mercredi 11 avril 2018

Etienne Janus Girard : un peintre savoyard à Naples

Il y a quelques années, j'ai eu la chance de trouver ce tableau dans une vente aux enchères à Chambéry :


Il est signé et daté en bas à gauche : "Jean Grossgasteiger/1861".

Comme on peut le voir, il représente un tombeau avec, en arrière plan, un paysage méditerranéen que l'on identifie immédiatement comme la baie de Naples, avec le Vésuve fumant légèrement au dernier plan.  En s'approchant, on voit que ce mausolée porte une longue inscription :


On peut la déchiffrer avec un peu de patience (et une bonne vue !) :

A la mémoire chérie
de Etienne Janus Girard
Négociant Paysagiste Amateur
Né à St-Alban (Savoie) le XXVIII Décembre MDCCCXX
Décédé à Naples le IV Septembre MDCCCXLIX
La prédilection pour le genre d'art qu'il cultiva
lui mérita de bonne heure
plusieurs mentions honorables.
Fils tendre, frère affectueux,
tu vivras sans cesse dans le cœur de tes parents
et le bonheur que tu goûtes en l'autre vie
peut seul adoucir
l'amertume de leurs regrets.
Priez pour lui

Comme on le voit, le peintre a représenté le tombeau d'un de ses confrères. Mais qui est donc cet Étienne Janus Girard ?

Son acte de baptême dans les registres de Saint-Alban-Leysse, en Savoie, nous apprend qu'il est le fils de Joseph Girard [76] et de Jacqueline Rosset [77]. Il est né le 28 décembre 1820 et il a été baptisé le même jour sous le seul prénom d’Étienne :


Son acte de décès passé le 4 septembre 1849 dans le quartier (Circondario) San Fernando nous apprend qu'il est mort célibataire le 3 septembre 1849 (et non le 4 comme l'annonce la tombe) à l'âge de 28 ans. Il est appelé Stefano Girard, son prénom ayant été italianisé. Il est alors cartaio, comme son père, dont le prénom a été lui aussi italianisé en Guiseppe. Il vit avec ses parents au 185 de la Via Toledo, la grande artère commerçante de Naples.


En réalité, avant même d'avoir acheté ce tableau, j'en savais plus sur cette famille et la raison de sa présence à Naples en ce milieu du XIXe siècle.

Au mois d'août 1821, le pharmacien grenoblois Étienne Breton dépose avec ses fils une demande pour la construction d'une papeterie au Pont-de-Claix, un hameau proche de Grenoble, célèbre pour son pont en une seule arche au-dessus du Drac. Pour constituer son personnel, il fait visiblement appel à des ouvriers papetiers ayant déjà des compétences dans le métier. Justement, à Saint-Alban-Leysse, en Savoie, près de Chambéry,  se trouve une papeterie fondée par la famille Aussedat, provenant d'Annonay. On peut imaginer que c'est à ce titre que Joseph Girard, né à Saint-Alban en 1791, et sa femme Jacqueline Rosset, née au Bourget-du-Lac, sont venus habiter le Pont-de-Claix, où on les retrouve dès 1825. Joseph Girard est alors qualifié de papetier, résidant près le Pont-de-Claix à la papeterie de Mr Breton, né Saint-Alban (Savoie). Leurs deux premiers enfants, dont Étienne qui nous intéresse ici, sont nés à Saint-Alban. Ensuite, l'ouvrier papetier semble avoir bien évolué. Vers 1830, sans que l'on connaisse la date précise, il s'installe à Naples, où on le trouve qualifié de "negoziante di carta", de "fabricante di carta" ou "cartaio", tous termes que l'on peut résumer sous le titre de "papetier" (Carta est un faux ami en italien qui signifie papier). Il assurait probablement la distribution des productions de la papeterie du Pont-de-Claix dont on sait qu'en 1838, elle vendait 38 % de sa production dans la péninsule.



Dans cet Album scientifico-artistico-letterario. Napoli e sue provincie, publié en 1845 par Borel et Bompard (deux libraires briançonnais installés à Naples !), dans la rubrique : Librai, Ligatori e Negozianti di Carta ed Oggetti da Scrittoio, il est mentionné :

Le "G" pour Guiseppe, soit Joseph en italien.

Joseph Girard et Jacqueline Rosset sont venus à Naples avec leur 3 enfants, dont le fils aîné Antoine (Saint-Alban-Leysse 9 septembre 1818 -  Pont-de-Claix 21 septembre 1896), notre ancêtre et Étienne. Ils auront deux autres enfants, nés à Naples en 1834 et 1836. C'est comme cela que l'enfant Étienne, de Saint-Alban, s'est retrouvé à Naples où il a pu donner libre cours à sa passion pour la peinture dans une ville propice à cela. Cependant, la peinture n'occupera pas toute sa vie, car il contribue aussi, avec son père et ses frères, au négoce de papier qui est en train de faire la fortune de la famille, d'où son qualificatif de "Négociant" sur son tombeau et de "Cartaio" (papetier) dans son acte de décès. C'est peut-être l'origine du prénom supplémentaire "Janus", choisi pour illustrer les deux faces de sa personnalité : négociant et peintre. Il l'a peut-être utilisé comme nom d'artiste.

La présence de la famille est attestée à Naples jusqu'au milieu des années 1850. Ils reviendront s'installer au Pont-de-Claix où il feront construire une belle maison bourgeoise à l'entrée de la ville, au bout du cours Saint-André, en venant de Grenoble.

Une dernière remarque. Même si les liens entre cette famille et la papeterie de Pont-de-Claix expliquent en partie leur présence à Naples et leur activité de papetier, je m'interroge sur le choix de cette destination. N'y avait-il pas déjà un représentant de la famille dans cette ville ? En effet, lors de mes recherches sur Guisepppe Girard, j'ai trouvé une autre personne portant ce nom et ce prénom, d'origine française et installée au début du XIXe siècle aussi via Toledo où il exerçait la profession d'éditeur de musique (il a publié les œuvres de Rossini, Donizetti, etc.) S'agissait-il d'un oncle de notre Joseph Girard, ce qui expliquerait ce regroupement familial. L'enquête continue !

Pour revenir au peintre Étienne Janus Girard, il faut constater que, malheureusement, il ne semble pas avoir signé ses œuvres. J'ai la chance de posséder un de ses tableaux, que m'avait donné une de nos cousines (c'est une peinture à l'huile) :


Mais il semble avoir été plus à l'aise avec l'aquarelle gouachée, comme cette vue de la baie de Naples et du Vésuve :


Autre tableau d’Étienne Girard, qui est une vue de la baie de Naples, probablement depuis le Pausilippe (Posillipo) :



Comme on le voit, ces tableaux sont de bonne facture. Je sais qu'il en existe d'autres, dispersés dans la famille. Il y a aussi tous ceux que les partages et ventes ont fait disparaître, si l'on peut dire, puisqu'il est désormais impossible de les identifier à cause de leur anonymat.

Le tombeau d’Étienne Janus Girard existe toujours au cimetière de Poggioreale à Naples. Il a été répertorié dans un inventaire du patrimoine. A ce titre, il a fait l'objet d'une notice (cliquez ici), illustrée d'une photographie qui met malheureusement mal en valeur le monument :


Comme pour répondre à ce tombeau, tout le reste de la famille Girard, c'est à dire ses parents, ses frères et une partie de ses neveux, jusqu'à nos jours, est enterré au cimetière Saint-Roch à Grenoble.



Généalogie ascendante et descendante d’Étienne Girard : cliquez-ici.
Lien de parenté avec Étienne Girard : cliquez-ici.

1 commentaire:

Christine B. a dit…

Merci Jean Marc pour ce fabuleux travail de recherche que tu nous fais partager
Bises
Christine