succession de ses  parents, probablement pour le compte de ses frères et sœurs et de son neveu Joseph Pérénon. En quatre ventes, les 25 septembre et 12 octobre 1929, il liquide le petit patrimoine laissé par ses parents à La Motte-en-Champsaur, dont la maison familiale. Il repart du Havre le 9 octobre 1929 et arrive à New York le 15 octobre 1929. Il habite toujours à Hyde Park, devenu un quartier de Los Angeles, au 3473 W 71st Street. À cette adresse, il existe toujours une maison construite en 1923, selon les sites d'agences immobilières américaines. D'une surface de 873 sq ft [81 m2], sur un terrain de 3 842 sq ft [357 m2], elle comporte trois pièces et deux salles de bains.

Maison d'Ernest Servel, à Los Angeles, 3473 W 71st Street (Hyde Park)

C'est toujours là qu'il habite en 1942, où son nom apparaît dans un annuaire de la ville. C'est probablement parce qu'il est malade qu'il va rejoindre son frère Leon, à Murietta. Le 17 janvier 1947, il entre au French Hospital, de Los Angeles où il se fait opérer le 6 février d'un « Carcinoma of rectum » (tumeur au rectum). Il décède quelques jours plus tard, le 12 février 1947, à soixante-douze ans. Son acte de décès, rédigé sur la déclaration de son frère Leon, le qualifie de « retired gardener » (jardinier retraité). Hormis l'unique mention de « silo builder » en 1918,  il aura été jardinier toute sa vie. Il est inhumé le 17 février au Inglewood Park Cemetery, un des principaux cimetières de Los Angeles qui se trouve à un kilomètre de chez lui, Une plaque rappelle son souvenir dans le Mausoleum of the Golden West. Il n'a pas souhaité être enterré auprès de ses frères au cimetière de Temecula. Il ne s'est jamais marié. De tous les frères Servel, il est le seul qui est cité dans l'avis de décès de son oncle par alliance Henri Dupré, en 1932, probablement parce qu'il est resté le plus longtemps en Algérie et qu'il a appris le métier de jardinier auprès de lui.

Plaque au Mausoleum of the Golden West (Sanctuary Of Rest/A/236)

En définitive, des neufs frères et sœurs Servel, sont issus seulement huit petits-enfants dont seulement deux, Joseph Pérénon (1895-1965) et Leona Servel (1918-2010) ont atteint l'âge adulte. À la génération suivante, une seule arrière-petite-fille, Henriette Pérénon, née en 1928, représente toute la descendance d'Auguste Servel et Léonie Escalle.

Le destin des enfants Servel illustre parfaitement les difficultés auxquelles faisaient face les habitants des campagnes des Hautes-Alpes à la fin du XIXe siècle. Par le jeu des successions, les patrimoines se divisaient. Si, dans le même temps, des mauvaises affaires, des revers de fortune, voire la maladie ou la mort, ne permettaient pas d'agrandir ce faible patrimoine de début de vie, la situation allait en empirant comme on l'a vu pour Auguste Servel et Léonie Escalle. Ils n'ont laissé qu'une maison et quelques parcelles à leur neuf enfants, moins que ce dont il disposait, mais ne possédait pas, au moment de leur mariage. D'autant qu'à la différence d'autres régions et d'autres couples, ils n'ont pas choisi d'adapter la taille de leur famille à leurs ressources, autrement dit, ils n'ont pas choisi de réguler les naissances. Ils se sont laissés porter par la fécondité naturelle qui fait naître quatorze enfants en dix-sept ans… Dans ces conditions, les frères et sœurs Servel n'avaient guère le choix. Ils devaient quitter leur village. Ils auraient pu émigrer vers Gap, Grenoble ou Marseille, comme beaucoup de leurs compatriotes. La présence d'une tante en Algérie a été une première opportunité pour la majorité d'entre eux. Ensuite, les garçons, probablement inspirés par l'exemple de nombreux Champsaurins, ont choisi les États-Unis en bénéficiant ainsi des réseaux de solidarités qui se créaient entre expatriés. Même si on ne fait que l'entrevoir, le rôle de Joseph Nicolas a probablement été important pour les frères Servel. Autant que l'on puisse en juger, les frères Servel, à des degrés différents, ont réussi dans leur patrie d'adoption où ils ont mené leur vie visiblement sans intention de retour. Contrairement à un mythe tenace qui veut que les Champsaurins émigrés aient choisi de revenir en France au moment de la Première Guerre mondiale pour défendre la mère-patrie, aucun des cinq frères n'a fait ce choix, préférant au contraire rester dans le pays qui les avait accueillis. La personnalité d'Alfred, le polyglotte, qualifié de « popular hero » dans une notice nécrologique, illustre ce que cette émigration permettait. Lorsqu'il dépose une demande de brevet en 1909, à peine âgé de vingt-cinq ans, on ne peut s'empêcher de penser que cela ne lui aurait pas été possible en France, lui qui n'avait fait aucune étude sérieuse, ni n'avait aucun appui au sein des bourgeoisies locales des Hautes-Alpes. S'il n'était pas mort accidentellement à trente-et-un ans, peut-être aurait-il eu une vie brillante dans le comté de Riverside.

Pourtant, malgré ce départ sans retour de La Motte-en-Champsaur, dans la première moitié des années 1890, avant même qu'ils aient atteint les vingt ans, les différents frères et sœurs ont gardé le modeste patrimoine indivis de leurs parents jusqu'à ce qu'ils se décident à le vendre en 1929, alors que chacun a déjà fait sa vie, soit en France, soit en Californie et que certains d'entre eux sont déjà décédés. Symbole d'un attachement au pays natal malgré la distance ? Difficulté matérielle pour se mettre d'accord entre eux et gérer la cession, à cause de l'éclatement de la famille ? En 1929, une page est définitivement tournée.

Lien vers la généalogie de Léonie Escalle, ép. Auguste Servel et de sa descendance : cliquez-ici.