Pour la 3e fois, je viens de mettre la main tout à fait par hasard sur un document de famille.
Comme toutes les années, je me suis rendu au Salon du livre ancien qui se tient au Grand-Palais à Paris. Je n'y vais évidemment pas pour chercher des documents de famille, mais plutôt pour y dénicher quelques beaux livres pour ma bibliothèque dauphinoise ou littéraire. C'est en parcourant les rayons d'un libraire plutôt spécialisé dans la littérature que j'ai eu l’œil attiré par un petit ouvrage étroit au dos duquel on pouvait lire : Souvenirs de Côte-d'Or. 1870-1871.
Par curiosité et, peut-être mû par une sorte de 6e sens, j'ai sorti le livre du rayonnage pour le consulter. J'avais déjà à l'esprit qu'une partie de notre famille vivait dans ce département lors de la guerre de 1870 et qu'en particulier, nous avions un lointain oncle, Adolphe Duthu, qui était mort lors des combats de la défense de Dijon en octobre 1870. Mais je ne m'attendais pas à la trouvaille que j'ai faite. Ouvrant l'ouvrage, je découvre qu'il s'agit d'un manuscrit. Je poursuis mes rapides investigations jusqu'à tomber sur cette page où l'auteur a signé son travail.
Il se localise à Ouges, village dont je me souvenais qu'il était le berceau de la famille Cornemillot, du nom de notre ancêtre Julie Cornemillot, épouse Duthu. La signature pourrait laisser penser qu'il s'agit justement de Cornemillot, mais on pourrait tout aussi bien lire corneminot. Je photographie cette page et dès que je suis rentré chez moi, je pars à la recherche d'un acte d'état-civil pouvant porter la signature d'un des nombreux Cornemillot qui vivaient alors à Ouges. C'est l'acte de décès de Jean Cornemillot, ancien libraire, mort à Ouges en 1866 qui m'offre un beau spécimen de la signature d'Émile Cornemillot, neveu du décédé.
La comparaison est sans appel. Il n'y a pas de doute possible, ce manuscrit a été rédigé par Émile Cornemillot, le neveu de notre ancêtre Julie Cornemillot. Un rapide échange de mails avec le libraire et le lendemain, j'achetais l'ouvrage.
Le document se présente sous forme de 3 cahiers portant chacun une page de titre. La première partie porte : Souvenirs de la Guerre dans la Côte d'Or. 1870-71. et les 2 autres : Quelques mots de notre situation actuelle.
Le premier cahier est rédigé d'une écriture régulière qui peut laisser penser qu'il a été écrit après les faits relatés, comme des mémoires, ce que laisse aussi entendre le mots de souvenirs dans le titre. Il couvre la période du 6 octobre au 12 novembre 1870. Même si cela n'est pas clairement dit, il est probable qu’Émile Cornemillot a été témoin oculaire de ces combats en tant que garde national volontaire.
Les deux autres cahiers, qui couvrent la période de décembre 1870 et de janvier à avril 1871 sont rédigés comme un journal des événements tels qu'ils étaient vécus depuis Ouges par Émile Cornemillot. L'écriture en est plus irrégulière et la présentation paraît plus "fouillis" que la première partie.
Dans ces récits, il y a peu de faits personnels. Émile Cornemillo relate essentiellement les combats et ce qu'il peut en savoir depuis Ouges. Dans les derniers mois, il rapporte les différents événements politiques (élections en particulier) et le début de la Commune de Paris (qu'il ne semble pas approuver), mais ce journal ne va malheureusement pas assez loin pour que l'on connaisse ses sentiments à propos de la répression de la Commune par les Versaillais.
Comme je le disais en introduction, Émile Cornemillot évoque le décès de son cousin germain Adolphe Duthu (1840-1870). Nous savions déjà que ce dernier était mort le 30 octobre 1870 lors des combats de la défense de Dijon, comme le relate Clément-Janin, dans : Journal de la guerre de 1870 1871 à Dijon et dans le département de la Côte-d'Or :
Dans son manuscrit, Émile Cornemillot apporte cette précision sur les circonstances du décès d'Adolphe Duthu :
Peut-être qu'Émile Cornemillot a participé à ces combats, car un Cornemillot est cité parmi les membres de la compagnie Blavier : « La compagnie Blavier [compagnie de gardes nationaux volontaires] se porte sur Couternon, renforcée de quelques volontaires, parmi lesquels Tassin, Cornemillot, Duthu, Jeannel, Bresson. ».
Qui était Émile Cornemillot ? Il est à né à Ouges, le 28 juin 1832, fils de Pierre Cornemillot, médecin, et de Claudine Dupuis. Ouges est une commune de la périphérie de Dijon, à une dizaine de kilomètres au sud-est du centre de Dijon.
Au moment de la naissance d’Émile Cornemillot, c'était une commune essentiellement agricole, d'un plus de 400 habitants. La famille Cornemillot est implantée dans ce village depuis le début du XVIIIe siècle lorsque Philippe Cornemillot, de Rouvres, une commune proche, est venu s'installer à Ouges par mariage. Cette famille semble avoir joui d'une certaine notabilité. Le grand-père d’Émile, Jean Cornemillot (1776-1836) [106] a été maire de 1807 à 1817. Il avait succédé à son père, Pierre Cornemillot (1735-1809) [212], maire de 1801 à 1807 et il a été remplacé par son frère Hubert, maire de 1817 à 1821. A eux trois, ils ont donc dirigé la commune pendant 20 ans. C'était une famille de propriétaires cultivateurs, jusqu'à la génération des enfants de Jean Cornemillot qui, de son mariage avec Barbe Bresson (1769-1824) [107], a eu 6 garçons et 2 filles, dont 4 garçons vivants et une seule fille, la cadette de la famille, Julie (1810-1871) [53], qui a épousé un aubergiste de Dijon, Louis Duthu. Parmi les 4 garçons, Pierre (1798-187), l'aîné a été médecin. Il est resté à Ouges toute sa vie pour exercer son art. Le deuxième, François (1801-1853), a été plus modestement aubergiste à Ouges. Vient ensuite Jean (1806-1866), qui a longtemps été libraire à Evreux, après avoir vécu à Paris où il s'est marié. Enfin, le dernier fils, Jean Baptiste (1808-1867) a été longtemps le garde-champêtre d'Ouges.
Livre édité en 1849 par Jean Cornemillot, oncle d’Émile Cornemillot. |
C'est dans cette famille qu’Émile est né, fils du docteur en médecine Pierre Cornemillot. Son destin est un peu atypique, car, fils de médecin, il est retourné à l'agriculture. En effet, dans tous les actes le concernant ou dans ceux où il intervient (il est souvent témoin), il est toujours qualifié de cultivateur. Il devait exploiter le domaine familial. Cet environnement (son père, son oncle) explique probablement ses qualités rédactionnelles, l'aisance de son écriture et son orthographe parfaite. Il a suivi les pas de ses ancêtres en étant maire de sa commune, même si cette expérience n'a duré que quelques mois, de janvier à avril 1872. Pour une raison inconnue, mais qui est probablement liée à des arrangements de famille suite au décès de sa mère, il quitte le village et devient régisseur au château de la Forgeotte, à Saint-Nicolas-lès-Citeaux, propriété de la famille Rémondet.
Après quelques année, il revient pour 2 ou 3 ans à Ouges avant de s'installer définitivement à Dijon avec sa famille au début des années 1880. Il devient alors employé de commerce, puis comptable. Il est mort à Dijon le 16 juin 1918, à l'âge de 85 ans. De son mariage avec Anne Bresson (1804-1906), il a eu de très nombreux enfants, dont 5 ont vécu. Il a tout de même vu disparaître avant lui ses deux filles, mortes célibataires à Dijon, respectivement à l'âge de 52 ans et 48 ans, et son fils cadet, Georges, mort pour la France lors de la Première Guerre mondiale, en 1915, à 32 ans. S'il existe une descendance, ce serait du côté de sa fille aînée Augustine, épouse de Charles May, employé du P. L.M à Dijon, ou de son fils Léon, lui aussi comptable à Dijon, dont le fils Georges est mort à Madrid comme secrétaire de la Chambre française de Commerce et d'Industrie.
J'ai commencé ce billet en parlant de hasard. Certes, il y a une part de hasard. Il y a aussi ce goût de la chine qui m'amène à remuer tous les livres d'un salon entier (et je peux vous dire qu'il y a des milliers de livres et que j'y passe des heures). Il n'est donc pas étonnant qu'en voyant tant de livres et de documents, associé à la présence vivante, si j'ose dire, de tous mes ancêtres et cousins en mon esprit, il se fasse soudainement des rapprochements qui me permettent de faire de telles découvertes. Un peu de hasard et beaucoup de persévérance et de travail.
Généalogie ascendante et descendante d'Émile Cornemillot : cliquez-ici.
Lien de parenté avec Emile Cornemillot : cliquez-ici.
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