samedi 18 avril 2020

Eugène Prieur-Bardin, peintre orientaliste (1860-1905)

Habitué à suivre les ventes aux enchères, j’ai depuis longtemps repéré ce peintre orientaliste appelé Prieur-Bardin. Sachant qu’il portait le même nom que notre famille Bardin, qui a abandonné depuis le « Prieur », j’avais fait quelques recherches qui m’avaient amené à l’identification partagée par tous, selon laquelle il s’agit de François-Léon Prieur-Bardin, né à Vif en 1870. Je n’avais pas poussé plus loin mes investigations.

Le port de Marseille, daté et signé Prieur-Bardin, 1901.

Reprenant les recherches sur la famille Bardin, à laquelle nous appartenons, j’ai trouvé qu’il y a aussi un peintre dans cette famille. C’est ainsi que je suis arrivé jusqu’à un article d’Élisabeth Juan-Mazel, paru dans le revue Généalogie & Histoire, en 2012, qui soulève, de façon très convaincante et documentée, la question de l’identification du peintre Prieur-Bardin. Sa conclusion est que François-Léon Prieur-Bardin n’est pas le peintre orientaliste qui signe toujours « Prieur-Bardin », sans initiales, actif à Constantinople entre le début des années 1890 et 1901, puis actif à Marseille dans les premières années de 1900. Il s’agit d’Eugène Prieur-Bardin, né à Vénissieux le 14 octobre 1860 et mort à Marseille le 27 juin 1905. Ma curiosité a été d’autant plus piquée que cet Eugène Prieur-Bardin est un de nos cousins, descendant de la branche Eugène Prieur-Bardin (voir les liens en fin de message pour comprendre la parenté). J’ai scanné l’article que vous pouvez lire en suivant ce lien : cliquez-ici.

J’ai poursuivi les recherches en parallèle sur les deux Prieur-Bardin, François-Léon et Eugène-Antoine. Ce que j’ai trouvé n’a fait que confirmer les conclusions de Mme Juan-Mazel.

Sur François-Léon Prieur-Bardin, j’ai effectivement trouvé qu’il n’est connu que comme sculpteur ou ornemaniste. Il a œuvré à Constantinople (ce que ne dit pas l’article), mais postérieurement à la période d’activité du peintre, vers 1910, pour contribuer à l’ornementation de l’ambassade de France, aménagée sous la direction de l’architecte Georges-Paul Chedanne. Notons d’ailleurs que cet architecte est noté comme étant son patron dans un des recensements parisiens.

A titre d’illustration, cette courte notice biographique, publiée en 1919 au moment d’une remise de médaille, ne cite jamais une quelconque activité de peintre :
Je devrais ici passer la parole à mon collègue et ami Bruel, qui a de façon si persuasive posé la candidature de M. Prieur-Bardin, sculpteur-décorateur-ornemaniste. Outre M. Bruel, des confrères comme MM. Chedanne, Lebret et Recoura nous ont vanté la conscience, le dévouement, la modestie et le talent dont M. Prieur-Bardin a donné la preuve dans des travaux, dont la liste serait longue et parmi lesquels nous citerons seulement : le monument d'Ernest Hébert par Recoura, à La Tronche ; la fontaine monumentale du château de M. Deutsch de la Meurthe, près Montereau, par Lebret ; les décorations intérieures du Palace-Hôtel des Champs-Élysées, du Princesse-Hôtel, de l'hôtel Mercédès, des ambassades de Vienne et de Constantinople, par Chedanne ; des décorations d’immeubles, et particulièrement les décorations intérieures de l'hôtel Pellerin, 3, rue de Montchanin, et de l'hôtel du marquis de Saint-Preux, par Bruel : la médaille d'argent des Industries d'Art est, vous le voyez, bien placée, et nous sommes heureux d'inviter M. Prieur-Bardin à venir la recevoir.
Je renvoie à la fin de cet article pour des informations plus détaillées qui ne font que confirmer que François-Léon Prieur-Bardin ne peut pas être le peintre orientaliste.

La Mosquée Ortaköy depuis le Bosphore, daté et signé Prieur-Bardin, 1902.

Eugène Prieur-Bardin est né comme enfant de père inconnu, sous le nom de sa mère, Mathieu, à Vénissieux le 14 octobre 1860. Louise Mathieu est une ouvrière en soie de Lyon, qui est alors âgée de 19 ans. Le père putatif, Eugène Prieur-Bardin, originaire de Charavines dans l'Isère, a le même âge. L’enfant est probablement né à Vénissieux, qui était alors un village agricole proche de Lyon, pour que la mère puisse accoucher discrètement et probablement laisser son fils en nourrice chez Pierre Sambet, dit Bourru, 42 ans, cultivateur à Vénissieux. C’était un usage fréquent. Eugène Antoine Mathieu, car tels sont ses prénoms et son nom à la naissance, sera reconnu et légitimé par ses parents lors de leur mariage à Lyon le 13 juillet 1867. Il est là aussi probable que ceux-ci aient attendu le décès du père d’Eugène, Élisée Prieur-Bardin, qui devait réprouver fortement la situation, quand on connaît la culture patriarcale et traditionnelle de la famille Bardin. Peut-être ne l’a-t-il jamais su. Lors de son mariage, Eugène Prieur Bardin est accompagné par aucun témoin de sa famille. Seule sa mère Marie Lombard, veuve Bardin, est présente.

Eugène Prieur-Bardin, fils, a passé sa jeunesse avec ses parents rue Lanterne à Lyon, avant leur installation à Tassin vers 1880. Cette rue étroite et sombre de Lyon contraste avec les univers lumineux qu’il a ensuite peints.

Selon l’article cité ci-dessus, Eugène Prieur-Bardin est entré à l’École des Beaux-Arts de Lyon le 6 mars 1879. En 1880, lors du recensement militaire, il se qualifie d’employé de commerce, habitant avec ses parents à Tassin, une commune alors champêtre de la banlieue de Lyon. Il y est encore recensé, toujours avec ses parents, en 1881. En octobre 1885, il est présent comme témoin au mariage à Charavines de deux cousins-germains de son père. Il est toujours qualifié d'employé de commerce, à Tassin. On perd ensuite sa trace jusqu’à son mariage à Alger le 5 mai 1891, où il habite avec sa mère rue Levacher. Il est artiste-peintre (lien vers l'acte). Entretemps, il a perdu son père Eugène, décédé le 15 mars 1886 à Tassin. L'épouse est une jeune fille originaire de Grenoble, bien que née à Tournon, dont on ignore la raison de la présence à Alger. Elle est orpheline de père et de mère depuis plusieurs années. Luce Vercelli, car tel est son nom, est très jeune car elle n’a que 17 ans. Mariés en mai 1891, ils attendent rapidement un enfant, une fille Jeanne qui naît en mars 1892 à Constantinople. Dans l’acte de naissance qui est enregistré au consulat de France, Eugène Prieur-Bardin se qualifie d’artiste-peintre.

Début de l'acte de naissance de Jeanne Marie Louise Prieur-Bardin le 23 mars 1892, à Constantinople.

La présence d’Eugène Prieur-Bardin est attestée à Constantinople depuis cette date de 1892 jusqu’à celle de 1898, où leur naît une dernière fille, Marguerite Adeline, le 7 août 1898. Ils ont eu aussi un fils, Élysée Eugène Prieur-Bardin, né le 21 mars 1897. Dans ces actes d’état civil, Eugène Prieur-Bardin se qualifie toujours d’artiste-peintre.

Il faut mettre ces dates en regard des informations de Frédéric Hitzel dans son étude sur les peintres à Constantinople : Couleurs de la Corne d’Or. Peintres voyageurs à la Sublime Porte (2002) qui donne la date de 1893 comme première exposition du peintre Prieur-Bardin à la galerie des Frères Gülmez-Biraderler, Grande Rue de Péra, n° 397, puis, ensuite : Maison Baker (1897, Grande Rue de Péra, n° 500), Visconti et Stefano (1898, Grande Rue de Péra, n° 276), M. Keller (1900, passage Hazzopoulo, rue Tepebachi, n° 35). Penser que ce peintre Prieur-Bardin qui expose et que Eugène Prieur-Bardin, artiste-peintre qui a des enfants à Constantinople entre 1892 et 1898 sont une seule et même personne ne me semble pas une hypothèse hasardeuse. C’est celle qu’avait défendue Mme Juan-Mazel et que les informations que j’ai trouvées ne font que renforcer.

Tophane et le Bosphore.
Ce tableau aurait été présenté au Sultan Abdül-hamid II.
A une date inconnue mais qui doit se situer en 1901, Eugène Prieur-Bardin et sa famille viennent s’installer à Marseille. Très vite, comme il l’a fait à Constantinople, il expose dans les galeries marseillaises, en particulier chez Vallet, rue Paradis. Son talent est localement reconnu. Parmi les mentions dans la presse, il apparaît pour la première fois dans un petit compte-rendu des peintres exposés dans les vitrines des marchands marseillais en octobre 1902, qui signale un tableau représentant une vue de la ville. En janvier 1903, il expose une vue de Constantinople : « ce peintre qui possède les qualités du coloriste plus encore que celles du dessinateur et dont les œuvres, malgré l'uniformité de leur source d'inspiration, sont exécutées dans une note qui les arrache à la vulgarité coutumière de l'orientalisme de bazar. » (Le Sémaphore de Marseille, 14 janvier 1903, compte-rendu de Ferdinand Servian). En février 1903, il expose une série d’œuvres dans les salons de photographie d’art, qui lui vaut un long compte-rendu par le même critique dans le même journal. En avril 1903, il expose au salon des artistes marseillais. En février 1905, il expose encore chez Vallet, le galeriste marseillais de la rue Paradis. Il habite non loin car quelques mois plus tard, le 27 juin 1905, il meurt à son domicile marseillais du boulevard Notre-Dame.

Une difficulté pour identifier pleinement le peintre des œuvres signées Prieur-Bardin est qu’il n’y a jamais de prénom ni même d’initiales accolées au nom. Même dans les mentions d’expositions de peintures à Marseille, il n’y a toujours que le nom seul. Cependant, en cherchant bien, j’ai fini par trouver deux mentions. La première est le compte-rendu du jury du salon toulonnais de peinture, dans Le Petit Provençal, du 24 novembre 1903. Parmi les récipiendaires de la troisième médaille de peinture se trouve « Eugène Prieur-Bardin ».
La seconde mention est le dépôt d’un brevet de « Boîte de campagne pour artiste peintre », déposé par Eugène Prieur-Bardin, le 8 février 1904, représenté par Ducasson, rue de la République, n° 62 à Marseille.
Lien vers le brevet : cliquez-ici.




Il existe cependant plusieurs zones d’ombre dans la vie d’Eugène Prieur-Bardin. La première est qu’il ne semble exister aucune peinture antérieure à la période « Constantinople », c’est à dire celle qui commence vers 1890. Lorsqu’il se marie à Alger en 1891, il est déjà qualifié de peintre. On pourrait imaginer qu’il a produit quelques œuvres représentant Alger et son port dans la même veine que ses tableaux de Constantinople ou Marseille. Il n’en est rien. Certes, comme il n’existe pas de catalogue des œuvres de Prieur-Bardin, il est fort possible qu’il existe des tableaux de sa période algérienne, moins nombreux car sa présence à Alger a été plus courte. Ces tableaux restent à découvrir. De la même façon, il ne semble pas exister d’œuvres antérieures aux années 1890. S’il a été élève à l’Ecole de Beaux-Arts de Lyon à partir de 1879, il a dû commencer à peindre à partir de ces années-là, et surtout à partir des années 1885-1890. Pour le moment, rien, sauf à imaginer que ses paysages de lac datent de cette époque.


Est-ce le lac de Charavines, pays des ancêtres d'Eugène Prieur-Bardin ?

Après le décès d’Eugène Prieur-Bardin, il est difficile de suivre précisément la vie de son épouse et de ses trois enfants. Il est probable que la fille cadette, Marguerite Adeline, soit décédée jeune, voire enfant. Son épouse et ses deux enfants, Jeanne et Eugène, qui, au décès de leur père, ont respectivement 13 et 8 ans, sont soit restés à Marseille, soit, plus probablement sont retournés en Algérie. En 1918, Luce Vercelli, veuve Prieur-Bardin habite 12 rue de Constantine, à Alger. C’est de Marseille qu’Eugène Prieur-Bardin s’embarque pour New-York où il arrive le 17 septembre 1914. Il a 17 ans et demi. Sa vie est désormais américaine. Il est connu comme acteur sous le nom d’Eugene Borden. On retrouve la trace de Luce Vercelli, veuve Prieur-Bardin, et de sa fille Jeanne à Argenteuil, en 1931, loin des lumières méditerranéennes du Bosphore, d’Alger ou de Marseille. Argenteuil est une commune de la banlieue nord de Paris. Jeanne y est recensée au 12 avenue d'Argenteuil, comme comptable (patron : Pradier), dans le même ménage qu’Henri Fressard, avec lequel elle se marie en 1935. Elle est décédée très âgée, le 28 mars 1979 à Argenteuil, à l'âge de 87 ans. Quant à sa mère, elle se remarie aussi à Argenteuil, le 24 avril 1937 et meurt deux ans plus tard, le 22 juillet 1937, à l'âge de 63 ans. Ni Jeanne Prieur-Bardin, ni son frère Eugene Borden n’ont eu d’enfants. Il n’y a donc pas de descendants et plus largement pas de neveux ou nièces pour défendre la mémoire d’Eugène Prieur-Bardin.

Eugene Borden, le fils d'Eugène Prieur-Bardin

Lien vers la généalogie d'Eugène Prieur-Bardin : cliquez-ici.
Lien de parenté avec Eugène Prieur-Bardin : cliquez-ici.

Quelques informations complémentaires sur François-Léon Prieur-Bardin

Pour compléter et parfaire la démonstration que François-Léon n’est pas le peintre qui a produit tant de tableaux de Constantinople et Marseille, je me suis intéressé à ses différentes adresses. Sa fiche matricule nous apprend qu’au moment du recrutement militaire, soit en 1890, il est étudiant aux Beaux-Arts de Paris, domicilié à Paris, 76 boulevard Edgar-Quinet (quartier Montparnasse). Il fait ensuite son service militaire au 40e régiment d’Infanterie du 10 novembre 1891 au 29 septembre 1892, ce qui est antinomique avec la présence attestée du peintre Prieur-Bardin à Constantinople. Il a obtenu le prix de l’école des Beaux-Arts (arts décoratifs) le 29 novembre 1893.


Ensuite ses différents domiciles sont :
21 décembre 1892 : Paris, 5bis rue Bourgeois
30 juin 1908 : Vienne (Autriche-Hongrie), Ambassade de France
10 décembre 1909 : Paris, 5bis rue Bourgeois
11 décembre 1910 : se rend à Constantinople
10 février 1911 : Constantinople, Ambassade de France
25 avril 1912 : Paris, 5bis rue Bourgeois
 
Rappelons que les hommes étaient tenus de communiquer leurs changements de domicile ou de résidence à l’autorité militaire pour être toujours joignable en cas de mobilisation. Cette obligation courait jusqu’à l’âge de 45 ans, lorsque les hommes étaient libérés du service militaire, soit, pour François-Léon Prieur-Bardin, jusqu’en 1915. Cette obligation n’était pas toujours bien respectée, mais on voit que, dans son cas, il était assez scrupuleux pour mentionner même des absences de courte durée d’un an ou un an et demi. S’il avait été présent à Constantinople entre 1892 et 1901, il est évident qu’il en aurait fait part aux autorités militaires.

Sa présence en Autriche, à Vienne, en 1908, puis à Constantinople en 1911 s’explique par sa participation aux chantiers des ambassades de France dans ces deux pays, dans le premier cas une construction et dans le deuxième une rénovation, les deux menées par l’architecte Georges-Paul Chedanne pour lequel il travaillait.

Hormis ces deux résidences temporaires, François-Léon a habité continûment de 1892 jusqu’à au moins 1936 au 5bis rue Bourgeois, dans le 14e arrondissement de Paris, près de la Gare Montparnasse, dans le quartier Plaisance. Cette rue n’existe plus, ayant disparu dans les chantiers de rénovation du quartier, au moment de la construction de la nouvelle gare.

Comme s’il fallait encore plus de preuves que François-Léon n’était connu que comme sculpteur, ces quatre informations ne font que renforcer cette conviction :
Liste électorale de Paris, 1921 : François-Léon Prieur-Bardin, sculpteur.
Recensements de 1926 et 1931 : François Prieur-Bardin, artiste sculpteur.
Recensement de 1936 : François Prieur, sculpteur, patron : Chedanne.
Dans ces quatre mentions, il est domicilié au 5bis rue Bourgeois.

Pour finir, une œuvre de François-Léon Prieur-Bardin, datée de 1894 :


Il doit s’agir de l’un des médaillons qu’il a présentés au Salon de 1895. La signature peut laisser penser que le prénom d'usage était Léon Prieur-Bardin :


Compléments (octobre 2021)
 
Suite à ce message, j'ai été en contact avec une arrière-petite-nièce de François-Léon Prieur-Bardin. Elle m'a indiqué qu'il était « décédé le 19 mai 1939 à la Vierge Noire à côté de Grenoble [La Tronche] où mon arrière grand-mère, sœur de François-Léon, avait une maison où j'ai eu l'occasion d'aller étant petite. Cette maison fut vendue par mes grands parents. » Son entrée en contact montre qu'elle s'était elle-aussi interrogée sur l'attribution des peintures orientalistes et marseillaises à son arrière-grand-oncle :  « En effet, en comparant, entre autre, les dates que nous avons sur toutes ses médailles des Arts Déco nous n'arrivions pas à comprendre comment il pouvait être à la fois à Constantinople et étudiant aux Arts Déco ! »

1 commentaire:

Unknown a dit…

Salut.Je suis un restorateur qui travaille a İstanbul et je peux vous envoyer aux photographes de deux peintures signe “E.Prieur Bardin” et Eugene Bardin si vous pouvez me contacter par le mail altugkatmer@gmail.com